Patrice A. Carré Expositions et modernité : Electricité et communication dans l
Patrice A. Carré Expositions et modernité : Electricité et communication dans les expositions parisiennes de 1867 à 1900 In: Romantisme, 1989, n°65. Sciences pour tous. pp. 37-48. Résumé Les expositions ont joué un rôle tout à fait considérable dans la diffusion de nouvelles techniques au cours du XIXe siècle. La période qui va de 1867 à 1900 voit croître leur importance. Quinze millions de visiteurs en 1867, plus de cinquante millions en 1900 ! Or, à l'affirmation de l'exposition comme lieu de communication correspond (les chronologies sont sensiblement les mêmes) ce que de nombreux historiens ont appelé une véritable «explosion inventive» dans le domaine de l'électricité. «Electromania» et «expomania» vont de pair. Elles interfèrent et se confondent. Citer ce document / Cite this document : Carré Patrice A. Expositions et modernité : Electricité et communication dans les expositions parisiennes de 1867 à 1900. In: Romantisme, 1989, n°65. Sciences pour tous. pp. 37-48. doi : 10.3406/roman.1989.5597 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1989_num_19_65_5597 Patrice A. CARRE Expositions et modernité : Electricité et communication dans les expositions parisiennes de 1867 à 1900 De la fin du Second Empire à l'orée du vingtième siècle, l'exposition (qu'elle soit universelle, internationale ou industrielle) devient une institution. Elle ponctue les séquences essentielles de ce qui se présente comme le «Progrès» en marche. Elle n'est pas seulement présentation de techniques nouvelles et laboratoire de l'innovation, elle est aussi représentation. Elle participe de l'ostentatoire. Parce qu'elle expose, elle dévoile/se dévoile mais se veut aussi explicative, pédagogique voire didactique. Elle diffuse et communique. Or — exposition dans l'exposition et communication dans la communication — à partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle les techniques issues d'une récente et encore incomplète maîtrise de l'électricité font leur apparition dans les espaces toujours plus importants que l'on réserve aux expositions. De la fin des années 60 à la fin des années 90, les «progrès» réalisés dans ce domaine, la multiplication des applications de l'électricité, les débuts (encore bien timides) de leur diffusion, attirent de plus en plus l'attention du public. A leur façon, les expositions témoignent de cet intérêt. Elles en sont, comme la presse et la littérature de vulgarisation scientifique et technique, le reflet. Elles l'amplifient également. «. . . Dans les usages de la vie moderne. . .» C'est à l'occasion de l'Exposition universelle de 1867 que pour la première fois en France les applications essentielles de l'électricité occupent une place qui leur est propre. En effet, et contrairement à ce qui s'était passé lors des expositions précédentes — notamment celle de 1855 à Paris — une très importante partie (voire la plus importante alors) des applications de l'électricité ne se confond pas avec d'autres secteurs d'activité : «La télégraphie prit rang dans le sixième groupe, comprenant les instruments et procédés des arts usuels. Elle forma une classe spéciale, la soixante-quatrième de la série générale, entre le matériel des chemins de fer (classe 63) et le matériel des travaux publics et de l'architecture (classe 65). C'était la première fois que la télégraphie était appelée à former une catégorie particulière dans une Exposition. En 1862 comme en 1855 son matériel avait été confondu avec d'autres produits. L'Exposition a donc consacré l'importance qu'a prise le service télégraphique dans les usages de la vie moderne» *. ROMANTISME n° 65 (1989 - Ш) 38 Patrice A. Carré Cette nouvelle approche apparaît tout à fait symptomatique. Si dans les rubriques de la classification de LePlay ne figure pas le mot «électricité», l'Exposition universelle de 1867 prend acte cependant d'une situation. Elle consacre, par la place qui désormais lui est donnée, l'importance enfin renconnue de la télégraphie électrique. Or en France comme dans le monde entier la période des années 1860 est tout à fait fondamentale pour la télégraphie électrique. Elle voit le succès des premières poses de câbles transatlantiques. Cet ensemble de réussites donne à l'électricité une image et une dimension nouvelles. Elle symbolise le «Progrès». En effet la pose du premier câble transatlantique marque profondément et de façon durable l'environnement mental de l'Exposition universelle. Cette pose appartient à l'actualité, sinon immédiate, du moins particulièrement proche. Commencée en 1857, l'épopée (car c'est bien ainsi qu'elle a été perçue) de la première liaison télégraphique sous-marine entre l'ancien et le nouveau continent a duré jusqu'en 1866. Les journaux ont alors décrit avec une très grande précision les diverses péripéties qui ont ponctué cette expédition d'accidents, de ruptures de câbles perdus dans des fonds sous-marins inconnus et effrayants. Interrompue en 1858 puis reprise en 1865 après la fin de la guerre de Sécession, la pose du premier câble transatlantique marque le début d'une ère nouvelle dans l'histoire de l'électricité. Apparaît alors un homme d'affaires exceptionnel, héros moderne, Cyrus Field, capable de mobiliser d'importantes masses de capitaux autour d'un projet technique encore peu maîtrisé. Avec la pose de ce premier câble, l'électricité apparaît comme une aventure, un défi. C'est Cyrus Field qui fait construire le Great Eastern, le plus grand bateau de l'époque et parmi les premiers bateaux importants à coque métallique. Jules Verne, en 1867, voya-gera à son bord et s'inspirera de ce bâtiment précurseur des grands transatlantiques de la fin du siècle et du début du vingtième siècle. Le câble a donc à peine un an lorsque l'Exposition de 1867 ouvre ses portes au public. Elle est l'exacte contemporaine de ce rétrécissement de l'espace mondial et de cette fantastique accélération de l'histoire qu'est la possibilité désormais offerte aux hommes de l'ancien et du nouveau monde — comme de ceux qui restent alors à conquérir — de communiquer dans un temps qui est presque le «temps réel» de nos actuelles transmissions transcontinentales. Elle est donc bien la première exposition à s'inscrire dans l'universalité de la communication permise par l'électricité. Une nouvelle temporalité, lentement bien sûr, se met en place. S'ouvre ainsi une période nouvelle de l'histoire de la communication (et donc de l'histoire tout court!). Elle inaugure — mais peut-on vraiment le savoir alors? — les tout premiers frémissements de notre modernité. Universelle comme l'Exposition, la télégraphie — et tout particulièrement les techniques de télégraphie sous-marine — devrait donc être à l'honneur et sa mise en valeur, remarquable. Exposition de la transmission et du message, elle serait placée sous le signe d'Hermès. Or, si la télégraphie électrique translatlantique est, des applications de l'électricité, celle qui frappe le plus les esprits, ses réalisations ne sont presque pas évoquées dans l'enceinte de l'exposition : «Arrivés à la télégraphie sous -marine, nous nous trouvons tout de suite en face d'un fait capital, qui non seulement tient une place importante dans l'histoire de la télégraphie, mais qui peut être rangé sans hésitation Electromania, expomania 39 parmi les grands événements à inscrire dans les annales de l'humanité. Nous voulons parler de la pose des câbles transatlantiques qui réunissent l'Europe à l'Amérique. Les jurés de l'Exposition Universelle ont décerné un de leurs grands prix à M. Cyrus Field et aux compagnies anglo-américaines qui ont mené à bien cette magnifique entreprise. Cependant ni les directeurs ni les ingénieurs de ces compagnies ne se sont préoccupés de faire figurer dans l'Exposition les procédés qui les ont menés à la réussite»2. déplore l'un des rédacteurs du compte rendu officiel de la manifestation. En effet, nulle présence au Champ de Mars, ni des appareils employés en 1866 par la compagnie du câble transatlantique, ni d'échantillons de câble utilisé... Il semble que : «les auteurs d'une si glorieuse entreprise cherchent à envelopper de mystère les moyens dont ils disposent; il semble qu'ils se cachent et se tiennent soigneusement à l'écart»3. Dans les allées de l'exposition de 1867 la télégraphie est présentée d'une façon plus traditionnelle. Certes les nouveautés que sont alors le télégraphe autographique de l'Abbé Caselli ou le télégraphe imprimeur de Hughes prennent place dans l'espace de moins de 100 mètres carrrés qui a été attribué à la télégraphie, mais la présentation semble se limiter à une sage collection d'appareils placés les uns à côté des autres. Seules une série de cartes «qui ont tout particulièrement le privilège d'exciter l'attention des visiteurs» donnent une idée de l'installation du réseau français 4. De petites tiges de fer plantées sur les cartes jalonnent les directions des différentes lignes et supportent des fils de soie de couleurs diverses qui figurent les conducteurs télégraphiques. . . «...Les transmissions du son et la voix humaine...» Un peu moins d'une dizaine d'années plus tard, s'ouvrent les portes de l'Exposition universelle de 1878. L'Empire a vécu. Le paysage politique est nouveau. Après bien des atermoiements la République vient de s'imposer. Or en une dizaine d'années de nouvelles applications de l'électricité ont vu le jour. C'est dans le domaine des techniques de communication que sont présentées pour la première fois au public deux innovations appelées à un grand avenir. A l'occasion de l'exposition le public parisien découvre le téléphone et le phonographe. Dans L'Exposition Universelle de 1878 illustrée, Jules Brunfaut les décrit : «Deux merveilleuses inventions ayant pour but les transmissions du son et de la voix humaine: le téléphone et le phonographe, marqueront notre siècle comme une des plus grandes uploads/s3/ patrice-carre-expositions-et-modernite-electricite-et-communication-dans-les-expositions-parisiennes-de-1867-a-1900.pdf
Documents similaires
-
15
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 02, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 1.0734MB