ASp la revue du GERAS 11-14 | 1996 Actes du 17e colloque du GERAS Créativité et

ASp la revue du GERAS 11-14 | 1996 Actes du 17e colloque du GERAS Créativité et traduction spécialisée Élisabeth Lavault-Olléon Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/asp/3460 DOI : 10.4000/asp.3460 ISSN : 2108-6354 Éditeur Groupe d'étude et de recherche en anglais de spécialité Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 1996 Pagination : 121-133 ISSN : 1246-8185 Référence électronique Élisabeth Lavault-Olléon, « Créativité et traduction spécialisée », ASp [En ligne], 11-14 | 1996, mis en ligne le 29 avril 2013, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/asp/3460 ; DOI : 10.4000/asp.3460 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. Tous droits réservés Créativité et traduction spécialisée Élisabeth Lavault-Olléon 1 Pour beaucoup, la traduction se confond avec le thème et la version (que chacun a pratiqués à un moment ou un autre de sa scolarité), ou avec la traduction littéraire (où l’on « oublie » trop souvent le traducteur). Or, si l’on considère la traduction d’un point de vue professionnel, ce sont là des applications soit artificielles soit marginales de la traduction. 2 La traduction – non littéraire et non pédagogique – est omniprésente dans notre vie quotidienne, depuis le guide d’utilisateur du dernier logiciel acheté jusqu’au plus récent ouvrage sur la culture des orchidées, en passant par le western du mardi soir. Si on l’oublie, c’est que dans la plupart des cas, elle a atteint son objectif, transmettre de façon transparente ce qui aurait été incompréhensible dans la langue d’origine, à tel point que le texte semble avoir été conçu dans la langue d’arrivée. 3 Cette traduction-là, qui recouvre 90 % du volume de traduction mondial, n’a les faveurs ni des linguistes, ni du grand public : sous l’étiquette large de « traduction technique », elle est assimilée à un travail répétitif et non créatif, à une traduction sans intérêt et sans liberté. De plus, littéraires et linguistes y voient un exercice bâtard car il semble nécessiter des connaissances techniques approfondies, et de ce fait rester réservé à ceux qui sont parfois davantage des spécialistes d’un ou de plusieurs domaines spécialisés que des spécialistes de langues. 4 Pourtant le traducteur de textes non littéraires dispose souvent d’une marge de liberté insoupçonnée, qui lui permet d’exercer sa créativité. C’est ce que je voudrais démontrer dans cet article. Les exemples que je citerai proviennent de textes appartenant à des genres et des domaines de spécialité divers, englobés par J. Delisle sous l’appellation de textes « pragmatiques » (1980), regroupant aussi bien des articles scientifiques et des textes de la presse générale ou spécialisée que des textes dits utilitaires ou opératoires issus des entreprises industrielles et commerciales, qui constituent la grande masse des traductions proposées sur le marché aujourd’hui. Créativité et traduction spécialisée ASp, 11-14 | 1996 1 Définir la créativité en traduction 5 Que recouvre la notion de créativité en traduction ? En premier lieu, le pouvoir d’inventer ses propres solutions en traduction, des solutions qui ne sont ni répertoriées dans des outils lexicographiques ni préétablies par des manuels, des solutions que le traducteur fait naître de sa propre interprétation du document à traduire. 6 Les recherches sur la traduction portent plus souvent sur la problématique de la fidélité que sur les aspects créatifs du travail du traducteur. L’aptitude à inventer des solutions inédites est, de plus, peu développée en traduction pédagogique. Les cours de thème et de version prennent souvent comme référence La stylistique comparée du français et de l’anglais (Vinay & Darbelnet 1958). Les sept procédés de traduction que ses auteurs ont rendus classiques sont abondamment repris et illustrés dans les manuels de version qui se présentent parfois comme des catalogues de recettes plus ou moins stéréotypées. 7 Vinay et Darbelnet ont cependant bien averti au départ qu’ils n’offraient pas « une collection de recettes » mais que par « une confrontation des deux stylistiques, la française et l’anglaise », ils souhaitaient « dégager les lignes générales et même des lignes précises » (1958 : 26-27) qui caractérisent les génies respectifs des deux langues en présence. Ces lignes générales sous-jacentes à tout le livre, ces « traits caractérologiques du français et de l’anglais » ont été regroupés par Jean Delisle à la fin de son premier ouvrage (1980 : 244, annexe III). Si les traducteurs chevronnés ont oublié les fameux procédés (aux contours bien arbitraires), ils sont certainement imprégnés des idées reprises par ce tableau, qui souligne, entre autres, la préférence de l’anglais pour le concret, le pragmatique, la juxtaposition, l’ordre chronologique des événements, et celle du français pour l’articulation, l’interprétation, la nominalisation, etc. 8 La connaissance profonde des deux stylistiques, autant issue de l’étude qu’acquise par l’expérience, permet au traducteur de mettre en œuvre des automatismes et de traduire de façon quasiment réflexe en s’appuyant alors sur la mise en correspondance systématique des éléments de deux langues. Mais cette activité réflexe, si fondamentale qu’elle soit en traduction, n’est qu’une partie de l’activité traduisante. En fait, les limites de la stylistique comparée sont énoncées par ses propres auteurs lorsqu’ils disent vouloir « observer le fonctionnement d’une langue à une autre » (id.), ce qui les place sur le plan de l’analyse de la langue et non du discours. L’analyse contrastive, qu’elle soit approfondie dans une optique pédagogique à partir de corpus d’erreurs (Ballard 1987) ou dans une optique linguistique à la lumière de la théorie des opérations énonciatives (Chuquet & Paillard 1987) ne manque pas de laisser le traducteur professionnel non littéraire insatisfait, car elle se réfère prioritairement à l’exercice de version littéraire et s’appuie sur la résolution de problèmes de langues qu’il a le plus souvent résolus dans sa pratique. 9 Il est frappant de constater que tous les ouvrages relevant de cette approche parlent essentiellement de traduction et pratiquement jamais du traducteur. De ce fait, la créativité en traduction n’est pas mentionnée. 10 La théorie qui a, pour beaucoup, relayé l’analyse contrastive, à savoir la théorie interprétative de la traduction (Seleskovitch & Lederer 1984) se concentre, quant à elle, non pas sur la comparaison d’énoncés traduits, mais sur le processus de traduction lui- même. Elle accorde une place prépondérante aux composantes extra-linguistiques du Créativité et traduction spécialisée ASp, 11-14 | 1996 2 discours et refuse une approche linguistique de la traduction comme transfert « d’une langue à une autre » voire « d’un texte à un autre ». Elle donne au traducteur un rôle moteur dans l’activité traduisante car c’est lui qui interprète le texte en fonction de ces paramètres extra-linguistiques, qui en restitue le sens et fait pour cela les choix de reformulation qu’ils imposent. Toute traduction comporte certes des correspondances entre des termes et des vocables, mais elle ne devient texte que grâce à la création d’équivalences. C’est là l’élément central de notre théorie. (Lederer 1994 : 55) 11 La théorie interprétative de la traduction, source de frustration pour beaucoup parce qu’elle évacue systématiquement tous les problèmes de traduction qui relèvent seulement de la langue, a le mérite d’être unifiante, en ce qu’elle énonce des principes suffisamment généraux pour qu’ils s’appliquent à tout couple de langue et à quasiment tout type de texte. Son principe est l’intervention du traducteur dans l’opération traduisante, non pas comme machine à reproduire des correspondances mais comme être « interprétant » qui fonctionne à l’aide de son bagage cognitif et affectif et par sa prise de conscience d’une méthode fondée sur l’interprétation. Son corollaire est la reconnaissance de la créativité du traducteur quel que soit son domaine d’intervention : Du style le plus neutre au style le plus recherché, il ne saurait y avoir de traduction de textes sans création d’équivalences, dérivées de l’action des connaissances non linguistiques sur les significations de la langue. (Lederer 1994 : 41) 12 On pourrait arguer que créativité et création d’équivalences ne sont pas synonymes, que la première implique un pouvoir d’invention qui construit à partir du néant – la page blanche de l’écrivain – alors que la création d’équivalences que pratique le traducteur s’exerce à partir d’un matériau existant, le texte source. Le talent créateur du traducteur ne se manifeste pas comme celui de l’écrivain par l’expression d’une subjectivité dans le discours esthétique. Il prend plutôt la forme d’une sensibilité exacerbée au sens du texte de départ et d’une grande aptitude à réexprimer ce sens dans un autre texte cohérent et de même force expressive. Pour ce faire, le traducteur dispose d’une liberté relative quant au choix des moyens linguistiques. L’adéquation d’une pensée et d’une forme exige souvent de lui qu’il fasse preuve de créativité dans l’exploitation des ressources que lui offre la langue d’arrivée. (Delisle 1993 : 151) 13 Pour ma part, je parlerai de créativité chaque fois qu’il y a écart par rapport à des solutions préétablies relevant de la seule prise en compte des correspondances linguistiques (ou stylistiques). Mais cette créativité trouve ses limites dans la fidélité au sens tel qu’il est défini par la théorie interprétative (Lavault, 1985 : 50), à savoir « exprimer le vouloir-dire de l’auteur avec l’effet voulu en respectant les contraintes de la langue uploads/s3/ important-important.pdf

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