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Disponible en ligne à www.sciencedirect.com ScienceDirect Historia Mathematica 41 (2014) 506–517 www.elsevier.com/locate/yhmat Les Récréations Mathématiques d’Édouard Lucas: quelques éclairages Anne-Marie Décaillot 1 Disponible sur Internet le 25 juillet 2014 Résumé L’article est consacré à la contribution d’Edouard Lucas au développement, en France, des récréations mathématiques dans la période de l’après-guerre de 1870. Le nom de Lucas est associé à quatre volumes de Récréations mathématiques, publiés entre 1882 et 1894 (les deux derniers ayant paru à titre posthume), ainsi qu’à L’arithmétique amusante imprimée en 1895 également après son décès. L’auteur analyse le contexte de réforme de l’enseignement scientifique au sein duquel les récréations mathématiques apparurent comme un moyen d’attirer un plus large public vers des activités scientifiques aussi bien que d’inspirer à des jeunes le désir de se tourner vers les sciences. L’article éclaire comment au sein de nouvelles associations qui furent fondées en vue de promouvoir la science (Association Française pour l’Avancement des Sciences, Société Mathématique de France) se constituèrent des groupes sociaux à la dimension internationale et très actifs dans la promotion et le développement des Récréations mathématiques. Enfin, l’article suggère que ce type d’activité mathématique permit de cultiver des domaines que le milieu académique français de l’époque percevait comme marginaux, comme la théorie des nombres, l’analysis situs et leurs applications. © 2014 Elsevier Inc. Tous droits réservés. Abstract The article is devoted to Edouard Lucas’s contribution to the development of mathematical recreations in the France of the post 1870 war period. Lucas’s name is associated to four volumes of Récréations mathématiques published between 1882 and 1894 (the last two having been published posthumously) and to a posthumous volume L’Arithmétique amusante, which appeared in 1895. The author analyzes the context of reform of science education in relation to which mathematical recreations appeared as a means of attracting a wider public to scientific activities and inspiring young people to study science. The article brings to light how the milieu of new associations which took shape to promote science (Association Française pour l’Avancement des Sciences, Société Mathématique de France) allowed the constitution of social groups internationally connected and quite active in the promotion and development of mathematical recreations. Lastly, the article suggests that this type of mathematical activity allowed the cultivation of fields that at the time the French academic milieu perceived as marginal such as number theory and analysis situs as well as their applications. © 2014 Elsevier Inc. Tous droits réservés. 1 Note de Karine Chemla, éditrice de ce numéro: Anne-Marie Décaillot m’avait confié cet article, pour qu’il soit inséré dans ce numéro special d’Historia Mathematica, peu avant son décès, le 22 novembre 2011, des suites d’une longue maladie. Je l’ai soumis pour elle à la revue, sans qu’elle ait pu le revoir. Sans doute l’aurait-elle révisé, en tenant compte en particulier d’avis de referees. Dans ces circonstances, je n’ai pas voulu modifier l’article, si ce n’est en corrigeant quelques coquilles. La modestie d’Anne-Marie Décaillot s’illustre parfaitement dans le fait qu’elle n’avait pas inclus sa propre thèse de doctorat dans la bibliographie de l’article (Décaillot, 1999). J’ai fait figurer ce titre dans une bibliographie complémentaire à la sienne. En revanche, je n’ai pas ajouté les titres parus après le décès de l’auteur, pas plus que je n’ai jugé opportun d’ajouter les titres qu’elle connaissait et avait choisi de ne pas inclure dans sa bibliographie. http://dx.doi.org/10.1016/j.hm.2014.05.005 0315-0860/© 2014 Elsevier Inc. Tous droits réservés. A.-M. Décaillot / Historia Mathematica 41 (2014) 506–517 507 MSC: 97A20 Keywords: Mathematical recreations; Associations; Number theory 1. Les écrits posthumes Les quatre livres de Récréations mathématiques que nous devons à l’arithméticien Edouard Lucas ont connu des fortunes bien diverses. Seuls les deux premiers volumes sont publiés du vivant de leur auteur (entre 1882 et 1883), avec un succès que confirme leur réédition rapide. La mort accidentelle de Lucas en 1891 laisse à ses successeurs une série de notes manuscrites dont le dépouillement est confié par la Société mathématique de France à un groupe de scientifiques proches de l’arithméticien. Il s’agit de Henri Delannoy, Émile Lemoine et Charles-Ange Laisant, tous trois anciens élèves de l’École polytechnique. Henri Delannoy (1833–1915) suit une carrière d’officier d’artillerie, puis de sous-intendant militaire avant de se retirer dans la Creuse. C’est à la lecture des articles que Lucas fait paraître dès la fin des années 1870 dans la revue La Nature, ou La Revue Scientifique (connue aussi sous le nom de Revue rose), que Delannoy entame une carrière de mathématicien amateur. Il devient rapidement un collaborateur de Lucas, qui l’oriente vers l’étude de la combinatoire liée aux cheminements sur un échiquier et vers l’examen de questions concernant les carrés magiques (Schwer and Autebert, 2006). À la fin de ses études, Émile Lemoine (1840–1912) exerce les fonctions d’enseignant dans plusieurs établissements privés, avant d’être recruté à l’École polytechnique. Il finit par choisir la voie d’ingénieur civil et devient inspecteur du département du gaz à Paris. Son œuvre scientifique concerne la géométrie du triangle. Lemoine attire l’attention sur un point spécifique du triangle, qui porte désormais son nom.2 Il développe également la “géométrographie,” c’est-à-dire la recherche du nombre minimal de constructions à la règle et au compas qu’il faut effectuer pour obtenir une figure géométrique donnée. Charles-Ange Laisant (1841–1920) amorce une carrière militaire comme officier du Génie; à ce titre, sa conduite est brillante pendant le siège de Paris. Très vite cependant il s’oriente vers une carrière politique. Député, Laisant siège à la Chambre dans le groupe de l’Union Républicaine. Adversaire des ministères “opportunistes,” il mène le combat tant à la Chambre que dans son journal La République radicale. Lié au général Boulanger, Laisant lui apporte la caution du “groupe ouvrier” de 1855 dont il fait parti. L’échec du mouvement boulangiste le décourage; le scandale de Panama achève de l’éloigner de son engagement politique initial. Il abandonne toute activité parlementaire en 1893 et se rapproche alors du mouvement anarchiste, auquel il demeure fidèle jusqu’à ses derniers jours. Parallèlement à son activité politique, Laisant se montre très actif sur le plan scientifique. Ses publi- cations mathématiques sont nombreuses. Elles sont confortées en 1877 par une thèse sur les applications mécaniques du calcul des quaternions de l’Anglais William Rowan Hamilton (Laisant, 1877). Laisant fonde par ailleurs plusieurs revues scientifiques comme L’Intermédiaire des mathématiciens en 1894, avec Émile Lemoine, et la revue genevoise L’Enseignement mathématique en 1899 avec Henri Fehr. Il dirige également la partie mathématique de la Grande encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, sous la direction générale de Marcelin Berthelot. 2 Lemoine prouve que les symédianes d’un triangle (symétriques des médianes par rapport aux bissectrices) sont concourantes en un point appelé “point de Lemoine.” 508 A.-M. Décaillot / Historia Mathematica 41 (2014) 506–517 Ces personnalités ont plusieurs points communs. Elles ont pour la plupart été engagées dans les durs combats qui ont marqué la France en 1870–1871.3 Toutes sont, d’autre part, membres de sociétés savantes et d’associations scientifiques, point important sur lequel nous reviendrons. Ces engagements permettent de comprendre le choix de la Société mathématique de France qui confie à Laisant, Delannoy et Lemoine la mission de donner forme aux notes manuscrites de Lucas, en vue de publications ardemment souhaitées par l’éditeur Gauthier-Villars. Il apparaît qu’un troisième volume de récréations figure dans les notes de Lucas sous une forme rédac- tionnelle achevée. Il est rapidement publié puisque le 13 janvier 1893 Laisant annonce à Delannoy que “le 3è volume des Récréations mathématiques va paraître incessamment.”4 Un quatrième volume, à l’état d’ébauche, demande un travail d’écriture et de mise en forme ultime en vue d’une publication. Ce sera la tâche d’Henri Delannoy à qui Laisant précise dans la même lettre: “Vous devez avoir en mains tous les éléments pour le 4è [volume]. Il faudra bientôt vous en occuper.” Le travail de Laisant consiste pour sa part à examiner les matériaux pouvant concerner un deuxième tome de la Théorie des nombres. Dans une lettre à Émile Lemoine de 1894, il commente ses recherches en ces termes: “Il faudra encore attendre pour la Théorie des nombres et nous y trouverons moins encore que je ne l’avais espéré.”5 En 1895, Lemoine est amené à préciser que le dépouillement des notes de Lucas conduit à une conclusion décevante: “Le tome II et le tome III de la Théorie des nombres ne paraîtront pas; il n’y avait que des jalons et des notes compréhensibles par l’auteur seulement.”6 Cette position est réaffirmée en 1895, dans L’Intermédiaire des mathématiciens, sous la signature de Delannoy, de Laisant et de Lemoine: L’examen attentif des papiers laissés par Édouard Lucas a conduit à cette conclusion que, contrairement à l’espoir du premier moment, il serait très difficile de publier une suite à la Théorie des nombres, dont le tome I seul a paru. Toutefois, les notes de l’auteur, certains passages de sa correspondance, et la réimpression de quelques Mémoires de lui, assez peu connus, formeraient un volume intéressant pour ceux qui cultivent l’Arithmétique supérieure. C’est là un projet qui n’est pas complètement abandonné, mais dont la réalisation ne saurait être prochaine, quoi qu’il uploads/s3/ les-re-cre-ations-mathe-matiques-d-x27-e-douard-lucas.pdf

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