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Philopsis L'image François Dagognet.doc © François Dagognet, 2007 1 L’image L’image : reproduction et création François Dagognet Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. L’image relève d’un statut ambigu, du moins ambivalent : ou bien, avec elle, nous évoquons une image mentale, ou bien nous nous en tenons à une image physique (une photographie ou l’esquisse d’une chose). L’une tend à nous libérer du monde, quand l’autre nous y plonge. Bien que désignées par le même terme, ces deux images diffèrent nettement, encore que la première ait parfois retenti sur la seconde et empêché des excès de naturalisme. Nous retrouvons la même amphibologie avec l’imagination : l’imagination dite reproductrice équivaut à un simple redoublement du réel, alors que l’imagination créatrice nous découvre la réalité de l’irréel. Gaston Bachelard, qui a parfois creusé l’écart entre ces deux imaginations, le reconnaît : « les recherches sur l’imagination sont troublées par la fausse lumière de l’étymologie »1. De son côté, Jean-Paul Sartre publie un ouvrage, L’imagination (en 1936), puis, en 1940, L’imaginaire. Il ne manque pas de reconnaître la dualité. Il ira d’ailleurs jusqu’à considérer que l’imagination ne consiste pas à engendrer des images mais consiste en une quasi-observation sur le mode de l’absence. Cette doctrine qui disqualifie comme nulle autre « l’imagination reproductrice » (des miniatures de choses extérieures) voit cependant dans l’imagination, ou plutôt l’imaginaire, une conduite magique pour posséder le monde. Il souligne le vide de l’image. Nous reconnaissons, sans oublier la plus originale, que nous nous intéresserons à la plus 1 Gaston Bachelard, L’air et les songes, p.7 Philopsis L'image François Dagognet.doc © François Dagognet, 2007 2 mécanique et la plus envahissante, la plus aliénante aussi (la photographie, puis le cinéma ou l’image en mouvement, la télévision qui met l’image au service de l’événement) mais c’est aussi la plus évolutive. Platon, qui a repéré le double statut de l’image, a surtout engagé le procès contre le simulacre, le calque de la chose qu’il reproduit. D’abord en raison de la ressemblance avec ce qu’il mime, on ne sait plus où se situe l’original. Le double sème le trouble par cette sorte de tromperie. Le reflet, ce que nous renvoie le miroir, ajoute encore une note dépréciative ; on croyait affronter un semblable et pouvoir le saisir (le fantôme) alors qu’il nous échappe. Celui qui peint ou dessine - le faiseur d’illusion – peut représenter n’importe quoi ou n’importe qui ; il ne connaît pas de limites à ses opérations illimitées, et c’est la preuve de leur inconsistance. Dans la République, Platon hiérarchise les activités : au sommet il place l’essence de la chose, l’idée que nous pouvons en contempler – plus bas, l’artisan, - le menuisier qui s’en inspire, - enfin, au dernier degré, non plus celui qui la produit, mais celui qui la reproduit. Il donne dans le mensonge et la fausseté. La guerre livrée au double ou à l’image ne cesse pas. Jean-Jacques Rousseau y participera ; curieusement l’ennemi de la copie recommence Platon mot à mot : « Je vois trois palais bien distincts : premièrement, le modèle ou l’idée originale qui existe dans l’entendement de l’architecte, dans la nature ou tout au moins dans son auteur, avec toutes les idées possibles dont il est la source ; en second lieu, le palais de l’architecte, qui est l’image de ce modèle ; et enfin le palais du peintre, qui est l’image de celui de l’architecte. Ainsi, Dieu, l’architecte et le peintre sont les auteurs de ces trois palais… le troisième est l’image de l’image. »2 On ne cessera pas de blâmer le sosie. Même si on lui reconnaît quelques mérites, on parvient à les contester. Ainsi on a cru que la « lanterne magique » déjà et ses fameuses projections, ainsi que le cinématographe, allaient sauver l’image, dans la mesure où ceux-ci venaient de nous livrer le mouvement. On tenait l’image pour fixe, immobile, frappée d’une évidente inertie… Mais cette remarque ou cette prouesse allait vite s’expliquer autrement. D’une part, l’opérateur veille à ce que le film (la bobine) tourne régulièrement. D’autre part, si nous observons sur l’écran une continuité, cette dernière trouve son origine en nous, parce qu’un instantané se fond avec celui qui le précède comme avec celui qui suivra – à la condition qu’ils défilent assez vite (seize positions pas seconde). L’image en mouvement naît du jeu de la fonction rétinienne. N’allons plus affirmer qu’elle a incorporé ou vaincu le temps ; et elle le dispense parce qu’elle l’a reçu (du dehors à elle-même). 2 Jean-Jacques Rousseau, De l’imitation théâtrale, Essai tiré des dialogues de Platon, in Œuvres complètes 1829, T.II, p.358 Philopsis L'image François Dagognet.doc © François Dagognet, 2007 3 Cette image (mécanique, liée désormais aux instruments de l’optique) devait subir les pires accusations. Avant le concile de Nicée qui devait écarter les iconoclastes (les briseurs d’images), ces derniers menèrent la guerre aux idolâtres, à ceux qui osèrent représenter Dieu. Tertullien, au départ, allait jusqu’à inviter les femmes à se voiler et à se murer hors de tout regard, tant la visibilité, en général, empêche la pratique des vertus (la pudeur, la modestie, la tolérance). Spinoza, comme bien d’autres, participe à cette guerre des images. « Dieu n’apparut à Moïse sous aucune image… Dieu répondit à Moïse : tu ne pourras voir ma face, et comme Moïse croyait que Dieu était visible, c’est-à-dire que, pour lui, il n’y avait nulle contradiction entre la nature divine et la visibilité, sans quoi il n’eût pas demandé à le voir, Dieu ajouta donc : parce que nul ne peut me voir et rester en vie ».3 Peu à peu, le christianisme cherche à dépasser l’opposition entre les dieux trop visibles du paganisme et le Dieu trop invisible et trop lointain de la religion hébraïque. Les imagiers devaient trouver le moyen à la fois de montrer le Christ (l’Incarnation) et de l’éloigner (les disciples d’Emmaüs ne le reconnaissent pas). Au 19ème siècle, la bataille reprend comme jamais ; il est vrai que l’image mécanique se transforme et même s’industrialise. Baudelaire s’insurge contre un tel tournant : « Le credo actuel des gens du monde est celui-ci : je crois à la nature et je ne crois qu’à la nature. Je crois que l’art est et ne peut être que la reproduction exacte de la nature (une secte timide et dissidente veut que les objets de nature répugnante soient écartés, ainsi un pot de chambre ou un squelette). Ainsi, l’industrie qui nous donnerait un résultat identique à la nature serait l’art absolu. Un dieu vengeur a exaucé les vœux de cette multitude. Daguerre fut son messie. Et alors elle se dit : « puisque la photographie nous donne toutes les garanties d’exactitude (ils croient cela, les insensés !), l’art, c’est la photographie » »4. Nous donnons une particulière importance à l’argument suivant – l’hostilité à l’image – parce qu’il révèle une étrange stratégie. On va si loin et si habilement qu’on applique, - sans trop le dire – à l’image (mécanique) des remarques d’insuffisance ou de déficit qui ne peuvent que toucher l’image créatrice (l’imaginaire). On passe subrepticement de l’une à l’autre. Chacun sait que l’image créatrice est vouée à l’absence (un vide obligé et salvateur) : la preuve en est – argument connu et que le philosophe Alain a mis en avant – qu’on ne saurait, avec et sur elle, compter le nombre des colonnes du Panthéon. Elle reste dans le flou. Mais gardons-nous ici de généraliser, tant l’image (mécanique) y réussit sans peine ; la photographie se prête à ce décompte. Mais on semble 3 Spinoza, Traité théologico-Politique, trad. Charles Appuhn, GF, 1965, p. 60. 4 Baudelaire, Curiosités esthétiques, in Œuvres complètes, librairie Lemerre, p. 241- 2, Salon de 1859, § Le public moderne et la photographie. Philopsis L'image François Dagognet.doc © François Dagognet, 2007 4 penser que ce qui a frappé l’une ricoche sur l’autre. Roland Barthes (La chambre claire) ne cessera pas de mêler les deux, afin de mieux condamner et repousser la plus pauvre. Nous tenons pour importante la distinction entre les deux ; nous n’en profiterons pas pour renouveler la guerre entre elles, d’autant que nous assistons, en ce 20ème siècle, au relèvement de celle qui a été trop abaissée. D’abord, – qui a noté la nouvelle ? – deux photographes viennent d’être élus à l’Académie des Beaux-Arts, à l’égal du sculpteur ou du musicien. Des sociétés commencent à reconsidérer la photographie et à la hisser à la hauteur des tableaux des peintres les plus audacieux. L’image appareillée – si nous en excluons quelques simples répétitions de « l’être-là » – en arrive à rejoindre l’image créatrice (l’alliance après l’opposition), non qu’elle la simule mais elle lui équivaut en dignité. L’image ne manque pas de briser le perçu et renouvelle notre vision du uploads/s3/ image-dagognet.pdf

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