Appareil 17 | 2016 Art et médium 1 : le médium de l'art L’impropriété du dessin
Appareil 17 | 2016 Art et médium 1 : le médium de l'art L’impropriété du dessin Lucien Massaert Édition électronique URL : http://appareil.revues.org/2315 DOI : 10.4000/appareil.2315 ISSN : 2101-0714 Éditeur MSH Paris Nord Référence électronique Lucien Massaert, « L’impropriété du dessin », Appareil [En ligne], 17 | 2016, mis en ligne le 13 juillet 2016, consulté le 20 septembre 2017. URL : http://appareil.revues.org/2315 ; DOI : 10.4000/ appareil.2315 Ce document a été généré automatiquement le 20 septembre 2017. contrat creative commons L’impropriété du dessin Lucien Massaert L’impropriété du dessin […] rompant avec une épargne de ce qui subsiste des signes […] porté à la limite extrême de soi, il peut apparaître admissible qu’elle se réduise à rien, presque…1 André du Bouchet Pierre Tal-Coat, Les deux pièces, lavis, 1982-83, 20,2 x 43,5 cm DR, Galerie Clivages, photographie Jean-Louis Losi 1 Depuis nombre d’années, on ne peut que s’étonner de voir les expositions d’art contemporain annoncer la présence d’installations, d’art numérique, de performances et de dessin alors qu’apparaissent bien moins souvent les termes « peinture » et « sculpture ». Le dessin aurait-il certaines caractéristiques communes avec lesdits nouveaux média alors que la peinture et la sculpture seraient devenues choses du passé L’impropriété du dessin Appareil, 17 | 2016 1 sauf à se transformer, s’élargir, se fondre dans l’installation ? Le dessin résisterait-il comme médium autonome, ou au contraire subsisterait-il du fait de sa résistance à la logique conceptuelle du médium ? Voici la question que nous souhaitons soulever au fil des réflexions qui suivent. 2 Que l’on nous permette de nous tenir à l’écart de tout ce qui se réclame du propre et de l’essence, fût-ce de l’essence du médium, non qu’il s’agisse de nous réclamer de l’idéologie fort répandue actuellement de l’hybride, du mélange des disciplines, de l’effacement des différences. Pour élucider la relation de la multiplicité des arts à la multiplicité des sens, il ne faut pas en passer nécessairement par le Gesamtkunstwerk ou par les pratiques multi- (ou inter-) média, parce que, comme le précise Jean-Luc Nancy, « chaque œuvre est à sa façon une synesthésie2 ». Il s’agit pour nous de penser les différences, la non-identité selon une dynamique de rapprochement et d’éloignement, de voisinage et d’extension. 3 S’agissant du dessin, serait-il possible de soutenir qu’il échappe tant à la définition dite essentialiste du médium qu’à la propension aujourd’hui fort répandue à le penser comme un champ en extension, colonisant tant les formes et surfaces que les espaces concrets ou virtuels ? S’il ne s’agit pas plus de réduire le dessin au rien d’un trait que d’emprunter une logique totalisatrice ou expansionniste par laquelle il ne pourrait que se dissoudre, peut- on alors imaginer une logique de marge, une place à la fois dans et hors champ de la plasticité, une sorte de degré zéro qui ne doit son existence qu’à être ce qui déjoue les logiques diverses du médium ? Voilà ce que nous voudrions tenter de penser. Le subjectile 4 Sans doute serait-il envisageable de placer aux deux extrémités d’une ligne, d’un spectre, d’une part la peinture la moins dessinée et d’autre part le dessin le moins peint. Le milieu de l’éventail ainsi couvert serait occupé par des œuvres dont le dessin serait souligné de peinture ou dont la peinture serait fortement tributaire du dessin. Mais tout cela n’aurait que peu d’intérêt, le dessin et la peinture se définissant alors mutuellement, l’un comme non-peinture et l’autre comme non-dessin. 5 Un travail non négligeable a été accompli par Françoise Viatte et Lizzie Boubli3 en abordant le dessin sous l’angle de la réserve, de l’épargne, du blanc. Pour le dessin, le blanc de la feuille est premier. Le trait et la touche vont lentement voiler, puis creuser cette surface. Le blanc sera gardé en suspens, préservé tout au long de l’opération. Le dessin commence dans le blanc de son support alors que la peinture se termine, s’achève dans l’éclat, dans l’accent lumineux de sa dernière touche de blanc. Il faut noter qu’en pensant le dessin comme une pratique qui fonctionne à rebours de la peinture, ménage des blancs, épargne le blanc initial de la feuille, tant pour découper une silhouette que pour faire respirer un espace, on préserve néanmoins la logique de représentation. 6 Jean Clay − dans un texte de 1978, souvent cité et commenté depuis, de la revue de théorie de l’art Macula −, fait un pas de plus lorsqu’il attire notre attention sur le moment où les lacunes des dernières œuvres de Cézanne produisent une rupture du mode représentatif, un basculement « sur le versant du manque ». Hors l’économie représentative, la réserve, écrit Jean Clay, fait « à la fois tache et trou » ; elle ouvre un « lieu aporétique », d’où son effet médusant. La réserve n’arrive finalement jamais à jouer simplement le jeu de l’accent lumineux du blanc en peinture. Elle n’arrive jamais à atteindre ce plus de lumière parce qu’elle serait plutôt un « rien4 ». L’impropriété du dessin Appareil, 17 | 2016 2 7 Le médium du dessin n’est pas la charge pigmentaire et son excipient cosmétique, mais le papier dans sa façon d’accueillir et transformer le dépôt plastique. Nous sommes amenés à penser que l’appareil du dessin est situé dans son support, son subjectile5 en tant que – au contraire du panneau, du mur ou de la toile tendue – il n’est pas stable mais transformable : pliable, pouvant être arraché ou gratté, prompt à se détendre par vagues lorsqu’il n’est pas humidifié de façon uniforme. Voilà ce qu’il nous faut penser et dont il faut envisager les conséquences. Il ne s’agit pas de réduire le dessin à son support comme Greenberg a pu le faire pour la peinture. Le subjectile n’est pas un « espace idéal [d’] appropriation6 ». Comme l’écrit Jean-Louis Déotte, le papier échappe « à la condition de simple matériau7 ». 8 C’est une réécriture de l’histoire de l’art du XXe siècle que Jean Clay propose en démontrant que la modernité s’énonce « de Cézanne à Ryman, art de transposer dans le champ de la peinture les propriétés du dessin » (« La peinture en charpie », p 168). La modernité quitterait la surface projective de la peinture pour la surface inductive du dessin. On peut interpréter le projectif comme instance de l’image et l’inductif comme remontée d’indices et effets de « contexture » du support. Le dessin pourrait ainsi être compris comme « le retour critique qui s’opère […] du champ d’inscription sur l’inscrit » (ibid.), ou, dit autrement, comme le retour des virtualités du subjectile sur la délinéation des figures. Nous assisterions ainsi au renversement d’une convention du dessin comme outil préparatoire, et donc marginal, en cela même qui devient le moteur de transformation de la pratique plasticienne. 9 Comment rendre compte de cette logique des dessins de Seurat qui ne sont pas les rendus ou modelés de la lumière et de l’ombre par le crayon Conté sur la feuille, mais la montée de l’excès du grain du papier qui, par sa trop forte prégnance, vient défaire la représentation ? Jean Clay note, dès le dernier tiers du XIXe siècle, les indices d’un « soulèvement du “fond” » dans les œuvres de Degas et Manet ou au tournant du siècle chez Vuillard ou Matisse. Il parle du dessin comme « retour critique […] du champ d’inscription sur l’inscrit et sur le scripteur » (ibid.). Il faudra suivre ces effets sur l’inscrit – ce qui s’inscrit n’est plus de la même teneur –, tout en ne perdant pas de vue les conséquences sur notre conception du sujet peintre (et/ou spectateur) qui n’en reste(nt) pas indemne. 10 Depuis les productions du minimalisme, plus rien n’irait de soi : support, nature des instruments, format, pigment… ce qui pouvait sembler donné, appareillé est dorénavant envisagé comme décision de l’artiste et fait partie du projet, du programme de l’œuvre, de ce qui va remonter, faire retour au fil des gestes ultérieurs. C’est un corps non interrogé, un en-deçà de l’œuvre qui « est soumis à l’épreuve d’une excorporation » (« La peinture en charpie », p. 167), d’une mise à découvert et d’une mise en œuvre ou d’une mise à l’épreuve. La séquence de l’œuvre est à approcher depuis cet en-deçà que constituent les formants jusqu’à cet au-delà que sont les « instances culturelles, économiques, institutionnelles, politiques » (ibid., p. 177). 11 Clay ne vise pas « une couche originelle, humus où se localiserait la vérité substantielle de l’art, d’un art dont on aurait à la fin touché le fond, le gesso » (ibid., p. 170) mais se propose de construire une alternative tant à l’analyse « moderniste », au modèle déductif de Clement Greenberg qu’aux acteurs et thuriféraires de Support-Surface. Il ne s’agit donc pas de substituer un essentialisme à un autre ou de proposer une téléologie de remplacement. L’impropriété du dessin Appareil, 17 | 2016 3 12 On peut concevoir cette approche du dessin par le subjectile comme une approche technique à condition de uploads/s3/ lucien-massaert-dessin-2016.pdf
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- Publié le Mai 10, 2022
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