REPRÉSENTATIONS PICTURALES ET IMAGINAIRE COLLECTIF Anne Pauzet Klincksieck | «

REPRÉSENTATIONS PICTURALES ET IMAGINAIRE COLLECTIF Anne Pauzet Klincksieck | « Éla. Études de linguistique appliquée » 2005/2 no 138 | pages 137 à 151 ISSN 0071-190X DOI 10.3917/ela.138.0137 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-ela-2005-2-page-137.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Klincksieck. © Klincksieck. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) REPRÉSENTATIONS PICTURALES ET IMAGINAIRE COLLECTIF 1 Résumé : Pour accéder à la culture la plus largement partagée d’un pays par le biais des œuvres d’art et plus particulièrement de la peinture une voie mérite d’être explorée, celle qui établit le lien entre les représentations picturales et l’imaginaire collectif, celle qui postule que le décodage et la construction des images se fait toujours en relation avec d’autres plus anciennes et que le lec- teur construit du sens en puisant dans sa mémoire iconique, véritable biblio- thèque de références visuelles. Aussi, face à un public pétri d’autres références, il sera alors nécessaire de formuler ce savoir afin de ne plus fonctionner dans l’implicite. Élargir le stock de références iconiques de nos apprenants, c’est leur permettre d’accéder à cette langue étrangère que parle l’image et révéler l’imaginaire collectif véhiculé par les représentations artistiques. INTRODUCTION : LES LIENS ENTRE L’ART ET L’IMAGINAIRE COLLECTIF Des liens très étroits existent entre les représentations picturales et les pratiques sociales. Pratiques sociales et démarches artistiques sont en effet en interactions constantes. Alain Roger, dans ses écrits sur « l’artialisation » 2 explique que l’Occident est victime de l’illusion selon laquelle l’art doit être une imita- tion de la nature. Ce concept, que les autres cultures ignorent ou dédaignent, est le pur produit d’une aire culturelle limitée. En fait, même en Occident, l’art n’est jamais pure imitation même lorsqu’il se prétend « réaliste » ou « naturaliste ». « Le seul fait de re-présenter suffit à arracher la nature à sa nature » (Roger, 1997 : 12). 1. Titre inspiré du titre d’une conférence d’Annette Richard « Représentations picturales des ports et bords de mer et imaginaire collectif », Université Catholique de l’Ouest, 1998. 2. Roger, 1997. © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) L’art, selon Lévi-Strauss, « constitue au plus haut point cette prise de possession de la nature par la culture, qui est le type même des phénomènes qu’étudient les ethnologues » (Charbonnier, 1989 : 130). Ainsi, par exemple, lorsque les peintres représentent des paysages, leur nature est « à chaque fois une fonction de la culture » 3. Les peintres ont lit- téralement fait exister ce qu’avant l’on ne voyait pas : même la nature se crée dans le cerveau des hommes, c’est l’intelligence humaine qui lui donne vie. Alain Roger développe l’idée d’une mode de la nature qui ne surprendra que ceux qui s’obstinent à croire que cette dernière, régie par des lois stables, est elle-même un objet immuable, alors que l’histoire et l’ethnologie nous montrent à l’évidence que le regard humain est le lieu et le médium d’une métamor- phose incessante 4 : « A-t-on remarqué que cette indéfinissable “nature” se modifie perpétuellement, qu’elle n’est plus la même au salon de 1890 qu’aux salons d’il y a trente ans, et qu’il y a une nature à la mode – fantaisie changeante comme robes et chapeaux ? » 5 Toujours d’après A. Roger, notre regard est riche de multiples références artistiques, saturé de modèles insoupçonnés. Notre façon de regarder, la lec- ture que nous pouvons avoir d’une image est soumise à des modèles dont nous ignorons souvent qu’ils agissent et façonnent notre perception et notre jugement. Aussi, face à un public pétri d’autres références, il sera alors nécessaire de formuler ce savoir afin de ne plus fonctionner dans l’impli- cite. I. ACCÉDER À L’IMAGINAIRE COLLECTIF PAR LE BIAIS DES REPRÉSENTATIONS PICTURALES 1. 1. La mémoire iconique Élargir le stock de références iconiques de nos apprenants, c’est leur per- mettre d’accéder à cette langue étrangère que parle l’image et révéler l’ima- ginaire collectif véhiculé par les représentations artistiques. À l’instar de Geneviève Zarate, j’aimerais rappeler qu’ une image prend son sens par rapport aux images auxquelles elle se substitue […] [Son décodage] s’inscrit également dans une dimension diachronique. Toute image prend son sens dans un rapport in absentia avec d’autres images virtuelles. Le déco- dage d’une image fait appel à une mémoire iconique, stock de références visuelles, ce que Michel Tardy appelle la diégèse. 6 Geneviève Zarate explique alors que c’est sur ce point qu’intervient une compétence véritablement culturelle dans la lecture de l’image puisqu’elle 138 3. O. Spengler [Le déclin de l’Occident, Gallimard] cité par Roger, 1997 : 13. 4. Ibid. 5. Ibid. A. Roger cite M. Denis [Théories, Herman]. 6. Référence à une communication de M. Tardy : Colloque de littérature comparée, École Normale Supérieure de Saint-Cloud, 29 et 30 mai 1969. Il distingue trois référentiels de l’image : le monde, la diégèse, le fantasme. Communication citée par Zarate, 1982 : 141. © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) fait appel à un savoir qui se situe en amont d’elle-même et nécessite des connaissances antérieures issues de notre mémoire. Ainsi, analysant une publicité pour une bière de marque 7, Pierre Fresnault-Deruelle constate que la valeur allusive de la femme représentée alanguie sur un sofa peut faire naître de multiples références picturales et littéraires, à savoir le discours d’un certain art du portrait aristocratique exprimant retenue et distinction et celui d’une thématique érotique alimen- tée par le discours érotique littéraire (Sade, Crébillon) et par l’iconographie érotique (la Maja desnuda de Goya, l’Odalisque d’Ingres et Nu sur un sofa de François Boucher). Cet exemple met en lumière le réseau souterrain d’images dont nous sommes pétris. Bien-sûr, et comme l’expliquait Roland Barthes, les lecteurs ne sont pas tous à même d’énumérer l’ensemble de ces références mais ces évocations culturelles peuvent avoir un écho chez le lecteur potentiel puisque le publicitaire a construit son discours autour de ces allusions, comptant sur une connivence culturelle. L’image contemporaine constitue la partie émergée de l’iceberg et renvoie « au “Texte” sans fin de l’iconographie ». Telle annonce ou couverture de magazine, comme telle vignette de bande dessinée ou dessin de presse, peut être l’amorce d’un voyage le long d’une lignée d’images qui se sera imposé à nous comme « le dessin dans le tapis ». Il serait bien étonnant, pourrait- on ajouter, si ce parcours ne débouchait pas à tout bout de champ sur de nouveaux chemins de traverse. 8 Mettre en évidence ces réseaux, c’est permettre aux apprenants de mieux connaître la culture visuelle dans laquelle ils seront (ou sont) immergés en éloignant la vision naïve de l’image comme représentation du réel. 1. 2. La comparaison culturelle Pour approcher une culture étrangère, on peut vouloir apprendre la langue des habitants du pays mais on peut aussi s’intéresser aux modèles qui ont façonné leur regard. S’imprégner des œuvres produites dans cette culture, y entrer par le sensible, permet de mieux comprendre les interac- tions existant entre la culture et les représentations artistiques. Malraux, dans La Tentation de l’Occident 9 fait tenir ces propos à son personnage chinois : [Je concevais l’Occident comme] un pays dévoré par la géométrie. Les cornes des maisons tombaient. Les rues étaient droites, les vêtements rigides, les meubles rectan- gulaires. Les jardins des palais démontraient – non sans beauté – des théorèmes. La création sans cesse renouvelée par l’action d’un monde destiné à l’action, voilà ce qui me semblait alors l’âme de l’Europe, dont la soumission à la volonté de l’homme dominait les formes, 139 7. Fresnault-Deruelle, 1979. 8. Ibid., p. 27. 9. Malraux, 1951. © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) © Klincksieck | Téléchargé le 11/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.163.245) ou encore J’ai parcouru les salles de vos musées, votre génie m’y a rempli d’angoisse. Vos dieux même, et leur grandeur tachée, comme leur image, de larmes et de sang, une puissance sauvage les anime. Les rares visages apaisés que je voudrais aimer, un destin tragique pèse sur leurs paupières baissées : ce qui vous les a fait choisir, c’est de les [les divini- tés] savoir les élues de la mort. 10 Cet extrait résume bien, me semble-t-il, les propos tenus précédemment. L’auteur relie formes et valeurs (c’est le cas pour uploads/s3/ introduction-les-liens-entre-l-art-et-l-imaginaire-collectif.pdf

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