G ALLIMAR D JACQUELINE LICHTENSTEIN LES RAISONS DE L’ART Essai sur les théories
G ALLIMAR D JACQUELINE LICHTENSTEIN LES RAISONS DE L’ART Essai sur les théories de la peinture DU MÊME AUTEUR LA COULEUR ÉLOQUENTE. Rhétorique et peinture à l’âge classique, Flamma rion, coll. Idées et Recherches, 1989, rééd. coll. Champs Arts (1999) 2013. LA PEINTURE (dir.), Larousse, coll. Textes essentiels, 1995. LA TACHE AVEUGLE. Essai sur les rapports de la peinture et de la sculpture à l’âge moderne, Gallimard, coll. NRF essais, 2003. CONFÉRENCES DE L’ACADÉMIE ROYALE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE (avec Christian Michel), édition complète scientifique et critique, 11 vol., École nationale supérieure des beaux- arts, 2007‑2014. Jacqueline Lichtenstein Les raisons de l’art essai sur les théories de la peinture Gallimard Lichtenstein, Jacqueline (1947- ) Philosophie et théorie des arts : esthétique : Kant ; esthétique contemporaine : discours des philosophes sur la peinture ; Histoire de l’art : conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture (1667‑1793) ; peinture : techniques et problèmes ; discours des artistes peintres. © Éditions Gallimard, 2014. La théorie n’est autre chose que la raison de l’art. comte de caylus avant- propos Il faut avoir éprouvé les difficultés du talent pour juger du mérite qu’il y a à les surmonter. Aussi voit- on qu’en général, les plus sûrs connaisseurs sont ceux qui ont fait quelque exercice de l’art, pourvu toutefois qu’ils ne soient point aveuglés par des goûts exclusifs ou par des préjugés d’habitude. charles nicolas cochin1 Toujours le créateur s’est trouvé en désavantage vis- à- vis de celui qui ne faisait que regarder sans mettre lui- même la main à la pâte. friedrich nietzsche2 C’était un colloque consacré à la définition de l’art. J’avais parlé des théoriciens de l’art du xviie et du xviiie siècle et je rejoignais ma place dans la salle lorsque j’entendis celui qui venait après moi dire à l’adresse du public : « Ma communication sera très différente de celle de Jacqueline Lichtenstein ; je vais traiter la question du point de vue de la philosophie et non plus de l’histoire de l’art. » Cette remarque plutôt cuistre et assez vexante me surprit un peu ! Je soupçonnais certes depuis longtemps la plupart de mes « collègues » philosophes de ne pas prendre mon travail très au sérieux philosophiquement, de le trouver trop historique, trop littéraire, pas assez théo rique. Mais c’était bien la première fois que j’entendais dire aussi brutalement, aussi explicitement, sur un ton de parfaite évidence, que ce que je faisais ne méritait pas d’être qualifié de philosophique ! Je dis « méritait » car il y avait incontestablement une nuance, sinon de mépris du moins de condescendance dans cette phrase qui voulait signifier qu’on allait à présent passer à quelque chose de plus élevé, qu’à une approche essentiellement positiviste — et l’on sait la connotation péjorative que ce terme peut avoir ! — allait enfin succéder le noble exercice de la pen sée. Je n’ai pas eu l’esprit de me défendre. Que pouvais- je dire ? J’aurais été bien incapable d’expliquer en quoi ma démarche était tout aussi philosophique que la sienne mais impliquait sans doute une autre idée, une autre concep tion de la philosophie. Il m’aurait fallu lui opposer des arguments auxquels, il faut bien l’avouer, je n’avais pas jusque- là réfléchi. Depuis que j’avais commencé à écrire sur l’art, je ne m’étais jamais posé la question de savoir si ce que je faisais était ou non de la philosophie. J’avais bien conscience que mes recherches s’écartaient sensiblement de la plupart de celles que les philosophes rangent sous la rubrique « esthétique », ne serait- ce que par la nature résolument non philosophique de mon corpus. Je ne tra vaillais pas en effet sur Kant, Hegel ou Heidegger, mais sur les conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, Roger de Piles ou l’abbé Du Bos ; je ne m’in téressais pas à la définition de l’art ou du beau, de l’expé rience esthétique, du sublime ou du génie, mais au statut du dessin, à la fonction des règles dans l’art ou aux débats sur le coloris. Mais les contours de cette discipline philoso phique qu’est l’esthétique m’ont toujours paru si flous que Les raisons de l’art 10 je ne m’inquiétais pas de savoir si ce que je faisais y avait sa place, même si j’étais consciente que ça relevait moins de ce que les Français appellent l’esthétique que de ce que les Allemands nomment Kunstwissenschaft, science de l’art3. Les problèmes chers à la réflexion esthétique depuis le xviiie siècle, et particulièrement ceux légués par l’héri tage kantien, au fond ne m’intéressaient pas vraiment. Je me passionnais en revanche pour les problèmes artistiques, ceux auxquels les artistes étaient confrontés dans la pra tique de leur art, qu’il s’agisse de peinture, de littérature, de sculpture ou de théâtre, et par les différentes manières qu’ils avaient trouvées, au cours des siècles, de les résoudre. Mais il est vrai que mon intérêt pour l’art avait précédé de longtemps mon intérêt pour la philosophie ; il devait peu à la manière dont l’activité artistique avait pu, au cours des siècles, être promue à la dignité d’un objet phi losophique, que ce soit par les métaphysiques du beau ou les diverses tendances de l’esthétique. Je n’avais pas choisi de m’intéresser à l’art pour des raisons philosophiques, parce que c’était un bon « objet » théorique — ce qu’il est incontestablement par ailleurs —, et encore moins parce que cet objet était de plus en plus à la mode chez les philosophes. L’esthétique avait été pour moi le moyen de concilier une passion philosophique assez tardive, avec une vocation artistique à laquelle les circonstances, et peut-être aussi le manque de talent, d’énergie ou de détermination, m’avaient obligée à renoncer4. Je pouvais faire de la philosophie tout en continuant à me rapporter à l’art, non plus à travers une pratique artistique, comme précédemment, mais d’une manière — hélas, ai- je envie d’ajouter — exclusivement théorique. Mais je ne m’atten dais guère à ce que la dimension pratique de l’art, celle à laquelle j’avais précisément renoncé, revienne hanter avec tant d’insistance toutes mes analyses pour s’imposer Avant- propos 11 à moi sous une forme nouvelle, à savoir une forme théo rique, comme une condition nécessaire à la réflexion sur l’art. J’ai compris peu à peu que la célèbre déclaration de Poussin selon laquelle « le bien juger est très difficile, si l’on n’a en cet art grande théorie et pratique jointes ensemble5 » ne devait pas s’entendre seulement en un seul sens, comme l’expression de cette volonté propre à la pensée de la Renaissance et de l’âge classique d’élever la peinture à la dignité d’une activité libérale, mais égale ment comme l’affirmation que la réflexion théorique était elle- même inséparable de la pratique artistique. Cela explique l’intérêt que j’ai porté aux conférences qui se sont tenues à l’Académie royale de peinture et de sculpture jusqu’à sa dissolution en 1793. La volonté de consacrer des séances à des discussions autour d’une œuvre ou d’un problème artistique s’est exprimée dès la naissance de l’Académie. Mais le projet desdites « confé rences » mit une vingtaine d’années à se réaliser puisqu’il ne sera adopté par l’Académie qu’en 1667. Tous les mois, un académicien était chargé de « faire l’explication d’un des meilleurs tableaux du Cabinet du Roy », en présence de l’assemblée6. L’explication de l’œuvre devait être chaque fois l’occasion de soulever un problème précis touchant à l’une des « difficultés » de l’art, pour reprendre le terme utilisé par les rédacteurs du projet. La conférence inaugu rale de Le Brun sur Le Grand saint Michel de Raphaël, le 7 mai 1667, fut ainsi l’occasion de s’arrêter sur l’expression du sujet et la correction du dessin ; celle de Nocret, le 1er octobre 1667, sur Les Pèlerins d’Emmaüs de Véronèse, de réfléchir sur la répartition des lumières ; celle de Cham paigne, le 7 janvier 1668, sur Eliezer et Rebecca de Poussin, de s’interroger sur les libertés que le peintre peut prendre par rapport à l’histoire ; celle de Le Brun sur La Manne de Poussin de traiter la question de l’expression des pas Les raisons de l’art 12 sions… Dans un article consacré à la publication, en 1883, par Henry Jouin, d’un premier ensemble de conférences, Ferdinand Brunetière avait à juste titre insisté sur la nature très particulière de ces discours : Ce sont des artistes qui parlent de leur art. Ils démêlent dans une œuvre d’art, dans La Sainte famille ou dans L’En sevelissement du Christ, dans le Laocoon ou dans l’Hercule Far nèse, les qualités qui rendent raison à la foule de ce qu’il y a toujours de vague et de confus dans la sincérité même de son admiration. […] Leurs raisons valent ce qu’elles valent. Elles sont bonnes ou elles sont mauvaises, mais ce sont des raisons d’artistes, et si quelquefois, comme à tout le monde, il leur arrive de prendre leurs préjugés pour des raisons, ce sont encore des préjugés d’art. Dans une dissertation sur l’Effet des uploads/s3/ les-raisons-de-l-art-essa-pdf.pdf
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- Publié le Aoû 19, 2021
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