Dossiers pédagogiques – Collections du Musée Parcours LE CORPS DANS L’ŒUVRE Ren

Dossiers pédagogiques – Collections du Musée Parcours LE CORPS DANS L’ŒUVRE René Magritte, Les Marches de l’été, 1938 © Adagp, Paris 2006 INTRODUCTION REPRÉSENTER LE CORPS Défigurer Fragmenter Hybrider LE CORPS À L'ŒUVRE Le corps en action Traces et empreintes Le trait et la pulsion Un espace du toucher LE CORPS SUPPORT DE L'ŒUVRE Le Body­art Changement d’identités CORPS ET EXPERIENCE DE L'ESPACE-TEMPS Traverser la couleur Éprouver la durée La menace d’effondrement au centre de la perception de l’œuvre L’expérience du labyrinthe Dépasser les limites apparentes de la perception BIBLIOGRAPHIE INTRODUCTION La représentation du corps est intimement liée à l’art occidental, à tel point que certains critiques n’hésitent pas à soutenir que, même sous sa forme la plus abstraite, la peinture ne serait que représentation du corps. Les mystères du Verbe qui se fait chair, dogme catholique de l’Incarnation, ayant alimenté pendant des siècles la question de la Figure et de son corrélat, l’infigurable. Or, ce signifiant premier des arts plastiques, d’abord soumis aux canons esthétiques liant beauté, harmonie et idéal, est réinterrogé à plusieurs reprises après la Renaissance et de manière éclatante en 1863 par l’Olympia de Manet. Substituant le nu réaliste aux images idéalisées, l’Olympia est le premier tableau par lequel le scandale arrive. La modernité est caractérisée par le caractère polémique et subversif des œuvres. De la révolution cubiste à l’art brut, en passant par Giacometti et Bacon on assiste à une véritable remise en cause de toute idée de beauté, de vraisemblance et de proportion. Disloqué, défiguré, géométrisé, stylisé, le corps traverse et ébranle la représentation picturale et sculpturale au XXe siècle. Mais, s’affranchissant même de la représentation, il se donne à voir comme présence, trace tangible du corps de l’artiste à l’œuvre dans les drippings de Pollock et dans les empreintes réelles des corps­pinceaux des modèles de Klein, jusqu’aux extrêmes de l’art corporel où l’artiste met en jeu son propre corps, le soumettant à des épreuves sensibles à la limite du supportable. Faisant appel de plus en plus à la participation du spectateur, à l’enseigne d’une expérience sensible incluant l’espace et le temps, il est à l’œuvre dans les installations, le Land art, les vidéos de Bill Viola par exemple, dans les profondes immersions dans la couleur que demandent les toiles de Newman ou de Rothko, ou dans la singulière relation à la durée qu’instaurent les œuvres d’Opalka. C’est un parcours des collections du Musée national d’art moderne, à l’enseigne des transformations de ce sujet majeur des arts plastiques au XXe siècle, que propose ce dossier. REPRÉSENTER LE CORPS En même temps que s’éloigne l’image de l’ancienne figure du monde dans les événements tragiques du XXe siècle ­ guerres mondiales, massacres, génocides, défiant la confiance en l’homme et dans le progrès cher au XIXe siècle ­, une importante révolution plastique se met en place. Les artistes, ébranlant les codes figuratifs traditionnels, s’attaquent à la représentation humaine, pour en donner une image disloquée, géométrisée, déformée, défigurée. Cette révolution plastique est accompagnée d’une remise en cause philosophique de la pensée cartésienne et de la naissance de la psychanalyse, abolissant l’unité du sujet conscient, pour révéler un sujet clivé entre le « moi » et les différentes instances inconscientes. DÉFIGURER PABLO PICASSO (1881-1973) S’attaquant avec la même force, aux natures mortes qu’au corps humain, le Cubisme fait voler en éclat la représentation du réel, déforme la figure humaine jusqu’à la monstruosité. Picasso qui, déjà en 1907 avec les Demoiselles d’Avignon, avait révolutionné l’art moderne, introduisant l’art ibérique et africain, se lance, dès 1908, dans cette aventure. Pablo Picasso, Deux Femmes sur la plage (Femmes devant la mer), 16 juin 1956 Huile sur toile, 195 x 260 cm Ce tableau est le dernier du cycle des Baigneuses sur la plage. Le corps humain traité de manière structurée et géométrique fait penser à la série des Femmes d’Alger d’après Delacroix, que Picasso avait réalisée l’année précédente. Les corps féminins, ici monumentaux, semblent se plier aux exigences du format qu’ils dépassent largement. Surfaces planes et volumes s’imbriquent dans l’espace, et la peinture dialogue avec la sculpture, selon l’habitude de Picasso de passer indifféremment de l’une à l’autre. Les détails des visages, le motif du miroir à la main où se regarde la femme de gauche, se subordonnent à la puissante structure d’ensemble. La couleur elle­même, réduite à l’essentiel, détache les deux nus ocre­rouge du fond bleu pâle. Tandis que la figure de gauche dresse son torse à la verticale, l’autre s’incurve, prolongeant ce mouvement dans le cou qui se baisse pour finir dans le rectangle du bras. Même si ce tableau est d’époque plus tardive, la multiplication des plans ­ fruit de l’éclatement du point de vue ­, ainsi que la simplification des volumes et la dépersonnalisation de la figure sont typiquement cubistes. JEAN DUBUFFET (1901-1985) S’articulant en un certain nombre de séries qui constituent à chaque fois un changement de style, l’œuvre de Dubuffet n’en est pas, pour autant, moins cohérente du point de vue de la pensée et d’une certaine vision de l’homme, de l’art et de la culture. Réduire son œuvre à l’art brut ou inspiré des dessins d’enfance, serait oublier le caractère délibéré d’un tel art et son côté savant, alimenté par de nombreux écrits théoriques. S’intéressant à la représentation du corps humain, Dubuffet y revient à plusieurs reprises. Notamment en 1950­1951, avec la série des Corps de dames, il se mesure au genre le plus sacré de la peinture occidentale : le nu féminin. Il dépouille la figure humaine de ses plus chères prérogatives : ordre, beauté, symétrie. Il aplatit les formes qui se confondent dans la matière. « Changés en galette, aplatis au fer à repasser », selon ses dires, les corps sont transformés en des champs ouverts de matière chaotique, juste un peu cernés par de lointains et vagues contours. Toute profondeur est abolie. L’espace pictural coïncide avec la surface du support. Derrière la monstruosité des corps représentés se cache néanmoins un propos, d’ordre philosophique : montrer que le corps demeure plus complexe qu’on ne croit, donnant à voir une vision organique de la machine humaine, comme vue de l’intérieur. Le peintre américain William de Kooning est subjugué par ces peintures présentées à New York en 1951. Il s’en inspire pour élaborer ses Womens. Jean Dubuffet, Le Métafisyx, 1950 Huile sur toile, 116 x 89,5 cm Cette œuvre dérange. C’est la première et insistante constatation qu’on peut faire à son sujet. On ne peut pas lui trouver le côté ludique et drôle de son Olympia (1950) ni la bonhomie d’autres figures féminines réalisées précédemment, Terracotta la grosse bouche, 1946, par exemple. Ce qui frappe d’abord c’est la couleur, faisant massivement « corps » avec la matière picturale, lourde, épaisse. Cette couleur évoque celle de l’or, et confère à la silhouette féminine un caractère d’icône ou plutôt d’idole sacrée. Pourtant c’est à une désacralisation de la représentation du nu féminin que l’on assiste ici. La figure s’étale immense, prenant largement possession de l’espace, la tête, de taille réduite, est déjà l’annonce d’un crane. Appel à la dimension mortelle, à l’être­matière­ finie ; femme rime ici avec mère, mater, materia. Les écrivains au XXe siècle ont largement insisté sur cette dimension de la femme, « cette mère qui nous donne la vie mais pas l’infini » de Beckett, ou alors «ces femelles qui nous gâchent l’infini » de Céline ou de Joyce. Le titre au masculin n’arrête pas d’intriguer, un titre qui est un curieux néologisme, formé par le mot métaphysique, le mot sphinx qui se lit entre les syllabes, et autre chose encore car, avec ironie, Dubuffet change les consonnes et déstabilise toute lecture univoque de l’œuvre par son titre. FRANCIS BACON (1909-1992) Destituant les autres genres, nature morte et paysage, Francis Bacon s’attache impitoyablement à la représentation picturale du corps humain. Dépassant la figuration, Bacon ne se tourne pas vers l’abstraction mais, comme le souligne Gilles Deleuze, vers la sensation, comme Cézanne, même si, en apparence, il n’y a que des différences entre les deux peintres. « La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui est peint dans le tableau c’est le corps, non pas en tant qu’il est représenté comme objet, mais en tant qu’il est vécu comme éprouvant telle sensation. » (Gilles Deleuze, Francis Bacon, Logique de la sensation.) Le XXe, siècle qui s’est surpassé en massacres, tortures et horreurs, trouve dans l’artiste irlandais son « chroniquer » qui en éprouve, à travers une peinture de corps disloqués et devenus chair, toutes les convulsions. Les séries des crucifixions, des papes d’après Velazquez, les portraits de ses amis ou d’hommes d’affaires, l’humanité entière semble se tordre et se vomir elle­même dans l’espace ambigu de ses toiles, où des lignes ­ diagonales, verticales, courbes ­ et des fonds ­ où la peinture claire s’étale uniformément ­ délimitent l’espace de la mise en scène terrible des corps. Au sujet de la réception de ses œuvres, Bacon souhaite qu’elles puissent agir : « directement sur le système nerveux ». Il est vrai que, comme l’a uploads/s3/ le-corps-dans-l-x27-oeuvre.pdf

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