Académie d'Orléans-Tours - Site "Histoire des Arts" Conférence de Philippe FAUR

Académie d'Orléans-Tours - Site "Histoire des Arts" Conférence de Philippe FAURE, lors de la journée APHG Centre, organisée à Bourges APPROCHE DE L ’IMAGE MEDIEVALE par Philippe FAURE Maître de conférences en histoire du Moyen Age à l’Université d’Orléans Président de la Régionale Centre de l’A.P .H.G. Dire que nous sommes entrés dans une " civilisation de l’image " est un lieu commun. Du moins l’extraordinaire développement des technologies de l’image et de la communication incitent l’historien à s’intéresser de plus près aux fonctions, au statut et aux usages des images dans les sociétés qui nous ont précédé. Les questions de la création des images, de leur support, de la relation entre l’œuvre et le spectateur, qui sont les nôtres aujourd’hui, sont aussi celles des historiens. L ’image dans la culture médiévale Il faut d’abord prendre conscience de la relativité des situations historiques et anthropologiques. A pro- pos du Moyen Age, les historiens (J. Le Goff, J.-Cl. Schmitt, J. Baschet) préfèrent parler d’images plutôt que d’art, de façon à souligner qu’il ne faut pas projeter sur la période médiévale des conceptions de l’art, de la production artistique, des usages et fonctions des oeuvres, qui sont celles de la Renais- sance. Comme le dit l’historien allemand Hans Belting, il y eut, " avant l’époque de l’art " et de " l’in- vention du tableau ", " le temps des images et du culte ", durant lequel les oeuvres étaient essentielle- ment liées à des conceptions et à des pratiques cultuelles et rituelles, la dimension esthétique n’étant pas centrale. Une culture visuelle Il faut rappeler, avec Jean-Claude Schmitt, que la notion médiévale d’imago s’applique non seulement aux objets figurés, mais aussi aux images du langage (métaphores, allégories, similitudes), aux images mentales de la méditation, des rêves et des visions, souvent en rapport avec les images matérielles. De plus, il faut souligner la valeur anthropologique du concept d’imago dans le christianisme : l’- homme, nous dit la Genèse, fut créé " à l’image et à la ressemblance de Dieu " (ad imaginem et simili- tudinem dei) et le mystère central de l’Incarnation fait du Christ l’image du Père céleste. Il y a donc une relation profonde, qu’exprime la notion d’imago, entre l’homme, le Christ et Dieu le Père. Notons qu’il en résulte notamment une légitimité de la représentation de Dieu dans le christianisme. Dans le monde chrétien médiéval, il existe une grande différence dans la " culture des images " entre l’Occident latin et l’empire byzantin, et plus largement, le monde oriental de culture grecque : Contrai- rement à Byzance, l’Occident n’a pas connu de véritable " querelle des images " et de poussée icono- claste majeure (même si le débat a existé dans les sphères du pouvoir ecclésiastique n. professeur) ; ses rythmes de développement sont donc différents. Il en va de même pour le répertoire des formes, des supports et des thèmes, beaucoup plus diversifié qu’en Orient, où le règlement de la querelle des images au IXè siècle s’est traduit pas une plus grande fixité des formes, des supports, des techniques et des formules iconographiques. La culture visuelle en Occident médiéval est notamment caractérisée par une capacité d’invention d’i- mages nouvelles (par exemple l’extraordinaire développement des formules iconographiques de la Sainte Trinité), par une perméabilité aux influences extérieures (formules héritées de l’antiquité ro- maine, importations byzantines), par le retour en force des images cultuelles en trois dimen- sions à partir du IXè siècle, avec les images de majesté, les statues-reliquaires, le crucifix, qui prélude à l’essor de la statuaire romane, puis gothique. La culture médiévale a su développer un rapport original entre la figure et le fond, la construction de l’espace ne se faisant pas en perspective mais par superposition de figures qui, de l’arrière vers l’a- vant, prennent place sur leur surface d’inscription. On obtient ainsi une épaisseur et un feuilletage des plans, que Michel Pastoureau a remarquablement mis en évidence à propos de l’héraldique. Mais ce procédé est aussi largement utilisé dans l’enluminure, qui est l’une des grandes inventions du Moyen Age : le fond d’or des miniatures ou des retables reçoit en effet des figures qui sont hiérarchisées et ré- parties sur cette surface par leur taille, leur place, l’alternance de leurs couleurs, leur degré d’immobi- lité... Ainsi, les représentations ne visent pas au réalisme, mais se conforment à des codes symboliques ; il s’agit au fond de présenter l’absent ou l’invisible plutôt que de le représenter. L’image n’est ni réductible à la représentation de réalités sensibles, ni la simple illustration d’un texte. Certes, le texte peut être donné en même temps que l’image, à côté d’elle, il peut être placé dans l’image même (initiales, inscriptions, phylactères), ou être implicite, par exemple dans le cas de scènes bibliques connues de tous. Le rapport entre image et texte n’est donc pas si simple qu’on pourrait le croire. Même si l’image est à comprendre en rapport avec un texte, donné ou implicite, elle possède sa propre structure et son propre fonctionnement, à travers la disposition des figures et les relations formelles ou symboliques qu’elles entretiennent entre elles. Cette culture visuelle est une culture de la couleur, et même de la couleur saturée, qui s’oppose à la grisaille du quotidien. Comme le montrent les travaux de Michel Pastoureau, le système tradition- nel antique des couleurs, fondé sur le noir, le blanc et le rouge, évolue graduellement à partir du XIIè siècle, en faisant place au bleu, au vert, puis aux autres couleurs. Les inventions de la xylo- gravure et de l’imprimerie au XVè siècle modifient radicalement le système culturel et le rapport entre l’écrit et l’image, au profit d’une " culture du noir et blanc " qui s’impose durablement, jus- qu'à sa remise en cause par les inventions modernes (photo, cinéma, technologie numérique...), qui réintroduisent l’image et la couleur aux côtés de l’écrit. Contrairement au flux d’images que produit la société contemporaine, l’image médiévale est fixe (ce qui ne signifie pas qu’elle ne figure pas du temps, du mouvement, de la narration). Il faut donc parler, avec Jérôme Baschet, d’ "images-objets ", et relier l’image à ses contextes et usages, en mettant en valeur ses caractéristiques matérielles comme ses manipulations rituelles. Le caractère central de la figuration dans l’art chrétien ne doit pas faire oublier l’importance de la di- mension ornementale dans l’image médiévale. Les motifs géométriques ou végétaux, échos formels ou chromatiques, sont en effet essentiels à la dynamique, au rythme, au symbolisme, à la fonction de l’image. C’est ainsi que les bordures en feuilles d’acanthe des ivoires ou des miniatures ca- rolingiens sont une référence idéologique à la puissance de la Rome antique. Les " pages-tapis " des manuscrits irlandais et anglo-saxons du VIIIè siècle déclinent le motif de la croix dans une extraordi- naire profusion de spirales, d’entrelacs, d’oiseaux et d’êtres hybrides. L’ornemental est encore abon- damment présent dans l’orfèvrerie. Gemmes et métaux sont en effet les indices de la corporéité sa- crée des reliques contenues dans la châsse ou du mystère de la Passion symbolisé par la croix, ou en- core de la splendeur de la Jérusalem céleste dont tout chrétien souhaite avoir ici-bas un avant-goût. Tel est, on le sait, le projet de l’abbé Suger à Saint-Denis dans les années 1140. Fonctions des images religieuses dans la civilisation médiévale. N’ayant pas connu de " querelle des images ", l’Eglise de Rome n’a pas légiféré en matière d’images religieuses. Si l’on excepte l’iconoclasme de l’Eglise franque, dont témoignent les libri carolini rédigés à la fin du VIIIè siècle par Théodulfe d’Orléans, sous l’impulsion de Charlemagne, et dont la philosophie ne fut pas partagée par la papauté, l’Occident médiéval n’a cessé de développer un monde de l’image chrétienne. Cette pratique ne s’est pas accompagnée de réflexion théologique ni de texte normatif. Le seul document qui ait eu une véritable portée dans ce domaine n’est autre que la fameuse lettre du pape Grégoire le Grand (590-604) à l’évêque Serenus de Marseille. Réagissant précisément aux tendances iconoclastes de l’évêque, qui avait détruit des images, le pape attribue aux images peintes trois fonctions essentielles : - elles rappellent l’histoire sainte, car elles racontent des faits de portée spirituelle ; - d’autre part, elles attisent la componction ( = douleur, tristesse d’avoir offensé Dieu) des pé- cheurs ; - enfin elles instruisent les illettrés, c’est-à-dire tous ceux qui ne connaissent pas le latin, en leur mettant sous les yeux ce que les Ecritures saintes contiennent. C’est surtout cette dernière fonction qui a retenu l’attention des historiens, d’où le succès de l’expres- sion " Bible des illettrés " à propos de l’art de nos églises et cathédrales, depuis Emile Mâle. Il est vrai que la répétition systématique des représentations des faits fondateurs du christianisme rendaient les fondements de la Foi plus familiers au commun des fidèles. Mais on est aujourd’hui amené à nuan- cer considérablement la portée de cette fonction pédagogique de l’image religieuse médié- vale, pour plusieurs raisons. Il apparaît d’abord que l’emplacement des programmes peints n’était pas toujours accessible au laïc, uploads/s3/ image-medievale.pdf

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