L’image de la musique kabyle dans les écrits musico-orientalistes de Francisco
L’image de la musique kabyle dans les écrits musico-orientalistes de Francisco Salvador-Daniel et Jules Rouanet Nacim KHELLAL Musicographes et orientalistes, Francisco Salvador-Daniel et Jules Rouanet peuvent être considérés comme les pionniers de l’étude de la musique kabyle1 en Algérie. En 1867, Francisco Salvador-Daniel publie « Notice sur la musique kabyle », un travail présenté comme complément d’étude dans un ouvrage d’Adolphe Hanoteau (1867) sur les Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura. Francisco Salvador-Daniel ana- lysa les modes utilisés dans la musique kabyle et les compara aux modes grecs. Il en a présenté une quinzaine de transcriptions musicales. Quant à Jules Rouanet, il aborda la musique kabyle dans un chapitre sur la musique arabe dans le Maghreb, publié en 1922, dans l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du conservatoire (Rouanet, 1922). Il décrivit la « société des kabyles » et distingua complètement leur musique de celle dite « arabe » et surtout de la musique « hispano-mauresque ». Il mit l’accent sur l’influence de la musique dite moderne à son époque, exercée sur les mélodies populaires kabyles. Nous avons scindé cet article en deux parties distinctes : une pre- mière partie où nous relatons les écrits autour de cette musique, avec un défilement chronologique des plus anciens aux plus récents ; une seconde, où nous essayons à partir des deux études précitées, de déterminer la part de l’intérêt accordé à la mu- sique kabyle par rapport à l’intérêt général pour les musiques du Maghreb, tout en cernant ses traits caractéristiques, tels que représentés précédemment dans lesdites études en les examinant à la lumière des études et analyses actuelles de cette musique. Docteur en musicologie, maître de conférences à l’École normale supérieure – Kouba, Alger. khellal_na- cim@yahoo.fr. 1 Kabyle : de la région de Kabylie située au Nord-Est d’Alger, sa population est berbérophone (langue kabyle), de culture et de traditions Amazigh. 110 Revue des traditions musicales no 12 1. Principaux travaux sur la musique kabyle et leur chronologie Avant d’aborder le sujet sur la part de la musique kabyle au sein des écrits des orien- talistes francophones, il convient de noter l’attention portée par de nombreux cher- cheurs aux musiques d’Orient et d’Afrique du Nord (Maghreb), en particulier, en mettant en exergue l’attrait de plusieurs musicographes, musicologues et hommes de lettres tels que : Félicien David, Francisco Salvador-Daniel, Béla Bartók, Henry George Farmer et Rodolphe d’Erlanger. Berbérophones et arabopnones (Guettat, 1984, p. 141-167 ; 1986, p. 47-49), ces populations vivaient ensemble et contribuèrent à constituer un grand socle musical longtemps appelé musique arabe par les orientalistes. Or, ce socle est constitué d’une mosaïque de cultures musicales. La musique kabyle représente une composante de cette musique du Maghreb. Elle a été le sujet de quelques travaux, parfois à travers sa poésie et parfois à travers les chants pratiqués dans différentes circonstances de la vie rurale d’antan. Les plus anciennes transcriptions des poèmes kabyles ont été publiées en 1829 par l’Américain William Brown Hodgson (1800-1871), dans son ouvrage A collec- tion of Berber songs and tales with their literal translations (Redjala et Semmoud [en ligne]), composé de textes en langue kabyle, transcrits en écriture arabe, suivis de leurs traductions en anglais. En 1863, Francisco Salvador-Daniel publia un album de chansons arabes, mau- resques et kabyles (Daniel, 1863), présentant des chants arrangés avec adaptation des paroles en français et accompagnement harmonisé au piano. Figure numéro 1 : page de garde de l’album de chansons arabes, mauresques et kabyles (Daniel, 1863) L’image de la musique kabyle dans les écrits musico-orientalistes 111 Plus tard en 1867, Adolphe Hanoteau publia ses Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura. On y trouve un complément d’étude sous-titré : « Notice sur la musique kabyle » accompagné d’une quinzaine de transcriptions musicales, un travail signé par Francisco Salvador-Daniel. Un autre travail sur la poésie kabyle, est celui publié dans la Revue Africaine (1889-1890) : « chansons de smail azikkiw » par Dominique Luciani (Luciani, 1900, p. 44-59). En 1904, un kabyle nommé Amar ou Saïd Boulifa publia un recueil de poésie kabyle (Boulifa, 1904), où il s’insurge contre les conclusions intentionnées de Hano- teau, faites sur la société kabyle. Ce travail annoté est précédé d’une étude sur la femme kabyle et d’une notice sur les chants et airs de musique kabyles. Figure numéro 2 : couverture du livre de Boulifa (1904) Suite à son voyage en Algérie en 1913, le Hongrois Béla Bartók publia en 1917 puis en 1920, une étude ethnomusicologique consacrée à la musique populaire dans la région de Biskra au sud algérien intitulée : « la musique populaire des arabes de Biskra et des environs », dans laquelle nous trouvons trois airs de danse kabyles (Bartók, 1961). En 1922, Jules Rouanet, musicologue français, directeur de l’école de musique du petit Athénée à Alger et collaborateur du journal La dépêche algérienne, publie : « La musique arabe dans le Maghreb » dans l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire 112 Revue des traditions musicales no 12 du conservatoire (Rouanet, 1922, p. 2885-2892). Dans ce travail qui retient notre attention, Rouanet réserve quelques pages à la musique des kabyles, accompagnées d’un nombre important de transcriptions musicales. 2. La part de la musique kabyle au sein des écrits des franco- orientalistes Après avoir rapporté les principaux écrits des musico-orientalistes sur la musique kabyle, nous souhaitons étudier la part de la musique kabyle au sein des écrits des franco-orientalistes, puis en cerner les traits caractéristiques, en nous basant sur les deux principaux travaux que sont la « Notice sur la musique kabyle » de Francisco Salvador-Daniel et « La musique des kabyles » de Jules Rouanet. 2.1. Notice sur la musique kabyle de Francisco Salvador-Daniel Complément de recherche de l’ouvrage de Hanoteau Poésies populaires de la Kaby- lie du Jurjura, paru en 1867, cette notice et avant d’être publiée telle quelle, a paru, en premier lieu, sous la forme d’articles dans la Revue Africaine. Ce travail est sans doute le premier du genre à avoir présenté une étude à la fois littéraire, linguistique et sociologique de chants kabyles, en plus d’une quinzaine de transcriptions de ces chants, sans arrangements ou adaptations aux instruments occidentaux. Ci-dessous quelques exemples. Figure numéro 3 : Partition dans la notice de Francisco Salvador-Daniel (1986, p. 119) L’image de la musique kabyle dans les écrits musico-orientalistes 113 Figure 4 : Suite Partions (Daniel. 1986, p. 120-121) Contrairement à sa notice sur la musique kabyle, l’auteur présente dans L’album des chansons arabes, mauresques et kabyles publié, en 1863, douze chants, dont quatre sont des chants kabyles, transcrits avec adaptation des paroles en français et accompagnement de piano qui reproduit le son des tambours. Ces quatre chansons en question sont : Le chant de la meule, Klaa beni abbes, Stamboul et Zohra. Figure numéro 4 : couverture et 1e page de la partition « Stamboul » (Daniel, 1863) 114 Revue des traditions musicales no 12 Figure numéro 5 : couverture et 1e page de la partition « Zohra » (Daniel, 1863) Figure numéro 6 : couverture et 1re page de la partition « Le chant de la meule » (Daniel. 1863) L’image de la musique kabyle dans les écrits musico-orientalistes 115 Figure numéro 7 : couverture et 1e page de la partition « Klaa Beni Abbes » (Daniel, 1863) Dans la première page de la notice, l’auteur affirme que les kabyles utilisent dans leur musique les mêmes douze modes de la musique arabo-andalouse. Celle-ci qui est une musique savante citadine, peut avoir subi des influences de la part des mu- siques des populations de différentes ethnies qui vivaient ensemble en Andalousie. Or, la musique kabyle est une musique traditionnelle villageoise circonstancielle. Il est donc peu probable que cette musique kabyle s’apparente à cette musique citadine. On peut constater dans ce travail, qu’il y a omission de sources sur la prove- nance de ces chants et musiques et toutes les informations qui auraient pu rendre ce travail plus pertinent. Malgré cela, l’auteur nous fournit des informations portant sur les traits caractéristiques de cette musique, en la décrivant comme suit : - Les deux éléments de la musique des kabyles sont la mélodie et le rythme, l’har- monie leur est complètement inconnue. - Les kabyles ont aussi des modes, ou des gammes spéciales, affectées au carac- tère, au genre de la poésie qu’ils chantent (l’aspect modal de la musique kabyle). - Les kabyles n’ayant pas d’écriture musicale, la transmission orale est le seul et unique moyen pour transmettre leur musique. Par conséquent, il cite plusieurs exemples sur les changements que subit une même mélodie chantée par deux chanteurs dans le même village ou dans deux villages différents, ces change- ments n’affectant que le texte et quelques détails dans la mélodie : « Toutefois cette variété, ces divergences de texte ne portent généralement que sur les détails et ne changent en rien le mode, ni, par conséquent, le caractère d’ensemble du morceau » (Daniel, 1986, p. 116). - La continuité du même rythme tout au long de la chanson sans aucun change- uploads/s3/ rtm-12-2018-khellal-l-image-de-la-musique-kabyle.pdf
Documents similaires










-
41
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 17, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.7404MB