© Susan Madison 2002. Tous droits réservés. © Belfond 2004 pour la traduction f
© Susan Madison 2002. Tous droits réservés. © Belfond 2004 pour la traduction française. Tout l’or du ciel Susan MADISON ISBN : 978-2-266-15535-9 N° 12635 Prix : 7,10 Prologue J’attends le grand amour… écrivit Melissa Hart sur la page un de son journal intime. C’était le premier janvier de l’année de ses quinze ans. Relié en cuir et doré sur tranche, le volume de parchemin ivoire était son cadeau de Noël. Un présent de grande valeur : nul besoin d’être spécialiste en papeterie de luxe pour voir que sa grand-mère ne s’était pas moquée d’elle. La petite merveille qu’elle tenait entre ses mains était d’une qualité exceptionnelle. Naturellement, à cette époque, Melissa n’appréciait peut-être pas à sa juste valeur le raffinement du papier marbré décoré à la cuve. Cependant, ce présent revêtait pour elle une signification particulière. Mais laquelle ? Avec application, elle tourna et retourna la question dans sa tête. Je voudrais tant être aimée… Voilà ce qu’elle avait envie d’écrire – mais l’idée que son père puisse ouvrir ce cahier et tomber sur une telle confidence la paralysait. Finalement – et tant pis si elle se sentait à la fois solennelle et prétentieuse –, Melissa rejeta en arrière ses cheveux blond cendré et se pencha sur la page pour calligraphier avec soin : J’attends l’amour avec un grand A. L’amour de ma vie, l’amour qui durera toujours. Oh, elle ne s’imaginait pas qu’un beau jour son prince charmant paraîtrait sur le seuil de sa chambre de jeune fille, une pantoufle de vair à la main. Il ne franchirait pas non plus la barrière de ronces de son « bois dormant » pour affronter le dragon paternel et venir la réveiller d’un baiser. Mais, tandis que la voix cassante de son père montait du rez-de-chaussée, contrastant avec les intonations soumises de sa mère, Melissa éprouva la conviction, mieux : l’absolue certitude qu’il lui serait donné, à elle, de vivre un conte de fées. Oui, quelque chose de magique, quelque part, lui était réservé. Ailleurs qu’ici. Cet endroit n’était pas la maison du bonheur. Dès son plus jeune âge, elle avait deviné des zones d’ombre dans le couple que formaient ses parents. « Dis, papa… — Quoi encore ? » © Susan Madison 2002. Tous droits réservés. © Belfond 2004 pour la traduction française. Il avait levé le nez de son journal et elle s’entendait encore lui poser, du haut de ses quatre ans, toute pâle et tremblante, la question qui lui brûlait les lèvres : « Est-ce que tu m’aimes ? » Son père avait fixé sans l’ombre d’un sourire la menotte abandonnée sur son genou. Il avait pris le temps de vider son verre avant de lui rendre son regard, et la réponse – le verdict – était tombée, si froide qu’elle ne l’avait jamais oubliée : « Si tu crois que je n’ai que ça à faire ! » Sa mère avait laissé échapper un cri de reproche ; ses joues avaient rougi brusquement. « David ! Comment peux-tu être si cruel ? » Et elle avait pris Melissa dans ses bras, caressant d’une main ses longs cheveux blonds. « Maman t’aime, mon cœur. » Mais c’était l’amour de son papa que désirait la petite fille. Des années plus tard, alors qu’elle voyageait en Europe après avoir décroché son diplôme des beaux-arts, Melissa en était encore à se demander à quoi pouvait ressembler l’amour véritable. Elle en avait bien un aperçu de temps à autre… ici, à la terrasse ensoleillée d’un café parisien ; là, sur une plage portugaise baignée par le clair de lune ; à Venise, près du pont des Soupirs ; ou encore près d’une des fontaines de la Ville éternelle… À dire vrai, ce n’étaient que des images de couples on ne peut plus banales, mais ces visions fugitives pétillaient dans son imagination romantique comme une gorgée de champagne dérobée au verre d’une autre… Après de brillantes études, Melissa avait décroché un emploi dans une prestigieuse galerie new- yorkaise. Elle avait découvert assez tôt qu’elle préférait exposer les tableaux des autres plutôt que de les peindre elle-même. Tant qu’on n’y touche pas de trop près, l’art peut vous remuer l’âme sans causer de dommages irréparables. Il interpelle, il fascine, mais, qu’il séduise ou qu’il dérange, il ne blesse pas. Et Melissa tenait à se préserver pour le grand amour qu’elle attendait. Le jour où il se présenterait, le reste suivrait naturellement – c’était ce qu’elle avait toujours espéré. Le chemin était tout tracé, jalonné d’étapes incontournables : se marier, avoir beaucoup d’enfants, vivre heureux ensemble longtemps, longtemps… Hélas, à un moment donné, son existence allait bifurquer sur une route chaotique, semée de zigzags, et plus rien ne se passerait comme prévu. À la seconde où il avait franchi le seuil de la galerie dans laquelle étaient exposées ses œuvres, Melissa avait su que c’était lui. Elle assurait une visite guidée pour un groupe d’admirateurs de sculpture contemporaine quand celui dont elle évoquait le génie s’était matérialisé devant ses yeux. Elle en était restée bouche bée, clouée sur place, saisie par le magnétisme qui émanait de lui. C’était bien simple, elle voyait crépiter des étincelles autour de sa tête. Signe évident qu’il ne pouvait être que l’élu. Bien plus tard – trop tard –, Melissa avait compris qu’elle était tombée éperdument amoureuse d’un homme qui ne partageait pas ses rêves, qui n’avait que faire de ses étapes-clefs du bonheur. Croyait-il même au bonheur ? Il avait la détresse chevillée à l’âme. Sa misanthropie galopante, ses doutes existentiels, sa paranoïa d’artiste torturé, ses crises de fureur contre lui-même, ses brusques sautes d’humeur, les scènes qui émaillaient leurs relations de couple sapèrent lentement les illusions de Melissa. Peu à peu, elle avait reconstitué la triste histoire de son compagnon : la déportation et la mort de ses parents à Auschwitz, une enfance ballottée entre les foyers de la Croix-Rouge et ce qui lui restait de famille, de vagues cousins au cœur sec… Mais si cela lui permettait de mieux le comprendre, cela ne facilitait pas la vie commune. Et, malgré leur amour profond – car il l’aimait lui aussi ardemment, passionnément, avec le même excès qu’il mettait en toute chose –, elle se sentait parfois étouffée par les angoisses de ce créateur de génie pour qui tout était objet de souffrance. © Susan Madison 2002. Tous droits réservés. © Belfond 2004 pour la traduction française. Un soir où elle l’avait traîné au théâtre pour lui changer les idées – quand il sculptait, il pouvait rester des jours entiers sans sortir de son atelier, sans parler, boire ni manger, sans s’habiller même, car il préférait travailler nu comme un ver –, Melissa se demanda pourquoi on n’expliquait jamais aux jeunes filles que le plus difficile n’était pas de dénicher l’élu de leur cœur, mais d’endurer ce qui se passait après… Au sortir du spectacle, tandis qu’ils regagnaient à pied leur appartement de Soho, elle lui prit le bras. « As-tu aimé la pièce ? — Tu plaisantes ? C’était lamentable. — Tu dis toujours ça. — Parce que c’est toujours vrai, riposta-t-il en s’arrêtant. Quatre heures de pseudo-théâtre et de mondanités prétentieuses, c’est autant de temps perdu pour mon travail. Charmante soirée ! Je ne déteste rien plus que ces auteurs superficiels. — Tu exagères. — Tous des poseurs, je te dis, trancha-t-il avec un mépris souverain. Chacun essaie d’épater le bourgeois avec son nouveau roman, son nouveau film, quand ce n’est pas avec sa nouvelle voiture ou sa dernière épouse en date. Ouf, j’ai cru que je ne tiendrais jamais jusqu’au bout. » Elle rit. « Dis donc, tu es remonté à bloc ! » Ils reprirent leur promenade nocturne – lui les poings dans les poches, elle lui tenant tendrement le bras. Au bout d’un moment, Melissa glissa la main dans sa poche pour prendre la sienne. « Tu as entendu la nouvelle, pour Rachel ? Elle va avoir un bébé. C’est merveilleux, non ? — Je ne vois pas ce qu’il y a de merveilleux là-dedans, grommela-t-il. — Eh bien… Ça fait si longtemps qu’elle et son mari attendaient ce bonheur… — Moi qui les prenais pour des gens intelligents ! Ils sont complètement idiots. Irrécupérables. » Le ton montait. Il retira les mains de ses poches et allongea le pas au point qu’elle eut du mal à le suivre. « Irrécupérables ? Parce qu’ils veulent un enfant ? — Comme s’il n’y avait pas déjà assez de petits malheureux sur terre ! De pauvres innocents qui crèvent de faim, des gosses battus, violés, torturés… C’est lamentable. On ne peut pas ouvrir un journal sans tomber sur de nouvelles horreurs. — Je sais bien, mais… — Moi, je ne m’y ferai jamais. Tu n’en as pas assez de voir des bébés mourir de faim, avec leur ventre énorme et leur regard insoutenable ? Et ces mioches à qui on a volé leurs yeux ? Et ces gamins estropiés à vie pour avoir posé uploads/s3/ susan-madison-tout-l-x27-or-du-monde 1 .pdf
Documents similaires
-
19
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 12, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1612MB