7 7. GUARGUALÈ: le torrent qui gargouille «Sottu, sottu à Guargualè / Corri, co

7 7. GUARGUALÈ: le torrent qui gargouille «Sottu, sottu à Guargualè / Corri, corri una vadina / D'aqua lestra, fresca e fina / E chì canta cusì bè». La poésie bien connue de Giovoni (L’Annu Corsu 1925) évoque le village de son enfance: Guargualè (40 km environ d’Aiacciu). Dans la littérature Guargualè alterne avec Vargualè qui correspond à la prononciation locale. Malgré les étymologies grecques (fantaisistes) parfois évoquées, notre toponyme est sans doute à rattacher à ghjargalu (torrent, ravin, gorge). Comme semble le souligner un dicton: «Guargualè, Guargualè: Ghjàrgala era è ghjàrgala hè» (Guargualè, Guargualè: c'était un torrent et cela reste un torrent). Ici la séquence initiale gua- peut représenter une («fausse») reconstruction à partir d'une variante faible:) Gargalu > u 'argalu > *u guargalu > guargalettu > guargalè > guargualè/vargualè Par rapport à guargalu la forme guargualè représenterait une assimilation (gua…ga > gua…gua) et une suffixation suivie de la chute de la syllabe finale, phénomène fréquent dans la langue courante comme dans les toponymes.) Les formes corses comme ghjargalu, gargalu ont retenu l'attention des linguistes qui les ont prises comme référence pour divers noms de lieux, sardes notamment en les rattachant à *garg, onomatopée qui est à l'origine du latin tardif gargala; garga «gorge». Le féminin ghjargala est attesté en corse (G.Biancarelli cite le toponyme Vargala). Dans les langues romanes ce radical est à la base de variantes populaires de «gorge» ou «gosier». Le verbe gargoter («faire du bruit avec la gorge, bouillonner avec bruit» a donné le terme argotique français Gargote. Dans ce mot et dans d’autres mots des langues voisines (garganta, espagnol et portugais, cf. le Gargantua de Rabelais) le radical garg- est une «onomatopée rappelant le bruit de l’eau qui bout ou celui que fait la gorge quand on avale gloutonnement» (Dictionnaire Étymologique, Bloch/Wartburg). On a souligné (Guarnerio) les convergences entre toscan populaire (garganelli «gorge, gosier») et corse (garganeddi dans le Sud), et relevé les spécialisations sémantiques propres au corse (Wagner/Hubschmid). Ainsi ghjargalu acquiert la valeur d'un appellatif géomorphologique fréquent dans la langue et la toponymie (ex. Ghjargalu à Guagnu 2A), et c'est à la forme corse que l’on rattache celle des autres langues citées.) 8 8. U TASSU: un blaireau qui grimpe aux arbres? Les toponymes du type Tassu (et dérivés) sont très fréquents dans toute la Corse, avec toujours la même fluctuation quant à la voyelle finale. Outre la commune de Corse du Sud, l’Ign présente 16 occurrences de Tasso contre 8 pour Tassu), par exemple:) Tassu (Tolla) Tassu (Cristinacce) Tassu (Isolaccio-Di-Fiumorbo) Tassu (Frasseto) Dans l’annuaire téléphonique de la Corse on a Tasso comme nom de famille, porté surtout par des Tassinchi: ne cherchez pas la forme française du «gentilé»: elle est «n.c.» (non communiquée !) Au sujet du toponyme Rodié (1937) hésite entre trois explications: «if» (arbre); «blaireau» (animal), «tas» (enclume). Le référent phytonymique est plus probable, d'autant que la présence du blaireau est apparemment exclue en Corse. C'est sans doute sur le modèle de l'italien que quelques dictionnaires corses (récents) donnent tassu pour «blaireau» (ou faina pour «fouine», autre mammifère absent de Corse et de la plupart des dictionnaires). Cependant on ne peut exclure une référence à un autre carnivore de la même famille. Le latin taxo, taxone «blaireau» a donné tasso en italien ou taisson en ancien français; assili est le nom sarde donné à la martre (en Corse la présence de cet autre mustélidé est «hypothétique»: P.Franceschi, Adecec 1994). Il arrive souvent qu’un même terme désigne des espèces différentes. Ainsi pour l’écureuil, absent en Corse, les dictionnaires donnent diverses formes plus ou moins attestées (scurriolu, sgauaiottulu) mais aussi ghjira qui s’applique d’ordinaire au «loir». On notera que certaines expressions imagées font référence à divers noms d’animaux: par exemple «dormir comme un loir», ou «une marmotte», ou «un blaireau». En corse c’est cette dernière image qui est la plus fréquente (Ceccaldi: dórme cume un tassu). En Italie on fait aussi référence au blaireau (tasso) ou au loir (ghiro); les noms de lieux du type Tasso évoquent l’arbre, mais aussi le blaireau. Tassonaie enToscane (Pellegrini: latin taxone, cf. ancien français tasson) pourrait être rapproché de Tassone (Nuceta, Bastelica): cependant ici –one peut être un suffixe augmentatif, comme dans Albitrone (Carbuccia 2A). Cependant la fréquence de Tassu en Corse et du type Tassiccia (avec le suffixe –iccia comme dans alziccia «aulnaie») incitent à penser qu’il fait plutôt référence à l’arbre (famille des Taxacées). 9 9. CAMPODONICO: le champ du maitre (ou du juge…) Penchons-nous sur ces toponymes (Ign): Campodonico (Pie-d'Orezza) Ruisseau de Campodonico (Poggio-Di-Venaco) «Campodonico, Campus dominicus, champ du seigneur, soit qu'il s'agisse d'une terre d'Eglise ou d'un cimetière; comparez en France Champdieu. Le hameau de Piedicroce, qui porte ce nom, est ainsi nommé d'après Falcucci parce qu'il présente un à-pic de 200 mètres d'où l'on précipitait les morts au lieu de les enterrer». L’étymologie donnée par Rodié (1937) est recevable, quant à la référence au cimetière et à l’explication sinistre reprise de Falcucci (1915), elle semble romancée et nous ne pouvons la confirmer.) On identifie dans le toponyme une première partie campu «champ» (fréquent dans les noms de lieux). Quant à la deuxième partie il s’agit d’adjectif (dérivé de dominus) et issu du latin dominicu (> *domnicu > *donnicu). Le terme est présent dans la toponymie corse (et romane) sous diverses formes (donico, dunico, donigo, dunigo, d'onico, d'unico, dundicu etc.). Il est en général associé à divers termes génériques (campu, aghja/arghja, valle, stazzu, vigna, funtana...). En graphie Ign on a:) Aghia d'Onica (Bastelica) Campidondico (Rebbia) Campo d'Unico (Tavera) Campodonico (Pie-d'Orezza) Stazzo Dunico (Tallone) Valle Doniga (Olmeto) Le même type de formation (nom + adjectif) est fréquent ailleurs, notamment en sarde où l'adjectif dominicus fait référence à l'autorité suprême dans la Sardaigne médiévale, à savoir le «Juge». La Bingia Oniga c'est donc la «vigne du Juge» (cf. Vigna D'Unica, Linguizzetta 2B). Parmi les Giudicati sardes, entités étatiques autonomes du IX° au XV° siècle, il y avait le Judicat (ou Royaume) de Gallura, région intimement liée, comme on sait, à l'histoire de la Corse. On peut évoquer ici les «vieilles familles féodales descendant d'ancêtres qui en tant que comtes de Corse exerçaient le droit de basse, moyenne et haute justice, un peu à la façon de leurs homologues sardes, les juges» (Demartini, Etudes Corses 1989). Campudon(n)icu est donc historiquement le «champ du maître» ou du «seigneur», mais probablement pas au sens où l’entendait Rodié. Aujourd’hui le terme donicu (ou donnicu: cf. ortus donnicus près d’un amphithéâtre romain (francovalente.it) ou le nom de famille Campodonico (aussi attesté comme Campodonnico) ne fait plus partie du lexique commun. Autrefois ce «fossile toponymique» était sans doute sémantiquement motivé. 10 10. SERMANU: le village d’Anselme L'origine du nom de la commune de Sermano (cantori et terzetti sermanacci sont bien connus) a donné lieu à diverses interprétations. Aucune ne semble s'imposer. Après avoir évoqué plusieurs hypothèses Ghjermana de Zerbi (1967) conclut: «Tout cela est bien complexe et on ne peut pour l'instant que se perdre en conjectures».) On sait que le suffixe –anu sert à former des adjectifs à partir d'anthroponymes. Pour Sermano, on peut reconstruire une base à partir du prénom Anselmus (germanique Ansehelm): Anselmanu > Selmanu > Sermanu.) L'aphérèse (chute de la syllabe initiale: Anselmi>Selmi), ainsi que le rhotacisme de /l/ devant consonne (Anselmi> Ansermi) sont des phénomènes courants, attestés pour les noms de famille avec des suffixes divers (Selmi, Selmini, Sermani) aussi bien que pour les noms de lieux, comme en témoignent les exemples (graphie Ign) où l'on peut voir la même base: Campo d'Assermo (Volpajola 2B); Sant'Anselmo (Aghione 2B); Selmacce (Pietracorbara 2B). De nombreux toponymes Anselmi sont attestés du Nord au Sud de l'Italie; Ansermu est attesté en Ligurie (Petracco Sicardi 1962). Qu’il s’agisse de patronymes ou de noms de lieux, de formes «pleines», abrégées ou dérivées, tous les spécialistes les rattachent à un nom de personne correspondant à Anselme en français.) L’explication que nous avons proposée dans Langue corse et noms de lieux (Chiorboli 2008) est reprise en langue corse par l’auteur (sermanacciu) de U rimitu di collu à Boziu: «fà vene Sermanu da Anselmanu, a tenuta di terre date à un Anselmus, veteranu di e legioni rumane dopu u so tempu di serviziu nù e truppe di l’imperu. O più tardi, quandu un certu Anselmu averìa fattu da signoru, pè issi lochi. Finora, hè una spiegazione chì cunvince ancu abbastanza. Ciò chì sò pè dì hè chì Sermanacci sò chjamati Trìvule, issi fiori chì zìnganu» (Georges de Zerbi, 2011). Après les interrogations de Bottiglioni qui hésitait entre une origine ibère ou étrusque de Sermanu, celles d'Olivieri qui évoquait la ville de Sirmium en Illyrie ou une racine préromaine de sens inconnu, ou le penchant de Rodié le Sermitium de Ptolémée on conçoit que la simplicité de notre explication puisse être frustrante (surtout pour qui est en mal d’exotisme). Mais que les amateurs ne soient pas trop déçus, l'évocation du nom Anselmu ne suffit pas à lever le voile: s'il a jamais existé, qui était le personnage qui a donné son nom au beau village uploads/s3/ toponymie-corse-chroniques-7-15-jean-chiorboli.pdf

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