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Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de Philosophie Tout ce que vous devez savoir sur l’art sans l’avoir jamais appris Jean-Jacques ROSAT Contribution au Colloque de l’ACIREPh “La dissertation de philosophie en terminale: Épreuve de réflexion, modèle à réfléchir ” - Octobre 2000 –repris in Côté-Philo Un programme de notions autorise à l’examen une diversité si illimitée de sujets qu’il est impossible aussi bien à l’élève de s’y préparer qu’au professeur d’y préparer ses élèves. Affirmer cela n’est pas défendre une conception quelconque de l’enseignement de la philosophie. C’est constater un fait qu’il est facile d’établir. Le dossier que voici est constitué de 3 listes :  La liste des sujets sur l’art donnés au bac, toutes séries confondues, entre 82 et 2000. Ce relevé n’est sans doute pas exhaustif ; on a, en outre, retiré certains sujets comportant des citations, qui seraient écartés aujourd’hui ; et on a éliminé les doublons (les sujets dont la formulation n’est pas tout à fait littéralement la même, mais qui posent exactement la même question). Même dans ces conditions, on arrive à 134 sujets différents.  Une liste des problemes auxquels ces sujets correspondent. Elle peut sans doute être construite différemment. Mais quelle que soit la manière dont on l’organise, il est difficile d’en trouver moins d’une vingtaine 1.  Une liste de concepts dont l’utilisation et la maîtrise paraissent nécessaires pour traiter ces sujets avec un minimum de pertinence. Elle est vraisemblablement loin d’être exhaustive. En plusieurs occasions, j’ai présenté ces listes à des défenseurs du programme de notions. Elle a suscité de leur part deux types de réaction. 1. On m’a dit : il n’est pas honnête d’inclure dans la même liste des sujets du début des années 80 et des sujets récents ; vous n’êtes pas sans savoir que la qualité des sujets s’est considérablement améliorée ces dernières années. a) C’est répondre à côté de la question. Le problème que soulève ces listes n’est pas celui de la qualité des sujets : c’est celui de leur diversité illimitée. Même si les sujets étaient 1 L’ART constitue de ce point de vue un exemple particulièrement intéressant : on remarquera en effet que, même si le beau ne compte pas, comme tel, parmi les notions du programme, il y figure de fait ; de nombreux sujets comportent le terme beau sans nécessairement faire référence à l’art ; ainsi la question du beau naturel entre-t- elle dans les énoncés de sujets. Le raisonnement semble le suivant : un bon cours sur l’art ne peut manquer de traiter du beau, donc le beau est au programme. Le programme réel s’édifie ainsi par une sorte de processus de contamination, que personne ne réglemente mais qui prend la force du fait du fait accompli. Ce phénomène de prolifération est sans doute lié à ce que certains appellent désormais le caractère “organique” du programme, comme s’il y avait, au-delà du programme réglementaire, une idée platonicienne du programme et de la philosophie : il y aurait des notions que, de toute façon, tout bon cours devrait convoquer ; ces notions sont implicitement intégrées au programme. Celui qui s’en offusque ne peut être qu’un mauvais professeur, c'est-à- dire un mauvais philosophe. Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de Philosophie réellement “meilleurs”, cela ne changerait rien au fait que l’élève qui a entendu un cours sur « art et réalité » est démuni quand on lui demande si l’art est utile ; ou que celui qui a eu un cours sur le jugements de goût est sans ressources quand lui demande si on peut expliquer une œuvre d’art. b) Il ne suffit pas d’affirmer que les sujet se sont améliorés ces dernières années pour que cela devienne vrai. La question de savoir quels sont les critères d’un bon sujet de philo au bac n’est pas simple 2. Admettons, par provision, les critères proposés par Francis Marchal : un bon sujet au bac est un sujet identifiable (le problème doit être clairement reconnaissable), classique (il s’agit d’un problème reconnu, que l’élève doit avoir normalement rencontré dans son cours ou dans les textes qu’il a lus), faisable (l’élève doit avoir les moyens de le traiter après une courte année d’initiation à la philosophie). Soit le sujet : L’art modifie-t-il notre rapport à la réalité ? (France métropolitaine, juin 2000, ES) On peut avoir envie de dire que c’est un beau sujet : incontestablement, il peut susciter toutes sortes de réflexions philosophiques intéressantes. Mais est-ce pour autant un bon sujet de bac ? Il n’est pas identifiable : aucun repère n’est donné à l’élève et, même s’il a eu un bon cours classique, il ne saura pas où aller chercher. D’ailleurs, essayez vous-même de reformuler en une ou deux phrase le problème posé ! C’est un sujet qui conduit l’élève de terminale au bavardage. Soit le sujet : L’œuvre d’art met-elle en présence d’une vérité impossible à atteindre par d’autres voies ? (Antilles, juin 2000, S) Cet énoncé fait référence à une doctrine philosophique particulière sur l’art, développée par l’idéalisme allemand et sa postérité. Sauf dans le cas où le professeur lui aura consacré une place privilégiée — ce qui est peu probable dans une série S, tant à cause de l’horaire que de la difficulté à bien faire comprendre cette conception si on ne veut pas la réduire à des formules mystérieuses ou à des slogans —, le sujet est complètement infaisable. c) Mais, encore une fois, la question fondamentale que soulèvent ces listes n’est pas celle-là. La légitimité d’un sujet dépend de son lien avec le programme. Est-il vrai qu’on ne peut pas discuter des goûts ? est un sujet légitime si et seulement si l’élève a eu un cours sur la question du jugement de goût. Et le seul moyen de faire en sorte qu’il en ait un, c’est d’inscrire cette question comme telle au programme. Des sujets comme L’art qui reproduirait la réalité serait-il encore de l’art ? ou Pourquoi dit-on de l’artiste qu’il crée ? sont légitimes si et seulement si la maîtrise de concepts comme ceux de représentation (ou d’imitation) et de création est explicitement requise par le programme. 2. On m’a dit : les choses sont très bien ainsi car cette diversité illimitée des sujets oblige les élèves à faire l’effort de penser et interdit toute récitation d’une question de cours. C’est un propos simpliste, déraisonnable et, au bout du compte, malhonnête. a) Il est simpliste parce que notre enseignement n’a pas à choisir entre le psittacisme et une prétendue pensée sans repère ni rivage : c’est une fausse alternative. Entre les deux, il y a justement tout l’espace de l’apprentissage de la réflexion philosophique. b) Il est irréaliste parce qu’il prête aux élèves une invraisemblable capacité de transposition : ayant rencontré un concept ou une idée dans le contexte de tel problème, ils devraient être capables de les réutiliser dans des contextes complètement différents. Vous 2 Il n’est pas sûr d’ailleurs qu’un programme de notions permette d’y répondre correctement dans la mesure où on peut penser qu’un des critères caractéristiques d’un bon sujet est qu’il donne à l’élève l’occasion de mettre en œuvre ce qu’il a appris pendant l’année — qu’il permette de s’assurer que l’élève comprend le sens de certains problèmes philosophiques, qu’il connaît un certain nombre d’idées et sait les réutiliser intelligemment, qu’il maîtrise certaines distinctions conceptuelles, etc. Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de Philosophie avez étudié le concept de liberté dans le contexte d’un cours de métaphysique sur Liberté et déterminisme ? Eh bien, vous devez savoir répondre à la question En quoi l’art peut-il favoriser la liberté ? Vous avez eu un cours sur la religion ? Alors vous êtes tout à fait compétent pour nous dire En quoi le sentiment esthétique se distingue-t-il du sentiment religieux. c) Il est malhonnête, car il revient à demander aux élèves ce que nous-mêmes, professeurs, ne saurions pas faire. Imaginez un instant que vous ayez à traiter L’art peut-il s’enseigner ? sans jamais avoir entendu parler de Kant et du thème du génie et des règles ; ou bien de L’art peut-il se comprendre comme une conversion des passions ? sans rien connaître d’Aristote et la catharsis ? Non seulement vous ne sauriez rien dire d’un peu pertinent, mais même vous ne sauriez pas donner véritablement de sens à de tels sujets. Ce n’est que dans le contexte d’une certaine culture philosophique qu’un problème de philosophie prend son sens. Il y a quelques années, on avait osé donner comme sujet de bac Les mathématiques se fondent-elles sur la logique ? Etant donné la très faible place que tient la philosophie de la logique en France et l’ignorance largement répandue quant aux débats du début du siècle sur le logicisme (Frege, Russell), c’est un sujet que 9 professeurs de philosophie sur 10 étaient incapables non seulement de traiter mais même de poser et reformuler de façon satisfaisante. Eh bien nous devons nous dire que nos uploads/s3/ rosat-sujet-art-dissertation.pdf

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