Perspective Actualité en histoire de l’art 1 | 2011 Période moderne/Époque cont
Perspective Actualité en histoire de l’art 1 | 2011 Période moderne/Époque contemporaine Cinéma et musée : nouvelles temporalités Film and the museum: new temporalities Érik Bullot, Angela Dalle Vacche, Philippe-Alain Michaud et Hervé Joubert-Laurencin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/1021 DOI : 10.4000/perspective.1021 ISSN : 2269-7721 Éditeur Institut national d'histoire de l'art Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2011 Pagination : 523-533 ISSN : 1777-7852 Référence électronique Érik Bullot, Angela Dalle Vacche, Philippe-Alain Michaud et Hervé Joubert-Laurencin, « Cinéma et musée : nouvelles temporalités », Perspective [En ligne], 1 | 2011, mis en ligne le 12 août 2013, consulté le 04 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/perspective/1021 ; DOI : 10.4000/ perspective.1021 DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 3 523 Les contributions qui suivent partaient d’un constat apparemment indiscu- table et admis d’avance, soit qu’on l’admette pour s’en réjouir, soit qu’on l’estime décadent : toutes les formes possibles de cinéma, archaïques ou actuelles, commerciales ou expérimentales, dessinées ou enregistrées, sont aujourd’hui présentes au musée. Or, cela ne va pas de soi. Cette évidence d’époque n’est peut-être ni évidente ni propre à notre temps. Rapprocher musée et cinéma n’a tout d’abord rien d’évident parce que, par-delà toute archéologie et toute technologie, le « cinéma » est une boîte noire, dont la vérité originelle consiste à capturer la vie extérieure dans une « chambre ob scure » mécanisée, fût-elle une caméra numérique ou un dispositif de motion capture, pour la redonner en images et en projection dans une « salle obscure ». Le musée de son côté, pris dans le sens plus large d’expérience d’exposition, serait par opposition un white cube aux murs blancs illuminés, sur lesquels ou devant lesquels l’objet d’art, venu d’une subjectivité, se pro- jette vers l’extérieur. Questionner leur rapprochement revient à reprendre à nouveaux frais les questions de philosophie de l’art posées jusqu’ici au cinéma en termes de spécifi cité, et c’est à ce point qu’Angela Dalle Vacche reprend le débat, avec son excitante proposition de cinéma comme « musée sans murs », qu’elle confronte de manière très originale à la théorie du réa- lisme d’André Bazin, située brièvement mais avec pénétration. La nouveauté du rapprochement peut nous paraître frappante depuis la fi n des années 1980, et même relancée plus récemment par l'importance croissante de la technologie numérique dans notre vie quotidienne comme dans l’industrie du cinéma. Les écrans plats ont promu un temps l’accrochage des images mouvantes aux côtés des tableaux comme si de rien n’était : nous avons connu, en France, les impressionnistes fl anqués des fi lms Lumière, les Disney expo sés avec la peinture européenne plus ou moins kitsch du XIXe siècle, ou encore les œuvres de Jean Renoir avec celles de Pierre-Auguste Renoir… Nouveauté rien moins que discutable pourtant quand on y regarde de plus près, comme le font ici d’Erik Bullot et de Philippe-Alain Michaud. Depuis les années 1910 et jusqu’aux années 1980, le débat cinéma-musée – si on devait le repérer sachant qu'il n’était pas alors consti- tué pour lui-même – se trouvait plutôt pensé dans le cadre du « fi lm d’art » (le docu mentaire sur l’art, le critofi lm à la Ragghianti 1, l’analyse d’un tableau Érik Bullot, cinéaste et critique, a coordonné Pointligneplan : cinéma et art contemporain (2002) et prépare un essai, Sortir du cinéma. Directeur des études à l’École européenne supérieure de l’image (Angoulême-Poitiers), il enseigne à la State University of New York, Buffalo. Angela Dalle Vacche est l’auteur de Cinema and Painting: How Film Is Used in Film (1996) et Diva: Defi ance and Passion in Early Italian Cinema (2008), et a dirigé l’anthologie The Visual Turn: Classical Film Theory and Art History (2002). Elle prépare un livre sur André Bazin: Art, Film, Science. Hervé Joubert-Laurencin est professeur d’études cinéma- tographiques et directeur du Centre de Recherches en Arts de l’université de Picardie. Spécialiste de l’œuvre de Pasolini et du cinéma d’animation, il a co-dirigé l’ouvrage Opening Bazin. Philippe-Alain Michaud, historien de l’art et théoricien du cinéma et des images, est chef du service cinéma du MNAM-CCI, Paris. Il a notamment publié Sketches : histoire de l’art, cinéma (2006) et conçu l’exposition Le Mouvement des images (MNAM, 2006-2007). Cinéma et musée : nouvelles temporalités Débat entre Érik Bullot, Angela Dalle Vacche et Philippe-Alain Michaud, avec Hervé Joubert-Laurencin ÉPOQUE CONTEMPORAINE 524 DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 3 ou d’une œuvre) ou encore au sein du discours de l’avant-garde, qui four- nit régulièrement des artistes complets réalisant des fi lms expérimentaux en même temps que des œuvres plastiques, et dont le rôle de passeurs reste es- sentiel pour comprendre comment le cinéma put entrer un jour au musée. Ces questions ne sont évidemment pas éteintes et ont pu se renouveler. On peut donc supposer que la question spécifi que musée-cinéma, malgré sa supposée évidence, est nouvelle non pas en tant que réalité, mais bien en tant que discours. L’écriture suscitée par le cinéma a toujours dédaigné le concept de « postmodernité », mais Jean-Claude Biette inventa en 1987 l’idée de « fi lms-visites guidées du vieux cinéma », version proprement mu- séale de ce qu’il avait appelé dix ans plus tôt le « cinéma fi lmé » 2, consistant à recréer artifi ciellement dans le goût du jour le devenir patrimonial du cinéma du passé, de mieux en mieux connu dans le détail par ses reproductions do- mestiques télévisées, en cassettes vidéo, puis en DVD. Plusieurs « fi ns » du cinéma sont évoquées au passage dans ce débat : leur multiplicité même (car on pourrait en ajouter quelques-unes, de ces « morts » du cinéma) les rend ironiques, et aucun des intervenants ne les tient pour des réalités historiques ou conceptuelles : le cinéma est toujours là et il prend diverses formes, inat- tendues, comme ce fut le cas depuis son origine à la fi n du XIXe siècle. Cela si- gnifi e seulement que le temps du débat comme celui de la question débattue n’est pas un problème de datation chronologique, car le cinéma, depuis son apparition historique avérée au sein des arts plus immémoriaux (ou – c’est paradoxalement égal – plus historiquement déterminés) et de leurs habitudes d’exposition, répond à une temporalité propre, ou plutôt met en jeu des tem- poralités changeantes, diversifi ées et paradoxales [Hervé Joubert-Laurencin]. Éloge de la voie de garage Érik Bullot On peut observer depuis une quinzaine d’années un déplacement profond des territoires de l’art et du cinéma. Des fi lms destinés a priori à la salle ou aux festivals ne rencontrent plus l’accueil attendu. Désormais le lieu de diffusion de ces fi lms est souvent celui des arts plastiques. À l’intérieur de ce déplacement du cinéma vers le champ de l’art, marqué par un certain nombre de déterritorialisations et de reterritorialisations, le musée occupe une place centrale. Il n’est en aucun cas un lieu antinomique au médium. Dès les années d’après-guerre, on peut percevoir des signes manifestes d’un devenir-musée du cinéma. Je m’attacherai à évoquer ici trois exemples, relatifs aux seules années 1946-1947. « Art in cinema » « Art in Cinema » est le titre générique d’une série d’événements annuels, parfois accom pagnés de conférences, conçue par Frank Stauffacher et Richard Foster en 1946 et poursuivie par Stauffacher jusqu’en 1954, en partenariat avec le San Francisco Museum of Art. Organisée à l’automne 1946, la première série privilégie les artistes et cinéastes européens et donne lieu à l’édition d’un catalogue l’année suivante, obéissant aux Cinéma et musée DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 3 525 critères scientifi ques de la muséologie moderne (notices des œuvres, textes critiques, anthologies, panoramas). Selon la feuille de programme parue en septembre 1946 (fi g. 1), « Art in Cinema » se propose d’explorer les relations entre le cinéma et les autres arts (sculpture, peinture, poésie), de stimuler l’intérêt du spectateur pour le cinéma comme art créatif et d’offrir une diffu- sion aux artistes contemporains américains qui travaillent dans l’obscurité. L’intérêt de cette manifestation réside dans sa conscience très nette du mu- sée comme ressaisie de l’avant-garde. La proposition est assez exemplaire. L’après-guerre représente en effet un moment critique de l’avant-garde. Celle-ci a-t-elle disparu ? A-t-elle un avenir ? Les avis divergent. On trouve un signe éloquent de ce débat dans l’article d’André Bazin, publié en 1948, « Défense de l’avant-garde » 3 – un titre totalement trompeur puisqu’il en sonne le glas. Sa condamnation de l’avant-garde repose sur le souhait d’une autonomie artistique du cinéma (ce fut l’objectif de la « politique des auteurs »), débar- rassé de la tutelle, voire du surmoi artistique de l’avant-garde, et la prise en compte du caractère populaire et industriel du cinéma. « Toute recherche esthétique », écrit-il en évoquant l’avant-garde, « fondée sur une restriction de son audience est donc d’abord une erreur historique vouée d’avance à l’échec : une voie de garage » 4. L’avant-garde est pour Bazin un chapitre clos de l’histoire du cinéma. « Art in Cinema » est une réponse à cette situation. Non seulement la manifestation programme la production d’avant-garde contemporaine, qui prendra uploads/s3/ perspective-1021.pdf
Documents similaires
-
15
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 31, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2802MB