Monsieur le Député, En tant que professeur de mathématiques en collège et en ta

Monsieur le Député, En tant que professeur de mathématiques en collège et en tant qu'électeur de la circonscription Thiers-Ambert, je me permets par la présente d'attirer votre attention sur la réforme du collège devant entrer en vigueur à la rentrée 2016. Les motivations affichées par le ministère de l'Education pour cette réforme sont louables : il est question de diminuer les inégalités entre les élèves et de viser l'excellence pour tous. Cependant, certains éléments ne me permettent pas de penser que ces objectifs seront atteints. Et je crains surtout que l'effet obtenu soit à l'opposé de celui souhaité. 1) Les EPI Une des principales innovations de cette réforme consiste en l'instauration d'EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires). Les EPI seront des projets interdisciplinaires conduits par un ou plusieurs professeurs et seront imposés dans les emplois du temps des classes du cycle 4 (5ème, 4ème et 3ème). Les horaires de ces EPI seront prélevés sur les horaires des disciplines concernées. Au cours du cycle 4, six thèmes d'EPI devront être proposés aux élèves parmi les huit thèmes proposés par le ministère. Ces huit thèmes sont les suivants : a) corps, santé, bien-être et sécurité ; b) culture et création artistiques ; c) transition écologique et développement durable ; d) information, communication, citoyenneté ; e) langues et cultures de l’Antiquité ; f) langues et cultures étrangères ou, le cas échéant, régionales ; g) monde économique et professionnel ; h) sciences, technologie et société. Ces enseignements sont sensés permettre à tous les élèves, et en particulier aux élèves en difficulté, de mieux comprendre en travaillant différemment. Cependant, de nombreux problèmes se posent. Tout d'abord rien ne garantit que ces projets interdisciplinaires soient bénéfiques pour les élèves en difficulté et permettent de réduire les inégalités. Louise Tourret, journaliste pour Slate.fr, émet des doutes quant à la possibilité qu'un travail interdisciplinaire puisse diminuer les inégalités d'apprentissage. En effet, les élèves en difficulté n'ayant pas acquis les bases ne pourront pas les réinvestir dans ce genre de travail. Louise Tourret fait référence dans son article à un document publié sur le site de l'académie de Poitiers dans lequel est effectué un état des lieux détaillé des connaissances empiriques disponibles à propos du travail interdisciplinaire. Cette manière de travailler peut présenter certains avantages, comme le travail de compétences transversales, mais ce document ne mentionne pas une éventuelle diminution des inégalités d'apprentissage. Ce document met également en lumière un certain nombre de conditions qui doivent être réunies pour mettre en place un travail interdisciplinaire efficace : nécessité du travail en équipe, climat d'établissement favorable, ainsi que le fait que les enseignants doivent être convaincus des bénéfices de ces pratiques. Imposer le travail interdisciplinaire par la force me semble donc une stratégie contre-productive. Il est à noter que je n'ai, à ce jour, trouvé dans la communication du ministère aucune référence à une ou plusieurs études démontrant que le travail interdisciplinaire est réellement apte à faire progresser tous les élèves tout en réduisant les inégalités d'apprentissage. Alors que cela pourrait contribuer à convaincre les enseignants de travailler de cette manière. Il est regrettable que le ministère préfère baser sa communication sur de grossières approximations et des caricatures. L'interdisciplinarité peut présenter un certain intérêt, mais elle est délicate à mettre en œuvre et ne semble pas être la panacée que l'on nous promet. De plus je crains que, dans de nombreuses équipes, personne ne soit volontaire pour prendre en charge les EPI, ce qui risque de créer des tensions entre collègues. Une telle situation serait catastrophique pour le climat d'établissement. Voilà pour ce qui est de mon analyse de la pertinence des EPI. Je vais maintenant aborder le problème de leur mise en place. 2) Les nouvelles grilles horaires Afin de mettre en place les EPI, le ministère a défini de nouvelles grilles horaires (anciennes grilles horaires pour mémo). Voici les modifications des horaires hebdomadaires : Il est à noter que sur les horaires disciplinaires seront prélevés 3h d'accompagnement personnalisé en 6ème et 4h d'EPI et d'accompagnement personnalisé pendant le cycle 4 (5ème, 4ème et 3ème). Les pertes seront donc plus importantes que ce que la première lecture des grilles horaires pourrait laisser penser. Remarquons également que l'horaire de LV2 sur l'ensemble du collège augmente de 25% - passage de 6h à 7,5h (cette augmentation est peut-être compensée par la disparition de la majorité des classes bilangues, ce qui mériterait cependant une plus ample vérification). Alors que l'horaire des sciences (SVT + Technologie + Physique-Chimie) est conservé du côté élève, il subit une baisse d'environ 6% du côté professeur – perte d'1h de dédoublement en 6ème. L'arbitrage de chaque établissement pour la répartition des horaires de sciences en 6ème risque de plus de créer des disparités locales. Cependant, étant donné l'absence de programme de physique pour le cycle 3, il y a de fortes chances que les établissements choisissent le statu quo en 6ème, ce qui signifie que les sciences physiques ne disposeront plus que de 4,5h au lieu de 5h sur l'ensemble du collège, soit une diminution de 10 %. Je doute que l'unique année nous séparant de l'application de cette réforme permette de gérer efficacement ces variation d'horaires vis à vis des personnels enseignants. D'après le ministère, les EPI ne diminuent pas les horaires disciplinaires puisqu'ils permettront de traiter les programmes des disciplines qui les composent (« Les nouveaux EPI seront une modalité explicite de mise en œuvre des programmes dans lesquels ils sont définis. »). Un souci se pose cependant si tel est le cas : le latin doit être abordé dans un EPI ayant pour thème « langues et cultures de l'Antiquité ». L'article 7 du projet d'arrêté du ministère prévoit une dotation horaire venant en complément de l'horaire d'EPI (1h en cinquième et 2h en quatrième et troisième) pour les élèves souhaitant étudier une langue ancienne ou régionale. Ceci semble donc indiquer qu'un élève aurait la possibilité de conserver un même EPI s'il le souhaite tout au long du cycle 4, et donc que les élèves d'une même classe (les groupes de niveaux ou d'option étant proscrits pour des raisons de mixité sociale et d'égalité des chances) auraient le choix entre plusieurs EPI à chaque semestre. Hors ces différents EPI mettront en œuvre différentes disciplines alors que les horaires des EPI seront prélevés dans les mêmes matières pour tous les élèves de la classe. Les horaires disciplinaires risquent donc fort de ne pas être respectés pour tous les élèves. 3) La complexification du travail des enseignants Un imposant travail de concertation sera nécessaire entre les professeurs des différentes disciplines pour la mise en place des EPI. Concevoir des projets interdisciplinaires permettant de mettre en œuvre de façon efficace une partie du programme de chacune des disciplines concernées sera une tâche ardue. De plus les méthodes de travail avec les élèves seront bousculées, et nombreux seront les enseignants qui ne seront pas à l'aise avec cette nouvelle façon de travailler. Je crains que cette surcharge de travail ne se fasse au détriment des cours plus classiques, la semaine de travail des enseignants étant déjà bien remplie. Je déplore également que le ministère choisisse de complexifier le métier dans une période de crise du recrutement. Le concours du CAPES externe voit en effet chaque année un grand nombre de postes non pourvus : Session 2012 2013 2014 2014 excep. Postes non pourvus 14,6 % 15,8 % 14,6 % 31,3 % En particulier en mathématiques : Session 2012 2013 2014 2014 excep. Postes non pourvus 31,4 % 32,6 % 32,6 % 50,1 % Pourcentages calculés à partir des statistiques fournies par le ministère : session 2012, session 2013, session 2014, session 2014 exceptionnelle. Je crains que complexifier le métier ne rende le recrutement plus difficile encore. 4) Programmes de Mathématiques Cette réforme du collège s'accompagne d'une réforme des programmes. Je ne m'attarderai ici que sur le programme de mathématiques du cycle 4. Voici les changements qui interviendront en l'état actuel de la proposition du CSP : (source) Une importante partie « Algorithmique et Programmation » est ajoutée au programme. Or la plupart des professeurs de mathématiques n'ont pas fait de programmation depuis l'université, voire n'en n'ont jamais fait. Je doute qu'un délai d'un an soit suffisant pour former l'ensemble des professeurs de mathématiques à la programmation. On peut remarquer également la disparition de la majeure partie de la géométrie plane. Or cette partie du programme permet d'introduire le raisonnement logico-déductif autorisant la démonstration en mathématiques. Je crains que cela ne pénalise grandement les élèves désirant poursuivre leurs études dans un cursus scientifique. Dans le document donnant les éléments explicatifs au projet de programme du cycle 4, destiné à expliquer les choix du CSP, il n'existe aucune explication concernant le programme de mathématiques. Étant donné l'ampleur des modifications apportées au programme de mathématiques, ceci est relativement surprenant. 5) Le CSP (Conseil Supérieur des Programmes) Le CSP, nommé par le ministère, ne comporte en son sein aucun professeur de collège en exercice. On trouve par contre dans les groupes de travail de uploads/s3/ lettre-ouverte-de-benoit-compte.pdf

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