Sommaire 5 ÉDITO Constellations mathématiques 6 RENCONTRE Jean-Pierre Bourguign
Sommaire 5 ÉDITO Constellations mathématiques 6 RENCONTRE Jean-Pierre Bourguignon et Michel Cassé : « Il y a une jubilation incontestable dans l’usage des mathématiques » 12 REPÈRES Les mots de la planète maths 16 COSMOS Les nouveaux contours de l’espace-temps 24 Le pouvoir unificateur des catégories 26 INFINIMENT PETIT Pour une poignée de particules 30 SYMÉTRIE La suprême harmonie du monde 34 Comment rayures viennent au zèbre 40 NEUROSCIENCES Le cerveau, machine à probabilités ? 45 Tous géomètres ! 46 BIOMATHÉMATIQUES Les fécondes équations du vivant 52 INTELLIGENCE ARTIFICIELLE Robots : l’apprentissage de la curiosité 58 Le raisonnement est-il encore le propre de l’homme ? 62 RÉSEAUX Les structures cachées de la galaxie internet 65 Les maths rattrapées par les tsunamis 66 PROBABILITÉS Les mécomptes des statistiques 68 MARCHÉS FINANCIERS Les folles croyances de la finance 72 ARTS Musique en mode géométrique 77 Oulipo : les maths au pied de la lettre 80 LE RÊVE MATHÉMATIQUE DE LA FONDATION CARTIER RENCONTRE AVEC DES MATHÉMATICIENS D’EXCEPTION 28 Jean-Pierre Bourguignon, Giancarlo Lucchini, Carolina Canales 38 Mikhaïl Gromov, Alain Connes 50 Michael Atiyah, Don Zagier 60 Nicole El Karoui, Cédric Villani 3 Édito Constellations mathématiques Lorsqu’il fait grand jour, les mathématiciens vérifient leurs équations et leurs preuves, retournant chaque pierre dans leur quête de rigueur. Mais quand vient la nuit que baigne la pleine lune, ils rêvent, flottant parmi les étoiles et s’émerveillant au miracle des cieux. C’est là qu’ils sont inspirés…(1). » Ces mots sont ceux de Michael Atiyah, l’un des plus inventifs mathématiciens de notre temps. A les lire, tirant une ligne claire de la rigueur au rêve, des équations aux constellations, on comprend l’affreux malentendu dont souffre la discipline. Réputée rigide, obscure, elle ouvre en réalité des horizons infinis et poétiques. « Les mathématiciens sont des créateurs au même titre que les artistes, jouant du rationnel et de l’irrationnel », dit, autrement, Jean-Pierre Bourguignon, dans l’entretien qui ouvre ce hors-série. C’est pour changer le regard porté sur eux que le directeur de l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) a osé, avec le physicien Michel Cassé, une entreprise audacieuse : mettre en scène à la Fondation Cartier, haut lieu artistique, les méandres de la pensée mathématique (lire p. 11). Les théoriciens y sont sujets, et non objets, « auteurs, et non x et y de l’équation », insiste Michel Cassé. Ils y nouent un échange, tournant à l’« hybridation », avec des artistes comme les cinéastes David Lynch ou Raymond Depardon, la chanteuse Patti Smith ou le sculpteur Hiroshi Sugimoto. Une aventure dépaysante, dont Sciences et Avenir s’est rendu complice à travers un partenariat. Nous la prolongeons avec ce hors-série, en explorant le pouvoir créateur des mathématiques. Un pouvoir vertigineux : des théorèmes ont permis de prédire l’existence de Neptune et celle des trous noirs avant leur détection ; le concept de symétrie, de traquer de nouvelles particules ; certaines équations, de comprendre comment les rayures viennent au zèbre ; les graphes, d’explorer les petits mondes de la galaxie internet ; et les probabilités, les méandres de notre cerveau. Des algorithmes pourraient même doter les robots de curiosité. Se pose alors une question excitante, débattue depuis l’Antiquité : les mathématiques sont-elles inscrites dans le monde, ou s’agit-il d’une construction humaine pour le décrypter ? Nous voici loin du simple exercice de calcul ! « Il faut accepter que les mathématiciens évoluent dans d’autres sphères que celles où l’on voudrait les cantonner », conclut Jean-Pierre Bourguignon. Capables de donner de nouveaux contours à l’espace et au temps, leurs formules tracées à la craie sur le tableau noir flirtent avec la métaphysique. Et la beauté fait partie de leur quête. Une beauté liée, selon le théoricien Don Zagier, à « la brièveté, la simplicité, la clarté ». « Le bon chemin mathématique, ajoute-t-il, se révèle aussi le meilleur du point de vue esthétique (2). » Cette beauté, les artistes l’ont mise en scène à la Fondation Cartier. Avec les travaux du mathématicien Henri Poincaré, le plasticien Jean-Michel Alberola a composé une voûte céleste. De chacun de ces lumineux concepts, il a fait une constellation… ALINE KINER, RÉDACTRICE EN CHEF 1. Les Déchiffreurs. Voyage en mathématiques de Jean-François Dars, Annick Lesne, Anne Papillault, Belin, 2008 2. Catalogue de l’exposition « Mathématiques. Un dépaysement soudain » à la Fondation Cartier. 5 Jean-Pierre Bourguignon, mathématicien, directeur de l’Institut des hautes études scientifiques, Michel Cassé, astrophysicien au CEA « Il y a une jubilation incontestable dans l’usage des mathématiques » Commissaires de l’exposition « Mathématiques » à la Fondation Cartier, les deux scientifiques aimeraient susciter un nouveau regard sur la discipline. Pourquoi avoir intitulé cette exposition : « Mathématiques, un dépaysement soudain » ? Jean-Pierre Bourguignon. L’expression « dépaysement soudain » est tirée de l’ouvrage Récoltes et semailles d’Alexandre Grothendieck, mathématicien hors norme, qui a profondément transformé la discipline (lire l’encadré p. 8) . Elle renvoie à cette idée que, lorsqu’on se plonge dans les mathématiques, il y a à la fois surprise et appropriation. Loin de l’image traditionnelle un peu rigide de la discipline, les mathématiciens doivent constamment jouer du rationnel et de l’irrationnel, même si tout se termine par des démonstrations et des énoncés précis. Michel Cassé. Cette exposition, qui s’inscrit sous le signe des Lumières, comporte au revers une partie d’ombre, de mystère. Le terme de mystère étant explicite dans la bouche et l’esprit du mathématicien Mikhaïl Gromov. Il en a édicté quatre, pour certains indépassables, autour desquels le cinéaste David Lynch a imaginé une installation : les mystères de la nature des lois de la physique, de la vie, du cerveau, et, enfin, de la structure mathématique : comment et où apparaît-elle ? Comment le cerveau parvient-il à l’élaborer ? L’idée de dépaysement soudain me semble contenue dans ces quatre mystères. Les mathématiques sont-elles inscrites dans la structure du monde ? Ou s’agit-il d’une construction humaine ? M. C. C’est là une question essentielle, qui nous poursuit depuis l’Antiquité. Pour Platon, les nombres et les formes permettaient de comprendre le monde d’une manière intelligible, indépendamment de l’expérience sensible de chacun. Il considérait donc effectivement les mathématiques comme inscrites dans la Réalité. Certains mathématiciens – comme Alain Connes – adhèrent à cette vision platonicienne. J.-P. B. En revanche, pour quelqu’un comme Mikhaïl Gromov, à l’origine des mathématiques, il y a une construction humaine et la confrontation à un mystère. Sa position reflète l’étonnement et le doute, à la manière des agnostiques : comment notre cerveau peut-il engendrer un édifice aussi incroyablement adapté au réel jusque dans ses aspects les plus intimes, les plus complexes ? Autrement dit, comment peut-on expliquer « la déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences de la nature » , selon la formule du physicien Eugene Wigner, prix Nobel en 1963 ? Je me sens proche de la position agnostique. Notre perception du monde est de toutes les façons le résultat d’un processus piloté par notre cerveau. Mon interrogation porte sur le mode de fabrication de cette intuition : comment, germant dans l’esprit d’une personne, elle participe finalement à un corpus de connaissances universel. De quelle manière se manifeste la « déraisonnable efficacité » des mathématiques ? J.-P. B. Prenons l’exemple classique de la ronde des planètes autour du Soleil. Jusqu’au XVII e siècle, nous étions incapables de prédire leur mouvement, même si Johannes Kepler, s’appuyant sur les observations accumulées, avait pu proposer des lois considérant des trajectoires elliptiques. Pour arriver à une − 6 − formulation prédictive, il a fallu qu’Isaac Newton fasse trois choses à la fois : inventer un ensemble de concepts mathématiques – la vitesse instantanée, l’accélération et la manière de les calculer ; proposer une loi fondamentale expliquant le mouvement des corps sous une action extérieure ; l’appliquer à l’attraction des corps massifs. Il a fait preuve de talents exceptionnels, à la fois comme créateur de concepts à portée universelle et comme modélisateur, au sens où on l’entend aujourd’hui. Jean-Pierre Bourguignon Directeur de l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) à Bures-sur- Yvette (Essonne) depuis 1994 et professeur à l’Ecole polytechnique, où il enseigne la relativité générale (lire aussi son portrait p. 29). Michel Cassé Astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et à l’Institut d’astrophysique de Paris, il est aussi écrivain. Parmi ses ouvrages : Astrophysique, 2011, éditions Jean-Paul Bayol, Les Trous noirs en pleine lumière, Odile Jacob, 2009, Cosmologie dite à Rimbaud, éditions Jean-Paul Bayol, 2007, Généalogie de la matière, Odile Jacob, 2000. 7 Alexandre Grothendieck, génie iconoclaste Il n’est pas physiquement présent à l’exposition de la fondation Cartier. Voilà plus de deux décennies que le génie iconoclaste des mathématiques Alexandre Grothendieck, 83 ans cette année, s’est retiré de la sphère scientifique. Mais son esprit est intensément là. D’abord à travers des passages de son livre mythique Récoltes et Semailles (1), qui seront lus au cours de l’exposition. « Un texte de salubrité publique, qui tisse un lien lucide entre la philosophie, les mathématiques, les institutions et la recherche scientifique », nous confiait Denis Guedj, mathématicien et historien des sciences, avant sa disparition en uploads/s3/ sciences-et-avenir-h-s-stephane-fay-leila-roman-david-larousserie-le-pouvoir-infini-des-mathematiques-sciences-et-avenir-2012.pdf
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- Publié le Aoû 22, 2022
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