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Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1981 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 29 sept. 2021 05:12 Vie des arts Malraux ou l’art comme volonté de métamorphose Pierre-Ivan Laroche Volume 26, numéro 104, automne 1981 URI : https://id.erudit.org/iderudit/54510ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (imprimé) 1923-3183 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Laroche, P.-I. (1981). Malraux ou l’art comme volonté de métamorphose. Vie des arts, 26(104), 56–57. Malraux OU L'ART COMME VOLONTE DE MÉTAMORPHOSE Pierre-Yvan Laroche 1. André MALRAUX alors qu'il était ministre de la Culture. (Phot. Ministère des Affaires Etrangères, France) Je ne distingue pas le domaine de l'art des autres. La volonté de création artistique ne me semble pas plus s'opposer à la volonté de transformation du monde que la pensée scien- tifique . . . (André MALRAUX) Il y a cinq ans déjà que, par une sombre journée de novembre, on a porté en terre les restes de l'homme des Voix du Silence, du Musée imaginaire et de la Métamorphose des Dieux. L'auteur rappelle ici l'apport intellectuel de ce grand homme. Malraux. Un homme immense, et l'épithète n'est pas hy- perbolique! Alors, quel impossible défi que celui d'évoquer la figure du critique d'art en passant sous silence celle du roman- cier, du ministre, du résistant de la Brigade Alsace-Lorraine, du combattant d'Espagne ou de l'archéologue. Toute l'œuvre et toute la vie du grand écrivain d'art qu'est André Malraux sont en effet inséparables. Parce que la dynamique est la même: l'art ou l'antidestin c'est-à-dire l'affirmation de la permanence. Mais laquelle? 56 L'identité en question «Pour que Manet puisse peindre le Portrait de Clemen- ceau, il faut qu'il ait résolu d'oser y être tout, et Clemenceau, rien.» Oser y être tout. La formule est lancée. Pour Malraux, le geste de l'artiste est d'abord un acte d'homme libre, d'hom- me souverain. Celui-ci s'affranchit des limites posées par le sujet qui disparaît pour devenir objet d'art, pour se métamor- phoser en création nouvelle. Qu'on revoit les portraits de Nelligan, de la reine d'Angleterre ou du cardinal Léger peints par Jean-Paul Lemieux. Reines, cardinaux, hommes d'État ou poètes, disparaissent pour resurgir métamorphosés dans l'œuvre. «Que nous importe, ajoute Malraux, l'identité de l'Homme au casque, de l'Homme au gant? Ils s'appellent Rembrandt et Titien.» A vingt ans, Malraux rêve déjà d'une histoire de la pein- ture. Les impressionnistes viennent d'approfondir les nuan- ces les plus délicates du sentiment et de la lumière alors que les révolutions cubiste et dadaïste s'impatientent de dislo- quer le sujet à tout jamais. Malraux affirme que l'artiste est tout entier dans son œuvre. Le travail du copiste du Moyen âge n'est pas celui du sculpteur du Christ en majesté de la cathédrale de Chartres. Le copiste est le xérox de l'époque alors que le sculpteur médiéval imprime sa foi triomphante dans la pierre. Suprême liberté de l'artiste qui transcende la conscience ordinaire des apparences et investit le matériau de son être! «Jusqu'au XIXe siècle, toutes les œuvres d'art ont été l'image de quelque chose qui existait ou qui n'existait pas, avant d'être des œuvres d'art. Aux yeux du peintre seul, la peinture était peinture.» Ainsi, il aura fallu la naissance de l'art moderne et ses recherches pour qu'on puisse mieux cerner le mystère de cette curieuse alchimie, de cette méta- morphose qu'est l'œuvre d'art. On imagine aisément que le jeune Malraux, séjournant en Orient, là où l'art est si sensible aux métamorphoses de l'univers, aura été marqué par ces influences. Une appartenance singulière au temps Si Malraux proclame l'absolue liberté de l'artiste, il n'écarte pas dans la même foulée, et contrairement à Dada, l'impérieux besoin pour l'artiste d'une discipline rigoureuse entendue au sens d'un engagement profond, d'un enracine- ment dans son pays, son siècle ou sa civilisation. L'artiste, de quelque nationalité qu'il soit, est avant tout dans son temps et de son temps tout comme son œuvre: «L'œuvre, dit-il dans la Métamorphose des Dieux, surgit dans son temps et de son temps mais elle devient œuvre d'art par ce qui lui échappe.» Gaétan Picon, dans l'essai qu'il consacre à son ami Malraux, ajoute: «La rectification souveraine du monde est le privilège de l'art. L'art n'est pas l'expression mais le chant de l'histoire.» Ainsi l'art et l'artiste sont liés à l'instant historique mais ils ne sont pas pour autant déterminés par la force de celui-là. L'art n'exprime pas des modes. Chaque œuvre d'art trans- Art et pensée 2 et 3. Les Voix du Silence. Têtes, Senlis, 13e s. ; Nazareth, 13e s. cende l'histoire, l'histoire individuelle comme l'histoire natio- nale, comme celle des civilisations dont on sait, depuis Valéry, qu'elles sont mortelles. Bien sûr, il ne s'agit pas ici d'éternité mais peut-être de ce qui s'en rapproche le plus . . . L'œuvre d'art devient plus puissante que la mort elle-même. «Notre monde de l'art, écrit encore Malraux, c'est le monde dans lequel un crucifix roman et la statue égyptienne d'un mort peuvent devenir des œuvres présentes.» Aux portes du musée imaginaire Le monde moderne est devenu le creuset de toutes les civilisations, de toutes les religions, de tous les arts. L'héri- tage culturel du monde entier nous est désormais accessible par la magie des musées mais aussi par celle des média. Le masque nègre y entre en voisinage avec la vierge romane comme le bouddha khmer avec la tête grecque. Résurrection du passé mais, plus encore, présence au delà du temps. Le passé et le présent s'identifient maintenant dans la perma- nence. Comment s'établit alors la nouvelle relation entre l'œuvre d'art et le public? «L'Europe a découvert l'art nègre, explique Malraux, lorsqu'elle a regardé des sculptures africaines entre Cézanne et Picasso, et non des fétiches entre des noix de coco et des crocodiles. Elle a découvert la grande sculpture de la Chine à travers les figures romanes, non à travers les chinoiseries.» L'imprimerie avait contribué à la diffusion de la connaissance des œuvres d'art mais «le rôle des musées dans notre relation avec les œuvres d'art est si grand que nous avons peine à penser qu'il n'en existe pas, qu'il n'en exista jamais . . .» Une nouvelle connaissance C'est ainsi que Malraux s'interroge, dans son introduc- tion au Musée imaginaire, sur ce qu'avaient vu, jusqu'en 1900, ceux dont les réflexions sur l'art demeurent pour nous révé- latrices ou significatives. Et il répond: «Deux ou trois musées, quelques photos, gravures ou copies, et la plupart de leurs lecteurs moins encore.» Il ajoute: «Aujourd'hui, un étudiant dispose de la reproduction en couleur de la plupart des œu- vres magistrales, découvre nombre de peintures secondaires, les arts archaïques, les sculptures indienne, chinoise, japo- naise et précolombienne des hautes époques, une partie de l'art byzantin, les fresques romanes, les arts sauvages et popu- laires.» A l'aube de temps nouveaux La réflexion sur l'art d'André Malraux a commencé avec les destructions, les catastrophes, les révolutions et les guer- res du début du siècle. De nouvelles valeurs devaient en surgir, et c'est entre 1945 et 1976 que Malraux s'exprime sur l'art et la mort, la civilisation et l'homme contre l'absurdité désespérante de la condition humaine. «Il y a, dit Jean Lacouture, à travers les Voix du silence, et plus encore la Métamorphose des Dieux, une lente et forte montée de la vocation et des puissances de l'art, de sa fonc- tion de liberté et de continuité, de manifestation de l'univer- salité de l'homme et de sa capacité à triompher du destin dans une sorte de transparence universelle.» Prodigieuse époque que la nôtre où les créateurs et le public connaissent dans les musées et les média une extra- ordinaire convivialité, où l'art, tout comme la science, scrute à sa manière les diverses et subtiles métamorphoses de l'univers. Au delà de cette relation nouvelle qui s'établit entre les créateurs et le public, une question demeure: c'est celle des rapports entre l'art et la civilisation où l'œuvre naît et vit, entre l'artiste et la société qu'il exprime. Nous sommes là au cœur de la réflexion d'André Malraux pour lequel l'art ne réside pas dans la comparaison des matériaux, des dimen- sions, de l'assemblage des formes et des couleurs mais dans l'affirmation permanente et révolutionnaire, faut-il le men- tionner, de l'âme de l'artiste, d'un peuple, d'une civilisation. VU uploads/s3/ malraux-ou-l-x27-art-comme-volonte-de-metamorphose-pierre-ivan-laroche.pdf

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