Persée http://www.persee.fr Ressemblance mythifiée et ressemblance oubliée chez

Persée http://www.persee.fr Ressemblance mythifiée et ressemblance oubliée chez Vasari : la légende du portrait sur le vif Didi-Huberman Georges Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, Année 1994, Volume 106, Numéro 2 p. 383 - 432 Voir l'article en ligne Avertissement L'éditeur du site « PERSEE » – le Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, Direction de l'enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation – détient la propriété intellectuelle et les droits d’exploitation. A ce titre il est titulaire des droits d'auteur et du droit sui generis du producteur de bases de données sur ce site conformément à la loi n°98-536 du 1er juillet 1998 relative aux bases de données. Les oeuvres reproduites sur le site « PERSEE » sont protégées par les dispositions générales du Code de la propriété intellectuelle. 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HISTOIRE DE L' ART GEORGES DIDT-HUBERMAN RESSEMBLANCE MYTHIFIEE ET RESSEMBLANCE OUBLIEE CHEZ VASARI : LA LEGENDE DU PORTRAIT «SUR LE VIF» L A RESSEMBLANCE INVENTEE, OU L'EVIDENCE COMME L EGENDE La Renaissance florentine a !'insigne reputation d'avoir, dans le domaine des arts visuels, reinvente !'imita tion, et restaure par la quelque chose comme un age d'or de la ressemblance. Exploree, m aitrisee, glori- fiee, la ressemblance - qui n'est apres tout qu'une relation et qui, au dire expres d'Aristote, devrait s'entendre toujours differemment, differentielle- ment, dans Ia m esure ou les pratiques qui Ia visent «different entre elles de trois fa~ons : o u elles imitent par des moyens differents, ou elles imitent des chases differentes, ou elles imitent d'une maniere diffe re nte 1 » -, la res- semblance, done, sera devenue dans le cadre de l'huma nisme une chose supe rlative, un terme si je puis dire, a e ntendre dans les deux sens que ce m ot admet en fran~a is . La ressemblance fut un terme dans Ia mesure, d'abord, ou elle se concretisait a travers les objets toujours plus prodigie ux d'un (( naturalisme integra J2 » dont le Qua ttrocento n ous a la isse, surtout da ns )'art du portrait, tant d'reuvres, tant de c hefs-d'reuvre pcints ou sculptes. Un embleme signi- ficatif de ce « naturalisme integral» pcut e tre trouve dans une admirable sculpture florentine - un comble de Ia ressemblance, aimerait-on dire, que les historiens de !'art ne savent toujours pas s'il faut l'attribuer ou non a Donatello : c'est un buste en terre cuite polychrome, en grandeur naturelle, donne comme le portrait de Niccolo da Uzzano, citoyen illustre de Flo- rence3 (fig. 1 ). Sa datation probable vers 1432 nous montre com bien Ia I ARJSTOTE, La Poetique, I. 1447a, ed. et trad . J. Hardy, Paris, 1932 (6• ed . 1975), p. 29 Ue souligne). Significatif pour nous, le fait que ce sont Ia, pratiquement. les premiers mots de notre premier grand traite d'esthetique en Occident. 2 Cf. par exemple A. P ARRONCHI, Il naturalismo integrale del primo Quattrocento (1967), dans Donatello e il potere, Flo rence-Bologne, 1980, p. 27-37. 3 Cf. nota mment L. PLA NJSCIG, Jl busto del cosidetto Niccolo da Vzzano non e MEFRIM- 106- 1994- 2, p. 383-432 384 GEORGES D!Dl-IIUBERMAN Renaissance florentine sut acceder precoccm ent a un realism e extraordi- n a ire, que signe Ia un travail probablement realise «SUr le vif». L'historien des styles risquera ~ 'ailleurs de s'en trouver tout deroute, habitue qu'il peut e tre au caractere plus « ouvrage » d es orfevreries ghibertiennes ou bien , sym etriquement, a l'heroisme plus schematique d'un Nanni di Banco. En face de cela, le buste donatellien, cinquante ou soixante ans avant les terres cuites de Guido Mazzoni\ nous montre combien l'«absolue ressemblance » a ura pu constituer, des le premier tiers du xve siecle, Ia revendication fon- da mentale d'une ceuvre plastique. La ressemblance apparait done bien ici comme le terme meme du tra- vail a rtistique : a entendre cette fois comme sa raison (sa cause formelle), son enjeu, comme la fin ultime (la cause finale) de toute une esthetique vouee corps et arne, si l'on ose dire, a ux pou voirs de !'imitation. Une telle s ituation, on le sait, ne faisait que commencer ; depuis les traites d'art du Cinquecento jusqu'aux evidences impensees de beaucoup d'historiens de l'art, aujourd'hui, la ressemblance humaine - et, partant, humaniste- aura constitue une espece d'axiome de base, une donnee absolue, evidente, inu- tile a dem ontrer, pour comprendre ou pour simplem ent apprehender la culture visuelle de toute une epoque. Mais que !'art du Ouattrocento soit m assivement et incontestablement mimetique, cela autorise-t-il - metho- dologiquem ent - de traiter Ia ressemblance comme un terme substantia- lise, un axiome non problematique, une fin en soi? Faire de Ia ressem- bla nce un terme substantialise, un a xiome, une fin en soi, n'est-ce pas Ia m eilleure fac;on d'oublier, avec la prudence m ethodologique d'Aristote, Ia n a ture essentiellement differentielle, done problematique, la nature essen- tiellement relationnelle et relative de toute ressemblance? Faire de Ia ressemblance un terme, oublier peu a peu la complexite et l'inevidence de sa nature relationnelle, voila pourtant qui fut l'ceuvre d'une longue tradition, tendue entre l'histoire de l'art academique de Vasari - revendiquee comme humaniste - et l'histoire de l'art «scientifique» - elle dovuto a Donatello, dans Firenze e il mondo, I, 1948, p. 35-37. H . W. JANSON, The Scu.lpture of Donatello, Princeton , 1957, II, p. 237-240. M. G. CIARDI DuPRE D AL Poc- G ETTO, Una nuova proposta peril «Niccolo da Vzzano» , dans Donatello e il suo tempo. Atti dell'V/11 Convegno internazionale di studi sui Rinascimento, Florence, 1968, p. 283-289. P. Barocchi et G. Gaeta Bertela (dir.), Donatello, Niccolo da Vzzano, Flo- re nce, 1986, rendent l'reuvre a Donatello , sur Ia base de sa n!cente restauration. J. Po pe-Hennesy (Donatello , trad. J. Bounio rt, Paris, 1993, p. 140-143) aura fini pa r y reconnaltre «l'evidence [de] Ia paternite de Dona tello n (p. 142). tandis qu'A. Rose- na uer (Donatello, Mila n, 1993, p . 319-320) I'a ttribue a Deside rio <.Ia Settignano. 4 Cf. A. LuGu , Guido Mazzoni e La rinascita della terracotta nel Quattrocento , Tur in, 1990, qui, curie usement, ne fait a u cu n sort a u buste do natellic n . RESSEMBLANCE MYTHIFIEE ET RESSEMBLANCE OUBLIEE CHEZ VASARJ 385 aussi rcvendiquee comme humaniste- d'un Panofsky5 • L'cnjeu de cette tra- dition fut de houcler un systeme, dans lequel devaient progressivement s'es- tomper les differences, se resoudre les conflits, se recoudre les dechirures. Un tel systeme rend aise, devant le buste donatellien, de mettre en boucle- de faire ronronner ensemble, idealement- ces deux evidences esthetiques que sont !'imitation de la nature et celle des Anciens. Quoi de plus evident, en effet, que !'imitation de la nature dans le buste de Niccolo da Uzzano? 11 suffit d'admirer comment l'artiste poussa le souci naturaliste jusqu'a rendre tres exactement un grain de la peau, le defaut d'une venue sur Ia joue gauche, la forme singuliere d'une oreille, et ainsi de suite. Mais quoi de plus evident aussi que cette imitation de l'Antiquite, qui complete har- monieusement la singularite visuelle de ce visage, l'idealise et }'universa- lise, la refere a une culture classique, bref place la ressemblance naturelle et humaine du bourgeois florentin sous l'autorite d'une ressemblance cultu- relle, c'est-a-dire humaniste? Non seulement !'artiste a vetu le personnage d'un drape a l'antiquc, mais encore son choix formel general - un buste en grandeur naturelle - reprend de maniere caracteristique, et pour Ia pre- miere fois sans doute dans Ia Renaissance florentine, un choix typique de Ia statuaire romaine 6• L'imperatif de ressemblance apparait ainsi resume, boucle dans un systeme simple uploads/s3/ didi-huberman-georges-ressemblance-mythifiee-et-ressemblance-oubliee-chez-vasari-la-legende-du-portrait-sur.pdf

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