Olivier Beens Chantez-vous français? virga.org Ce volume rassemble, dans un fo
Olivier Beens Chantez-vous français? virga.org Ce volume rassemble, dans un format maniable et imprimable, l’ensemble des chapitres de Chantez-vous français? tels qu’ils sont présentés sur le site <hp://virga.org/cvf/>. Il ne s’agit pas d’un ouvrage achevé mais plutôt d’un travail en cours qui estrégulièrement enrichi, corrigé, remanié. Il estdistribué aux mêmes conditions de licence que le contenu du site (Creative commons ., Aribution – Pas d’utilisation commerciale – Partage dans les mêmes conditions). Le leeur estinvité à télécharger régulièrement la dernière version du fichier. Illustration de la couverture : BNF, ms. fr. , f° v°. Première partie Préambule CHAPITRE 1 POURQUOI PRONONCER À L’ANCIENNE? P’? C’estque sous votre nom, [ce livre] se puisse rendre recom- mandable à ceux de notre temps : et encores à ceux qui viendront après, pour lesquels principalement j’ai écrit : afin que quand no- tre langue ne sera plus native, ou qu’elle aura pris un changement notable (car les paroles n’ont vie que par l’Ecriture) ils puissent voir comme en un miroir, le portrait du Français de cestui notre siècle, au plus près du naturel. Jacques Peletier, , Dialogue, adresse à Jeanne de Navarre. L’interprétation « historique » L’esthétique de la seconde moitié du ᵉsiècle aura été marquée en profondeur par le courant d’interprétation dite « historique » de la musique ancienne. Reposant sur des recherches musicologiques qui remontent parfois au siècle précédent mais n’ont réellement été mises en pratique qu’à partir des années cinquante, il part du postulat qu’une musique estmieux servie par son interprète, et mieux comprise par son public, lorsqu’elle estreplacée dans un contexte proche de celui qui prévalait au moment de sa création. Cee remise en contexte de la musique ancienne, largement appliquée aujour- d’hui en dépit de la part de rêve et d’utopie qu’elle comporte, conduit à explorer les particularités techniques des instruments anciens et les principes d’interpréta- tion musicale qui peuvent être dégagés des documents d’époque. Mais surtout, elle sonne le glas d’un cliché qui voudrait que la musique soit un langage universel, immédiatement compréhensible à tous. Elle implique au contraire, pour chaque ré- pertoire, l’apprentissage et la culture d’un style d’interprétation particulier. Scellant l’effondrement d’une « tour de Babel » bâtie par les romantiques, elle inaugure l’ère du musicien « polygloe ». A cet égard, les interprètes comme les mélomanes ont montré, au cours des dernières décennies, qu’ils étaient capables de s’adapter très rapidement à des univers musicaux extrêmement divers. Le statut du ant Depuis l’origine du mouvement d’interprétation historique, le chant fait l’ob- jet d’un traitement particulier et semble souvent échapper à des principes qui sont pourtant appliqués sans concession à la musique instrumentale. elles peuvent en être les raisons? Premièrement, les voix du passé ne sont conservées dans aucun musée. L’icono- graphie meant en situation des chanteurs n’informe guère sur la technique vocale . Orthographe originale : « C’ę́t quɇ souz votrɇ nom il sɇ puissɇ randrɇ rɇcommandablɇ a ceus dɇ notrɇ tans : e ancorɇs a ceus qui viendront apręs, pour lequéz principalɇmant j’è ecrit : affin quɇ quand notrɇ Languɇ nɇ sɇra plus natiuɇ, ou qu’ęlle aura pris vn changɇmant notablɇ (car les parollɇs n’ont viɇ quɇ par l’Ecriturɇ) íz puissɇt voę̀r commɇ an un miroęr lɇ protręt du Françoęs dɇ cɇtui notrɇ sieclɇ, au plus pręs du naturęl. » C? employée. En définitive, le musicologue désireux de mener une étude historique sur le chant ne disposera au mieux que de quelques traités lacunaires. Ensuite, un chanteur ne peut guère changer de voix comme on change d’instru- ment : la culture d’un organe vocal, qui estl’affaire d’une vie, ne peut que difficile- ment s’effeuer dans plusieurs direions divergentes. C’estpour cee raison que les écoles de chant auelles s’emploient le plus souvent à enseigner une technique « passe-partout » qui permet d’interpréter de manière uniforme le grand répertoire baroque, classique ou romantique. Outil bien adapté aux demandes auxquelles est soumis un chanteur d’aujourd’hui, elle tend néanmoins à gommer les différences nationales et les spécificités de style que, probablement, cultivaient les écoles du passé. Enfin, le chant estle lieu magique où fusionnent deux manières distines et par- fois opposées de struurer le son : la musique et la langue. Curieusement, un chan- teur pourtant acquis aux principes de l’interprétation historique éprouvera souvent de la réticence à voir transposer à la langue la méthode qu’il applique lui-même à la musique. Cee réticence sera d’autant plus marquée que la démarche touchera sa propre langue. Affeivement aaché à son caraère « maternel », il aura tendance à considérer comme une perte d’identité l’abandon d’intonations qui lui sont fami- lières. Souvent, il refusera simplement d’entrer en matière, de crainte que, vêtue à l’ancienne, la langue ne devienne opaque, voire ridicule dans sa bouche. Il craindra par-dessus tout de ne plus être compris de son auditoire. Le son et le sens S’il était avéré que, pour qu’un texte ancien soit compris adéquatement, les so- norités modernes de la langue sont seules utilisables, on ne pourrait que souscrire aux réticences des chanteurs. Mais les sonorités du français quotidien de la fin du ᵉsiècle sont-elles le moyen le plus approprié de faire comprendre un poème vieux de quatre cents ans? La couleur du latin pratiqué au Vatican ou dans l’Église françai- se de favorise-t-elle la compréhension des motets du Grand Siècle? Je n’hésite pas à répondre par la négative. Je suis intimement persuadé qu’il n’estjamais néces- saire de sacrifier le son au sens, ni d’ailleurs le sens au son. Loin de nuire à la compréhension d’un texte, une diion à l’ancienne sert en définitive le sens comme elle sert le son. Moyennant un effort d’adaptation, impor- tant certes pour le chanteur, mais minime pour l’auditeur, et qui n’esten fait qu’une généralisation du principe du musicien « polygloe », elle contribue à maintenir un texte dans son contexte : un système de références proche de celui de son auteur. Le sens évolue plus vite que le son. Avec le passage des siècles, les mots se chargent de significations nouvelles qui parasitent leur sens originel. Par le travail de dépoussié- rage qu’elle implique, la découverte des sonorités anciennes d’une langue contribue à la mise entre guillemets qui estnécessaire à la compréhension d’un texte lié- raire et ancien. Elle permet aussi un meilleur éclairage des jeux formels auxquels se P’? livrent les créateurs, ces rimes, allitérations et figures diverses qui, en matière d’art poétique, sont indissociables du sens fondamental d’une œuvre. Le maillon manquant Il n’existe pas de musée conservant les voix du passé… Et si cee affirmation était finalement erronée? La produion liéraire ne porte-t-elle pas en elle l’empreinte fossilisée des voix à qui elle était destinée? C’estle pari que je fais. À mon sens, l’image que donnent les textes des états antérieurs de la langue està la voix ce que l’iconographie estaux instruments : un maillon indispensable dans la quête d’un foisonnement sonore oublié. C’estune des raisons pour lesquelles je m’efforce ici de ne considérer le chant qu’à travers le prisme de la langue, ou plutôt du discours ; c’estpourquoi, plutôt que de chant français, je préère parler de français chanté : ce n’estpas l’art vocal d’une nation qui m’intéresse, mais le chant en tant que forme de discours. CHAPITRE 2 LE VERBE, LE RYTHME ET LA VOIX L, C’estvne des plusbelles vertus qui soit requise a vng honneste homme & bon orateur, que bien pronuncer. Geofrey Tory, Champfleury, à propos de la lere L. Le verbe et la prononciation Dans l’ae qui consiste à donner une existence sonore à quelques signes gra- phiques, le leeur (ou le chanteur) novice, en plus de transmere un texte brut, le charge inconsciemment de connotations sans rapport avec son contenu. C’est l’origine de celui qui lit, son appartenance sociale, voire sa personnalité qui sont révélées et non le texte lui-même. L’apprentissage de la belle prononciation n’estpas celui d’un verbe aseptisé et inexpressif, c’estau contraire l’acquisition d’un code, riche palee articulatoire dont le contrôle conscient permet au leeur habile, fai- sant oublier qui il est, de servir et d’orner un texte. Je me propose de montrer que ce code, même s’il évolue quelque peu au cours du temps, estnéanmoins d’une co- hérence et d’une stabilité qui dépassent de loin celles de la langue naturelle dont il estissu, car la tradition y joue un rôle capital. La belle prononciation constitue en quelque sorte l’armature du chant, le sque- lee articulatoire sans lequel il ne serait qu’une suite de sons peut-être mélodieuse mais en tous les cas informe. Elle estune composante essentielle du « style », la première des clefs du chant : primordiale car la plus proche de la langue. Le rythme et la déclamation Toute langue naturelle possède, dit-on, son rythme propre, souvent décrit com- me le retour périodique de l’accent. Le français semble se dérober à cee analyse : il serait vain de chercher, dans la liérature contemporaine ou ancienne, une théo- rie de l’accent ou du rythme qui fasse l’unanimité. Le rythme du français n’en existe pas moins, confusément uploads/s3/ bettens-chantez-vous-francais 1 .pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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