Sans Niveau ni Mètre JOURNAL DU CABINET DU LIVRE D’ARTISTE Gratuit gratuit SANS

Sans Niveau ni Mètre JOURNAL DU CABINET DU LIVRE D’ARTISTE Gratuit gratuit SANS NIVEAU NI MÈTRE --- Est une formule de Bruno Di Rosa, premier concepteur du CLA, reconstruit en 2014 par Sarah Chantrel & Samir Mougas RÉDACTEURS --- Marco sem S................................................... Amir Brito Cadôr............................................. Aurélie Noury................................................ 12 mars / 30 avril 2020 Conceptual Comics Numéro 54 Conceptual Comics L ’édition aujourd’hui, en tant que pratique artistique, est sujette à de nombreuses discussions, concernant l’objet (le livre d’artiste), mais aussi le processus (comment s’insère un livre dans l’œuvre d’un artiste 1). L’emploi fréquent d’un terme générique comme « publication » est révélateur d’une volonté de franchir les limites tradi- tionnelles entre les livres d’artistes et d’autres formes de production indépendante, comme les fanzines ou les bandes dessinées. De plus en plus, des bandes dessinées sont incluses dans les expositions de livres d’artistes 2, ce qui démontre leur potentiel critique et expressif. On peut identifier trois types de publications associés aux bandes dessinées : les livres d’artistes qui, occasionnel- lement, adoptent des éléments propres aux bandes des- sinées ; les bandes dessinées indépendantes qui usent d’un métalangage ; et les bandes dessinées ayant une approche plus critique, produites par des auteurs qui circulent entre ces deux milieux jusque-là opposés. La hiérarchie instaurée par les institutions culturelles a suscité une division entre la culture dite « haute » et « basse », reléguant les bandes dessinées à une catégorie d’objets de consommation jetables, ignorés par les artistes et les intellectuels. De l’autre côté, les pratiques artistiques d’avant-garde se sont heurtées à ces éternels questionnements : « quel est le rapport entre la vie et l’art et quelle est la fonction sociale de l’art ? » La frontière entre ces deux mondes est d’ailleurs le thème d’une œuvre de Bertrand Lavier, s’inspirant d’une aventure de Mickey et Minnie au musée d’Art moderne, au milieu de peintures et de sculptures abstraites. L’artiste a donné vie à ces œuvres en recréant l’exposition visible dans la bande dessinée et en a tiré le livre Walt Disney Productions. La poésie concrète et visuelle a également donné lieu à de nombreux exemples d’emplois de la bande dessinée, comme l’effet de séquence dans les livres pionniers de Décio Pignatari. Les artistes du mouvement Poema- processo ont essayé de rompre toute hiérarchie en intégrant des éléments des médias de masse dans leurs travaux. Quelques un de ces poèmes sont à la limite d’abolir le mot écrit, n’utilisant que des codes à la place du texte. C’est le cas du livre Poemics, d’Alvaro de Sá, entièrement réalisé avec des bulles de dialogues, son titre étant une combinaison de « poèmes » et « comics ». Ainsi, certains éléments fondamentaux de la bande dessinée en tant que genre — séquence, mouvement, tempo — « gagne[nt] de l’importance dans l’art contemporain, de telle sorte que les bandes dessinées sont souvent mentionnées, inconsciemment ou involontairement 3. » En tant qu’exercice narratif, les romans-photos étaient très populaires dans les années 1960. L’emploi d’une série de photographies pour décrire un événement est commun aux livres enregistrant des performances, comme ceux d’Allan Kaprow. Le brésilien Rettamozo a réalisé ce que je nomme une « performance pour la page », avec des photographies en séquences, renvoyant à une planche de bande dessinée. L’artiste espagnol Francesc Ruiz a publié un livre reprenant en bande dessinée la scène inaugurale du film Fahrenheit 451 4. L’adaptation d’un film pour le support papier est aussi le point de départ de quelques livres de Lawrence Weiner, tandis que d’autres artistes ont pu utiliser de façon plus directe la structure du roman-photo. On peut citer ici La Vie d’artiste d’Ernest T. En règle générale, les associations entre la bande dessinée et la musique se limitent aux dessins de pochettes de disques, mais le travail pionnier de l’italien Eugenio Carmi (Stripsody, 1967) va plus loin, car il s’agit d’une partition graphique faite exclusivement avec des onomatopées. L’artiste Christian Marclay a créé encore une autre partition (To be continued, 2016) : un collage à partir de plusieurs magazines où des personnages de bande dessinée émettent plusieurs sons — ils crient, jouent des instruments, produisent des onomatopées, etc. L’altération des dialogues d’une bande dessinée connue peut être considérée comme un travail de détournement. Le brésilien Ricardo Macêdo a ainsi remplacé les dialogues d’une aventure du ranger Tex Willer par des textes critiques sur l’art, comme ceux de Clement Greenberg, produisant une histoire sur un « texan tachiste et un curateur indigène contemporain ». Un autre type de détournement est celui de l’ajout de bulles de dialogue, ainsi que le pratique l’italien Lamberto Pignotti dans sa Biblia Pauperum (1977) où il modifie le sens d’une série d’estampes de l’Ancien et du Nouveau Testament au profit de questions sociales 5. La réorganisation des vignettes et autres procédures de copie, de sélection ou d’effacement sont encore une autre forme de détournement entreprise par le groupe OuBaPo (Ouvroir de la Bande Dessinée Potentielle), dont le représentant le plus connu est Jochen Gerner faisant une « lecture chromatique des aventures de Tintin ». Lorsqu’il s’agit d’albums publiés de façon indépendante ou de travaux expérimentaux, il est difficile de déceler une différence entre les livres d’artistes et les bandes dessinées. On emploie le terme de Conceptual Comics pour parler des œuvres « non affiliées à l’histoire généralement acceptée du milieu de la bande dessinée 6 », réunissant des œuvres conceptuelles et des pratiques non conventionnelles peu connues en dehors de la communauté de spécialistes (en général, les lecteurs et les chercheurs sont les auteurs eux-mêmes, formant une communauté close, comme c’est aussi le cas avec les livres d’artistes). Ces travaux, bien qu’ils ressemblent formellement aux bandes dessinées, emploient des procédures de montage et d’appropriation issues des arts visuels. Un phénomène encore peu étudié est l’appropriation intégrale d’un album déjà existant, pratique pourtant assez commune pour les livres d’artistes créés à partir d’œuvres littéraires. Dans une étude réalisée par Annette Gilbert 7, le déplacement du domaine littéraire vers les arts visuels se présente comme une forme de rapport intertextuel, une espèce de commentaire critique à propos de l’œuvre. Mais les appropriations de bandes dessinées, objets de vénération entre spécialistes, semblent rester dans une limbe, ignorées du grand public et de la majorité des chercheurs en arts visuels. Ilan Manouach est un artiste important dans ce domaine. L’une de ses œuvres les plus célèbres, Katz, se base sur l’album Maus d’Art Spiegelman. Il y a redessiné les personnages, en remplaçant tous les animaux par des chats. La maison d’édition européenne de l’œuvre d’origine a porté plainte contre l’artiste grec, l’obligeant à détruire tous les exemplaires. Manouach a rendu compte dans Metakatz du processus de création et de destruction du tirage afin de ne pas laisser cette initiative disparaître des mémoires. Dans un autre projet, il a publié en lingala, la langue officielle du Congo, une édition pirate de Tintin au Congo, livrant une réflexion sur les rapports entre la consommation de biens culturels et le racisme. Il existe des éléments propres au langage formel des bandes dessinées, comme la présence d’onomatopées, de bulles ou la division de la page en vignettes. L’emploi du métalangage comme forme de critique et de réflexion sur son contexte est un autre point de contact entre les livres d’artistes et quelques bandes dessinées contemporaines. Ayant l’apparence d’une étude sur ces aspects formels, l’argentin Martín Vitaliti a publié une série de trois livres dans lesquels il isole les éléments considérés comme secondaires en bande dessinée, pour en faire les personnages principaux des récits 8. Ce genre de récits abstraits, attentifs à la structure formelle des bandes dessinées, constituent les matériaux premiers d’un groupe d’artistes européens que l’on pourrait nommer French Structural Comics parce que « leurs travaux ressemblent aux œuvres du cinéma structurel 9 » des années 1960. Parfois, les personnages n’y sont que des formes et des couleurs, comme dans les livres de Frédérique Rusch et Alexis Beauclair. Dans les premières pages de Four Basic Kinds of Lines & Colour (1971), Sol LeWitt présente le contenu du livre dans une série de vignettes. En même temps qu’elles constituent une sorte de sommaire visuel, ces deux pages fonctionnent aussi comme une bande dessinée abstraite affichant des combinaisons graphiques élémentaires 10. La référence à l’univers des bandes dessinées est plus directe quand il y a la présence d’un personnage célèbre. Même dans ces cas, l’allusion n’est pas dépourvue d’un sens critique. Les bandes dessinées commerciales sont aussi produites en tant que véhicule idéologique, comme l’a bien montré Ariel Dorfman dans son livre How to read Donald Duck: Imperialist Ideology in the Disney Comic 11. Cette même critique de l’impérialisme prend d’autres contours quand elle associe les super-héros à des figures populaires mexicaines et à des statues précolombiennes comme dans le livre Codex espangliensis: from Columbus to the border patrol 12. Dans d’autres cas, les artistes ont choisi de raconter des histoires de personnes banales, sans pouvoirs particuliers. Simon Grennan et Christopher Sperandio ont publié des bandes dessinées sous forme de projets collaboratifs. uploads/s3/ snnm-54.pdf

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