Full text PDF Send by e-mail  1 Joseph Calmette, Les grands ducs de Bourgogne,

Full text PDF Send by e-mail  1 Joseph Calmette, Les grands ducs de Bourgogne, Paris, Albin Michel, 1949, p. 312.  2 Emmanuel Bourassin, Philippe le Bon : le grand lion des Flandres, Paris, Tallandier, 1983, p. 34.  3 Sophie Jugie, « Les portraits des ducs de Bourgogne », Publication du Centre européen d’études bo (...) 1Le troisième duc de Bourgogne de la famille des Valois, Philippe le Bon, est réputé pour avoir revêtu la couleur noire de manière définitive à la mort de son père, Jean sans Peur, dès 1419, en signe de deuil. L’historiographie s’est longtemps contentée de cette explication, qui reste vivace : « très frappé par la mort tragique de son père, il ne se borna pas à s’astreindre à un deuil sévère, il garda toute sa vie le goût du noir et, bien qu’il le fît avec somptuosité, il observa d’une façon habituelle l’usage de se vêtir de cette sévère couleur »1. Un auteur est allé encore plus loin, supposant cette habitude du noir comme un vœu de la part du prince, non seulement pour lui-même, mais aussi pour son entourage : « à la mort de son père, il avait fait le serment solennel de porter, jusqu’à sa mort, le deuil du défunt en noir et en blanc et avait ordonné que ses gens ne quittassent jamais les livrées de sombres couleurs, à l’image de leur maître »2. Quand il ne revêt pas le manteau rouge de la Toison d’or3, il est vu, depuis le XVe siècle, comme l’homme en noir au chaperon à bourrelet, portant le collier de la Toison d’or, à l’image de son portrait officiel.  4 Sophie Jolivet, Pour soi vêtir honnêtement à la cour de monseigneur le duc de Bourgogne : costume (...)  5 À réveiller les morts : la mort au quotidien dans l’Occident médiéval, éd. par D. Alexandre-Bidon (...)  6 Michel Pastoureau, Noir : histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2008 ; William John Harvey, Des (...) 2Cette image stéréotypée du troisième duc de Bourgogne s’est fixée dans un contexte historiographique particulier, influencé par une vision négative et romantique du noir, qui en a fait une couleur souvent associée à l’austérité, aux ténèbres et à la mort. Depuis, des recherches complémentaires ont été menées sur le vêtement ducal4, sur la pratique du deuil5, sur la couleur noire6. À la lumière de cette historiographie, la présente contribution souhaite reprendre le dossier du noir de Philippe le Bon pour tenter de comprendre comment, progressivement, le duc s’est forgé une image durable en adoptant dans tous ses vêtements la couleur noire. 3L’accès aux vêtements portés par le duc, consignés de manière dense et précise dans les registres de comptes, apporte un éclairage nouveau sur son action en matière de choix vestimentaires. Cela permet de confronter, par le croisement des sources, les idées les plus répandues aux faits consignés et datés. Cette contribution propose de revenir sur les raisons qui ont pu pousser Philippe le Bon à adopter le noir en toutes circonstances, à travers sa conception du deuil, son sentiment religieux, ses stratégies politiques. Un noir de deuil ? 4Puisque la tradition fait débuter la permanence du noir au deuil de 1419, c’est par cette question qu’il faut commencer : Philippe le Bon a-t-il, en signe de deuil, modifié sa garde-robe à la mort de son père et imposé une telle couleur à son entourage ?  7 Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais AD 21), B. 1508, fo 126 : « pour une livrée (...)  8 M. Pastoureau, Noir : histoire d’une couleur, op. cit., p. 101. Dans cet ouvrage, l’auteur a reco (...)  9 Se reporter aux chapitres d’achats de draps de soie et d’achats de draps de laine et de confection (...) 5Les tenues de l’enfance du comte de Charolais (titre que portait Philippe le Bon avant d’accéder au duché de Bourgogne), né en 1396, n’étaient pas, sauf exception, financées par l’hôtel du duc de Bourgogne. Des données plus complètes concernent les tenues de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur. Leurs préférences portent généralement sur le vert et le rouge, mais le noir n’est pas absent de leur tenues. Précisément, en 1396, Philippe le Hardi prend à sa charge, pour accueillir des ambassadeurs anglais, la réalisation de vêtements destinés à des grands personnages bourguignons et français et choisit des draps de soie, velours et satin de couleur noire pour exécuter ces vêtements7. Selon Michel Pastoureau, cette couleur précieuse, dense et riche a fait son apparition (venant des grands marchands très fortunés) dans les milieux de cour en Italie. Elle atteint ensuite les cours françaises par l’intermédiaire de Valentine Visconti, épouse du duc d’Orléans8. Toutefois, à cette période et jusqu’à sa mort, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi préfère le rouge (vermeil et cramoisi) et le vert, pour lui-même et pour ses livrées9.  10 Trois comptes de ses dépenses en tant que comte de Nevers ont été conservés aux AD 21 : B. 5518 ( (...)  11 Comptes de la recette générale de toutes les finances consultés : Archives départementales du Nor (...) 6Jean sans Peur, en tant que comte de Nevers d’une part10, et ensuite duc de Bourgogne11, a lui aussi recours à des achats de draps de couleur noire. Au tournant du siècle, le noir est déjà bien présent dans la garde-robe de draps de soie du comte de Nevers : velours, satin, cendal noir et vermeil. En revanche, une variété plus importante se trouve parmi les draps de laine : du gris, du brun, de l’écarlate, du blanc et surtout du vert (vert gai et vert brun). Ainsi le noir est indéniablement présent mais demeure une possibilité non privilégiée. Cette situation perdure jusqu’en 1419, et une étude systématique de la comptabilité devrait être menée pour confirmer statistiquement cette impression que dégage la lecture des registres comptables. 7Les quelques achats repérés dans les comptes destinés au comte de Charolais, futur duc Philippe le Bon, abondent dans ce sens, bien que les données qui le concernent restent partielles, correspondant à des moments de présence aux côtés de son père. Assurément, le comte de Charolais porte des vêtements de couleur noire avant de devenir brutalement duc de Bourgogne, mais il serait trop audacieux de conclure à une permanence de cette couleur dans ses tenues, devant le peu d’articles le concernant. Au moins pouvons-nous avancer que le noir est bien, avant le 10 septembre 1419, une couleur à la mode, associée à la fête, et non nécessairement au deuil, comme l’a montré Michel Pastoureau. La mort de Jean sans Peur va-t-elle constituer une rupture ?  12 Paul Bonenfant, Philippe le Bon : sa politique, son action, Bruxelles/Paris, De Boeck Université, (...)  13 Johan Huizinga, L’automne du Moyen Âge, trad. par J. Bastin, Paris, Payot, 1995 [1932], p. 53. 8Apprenant la mort de son père, Philippe le Bon a choisi de s’opposer au parti du Dauphin, en s’alliant aux Anglais. Ce revirement était une stratégie de vengeance qui, semble-t-il, fut plutôt douloureuse pour les Bourguignons. Paul Bonenfant a fait du sentiment français de Philippe le Bon un trait essentiel de son règne. De nombreux signes abondent dans ce sens12. Philippe le Bon aurait donc choisi de porter, dans ses apparitions publiques, le deuil de son père pour signifier à tous qu’en signant le traité de Troyes, il ne commettait pas un sacrilège mais bien un sacrifice pour le bien du royaume : « Et si l’honneur d’une famille orgueilleuse était en jeu et que la vengeance s’imposât comme un devoir sacré, ainsi que ce fut le cas lors du meurtre de Jean sans Peur, l’apparat correspondait à la douleur du cœur »13.  14 AD 59, B 1920, publié dans Comptes généraux de l’État bourguignon entre 1416 et 1420, éd. par R. F (...) 9Le premier compte de Gui Guilbaut, receveur général de toutes les finances, couvrant la période du 3 octobre 1419 au 3 octobre 1420, consigne une partie des premières dépenses vestimentaires réalisées par le duc de Bourgogne Philippe le Bon14 : […] cincquante aulnes de drap de laine noir dont on fist huit robes et huit chapperons pour les paiges, palefrenier et varlet de pié de mondit seigneur, pour le duel de feu monseigneur le duc son pere, que Dieux absoille […] 32 aulnes de drap blanc pour doubler lesdictes robes […] 28 aulnes d’autre drap noir dont on fist pour mondit seigneur robe, manteau long de dueil et chapperon […] A Pierre Gavrelot et pluseurs aultres cy aprez nommez, la somme de neuf cens trente six livres douze solz deux deniers monnoye royal qui deue leur estoit tant pour achat de drap dont on a fait robes, manteaux et chapperons pour mondit seigneur et les gens de son hostel et de l’ostel de madame la duchesse de Bourgogne sa femme, qui sont tous ensemble 146 personnes […] 240 aulnes de drap de brunette […] et pour 376 aulnes et demie d’autre drap dont on uploads/s3/ construction-d-un-image-philippe-le-bon.pdf

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