5 Avant-propos La pratique autobiographique est un phénomène culturel marquant

5 Avant-propos La pratique autobiographique est un phénomène culturel marquant de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe. « Nous vivons dans un âge auto/biographique », énoncent Susanna Egan et Gabriele Helms. « Pour chaque medium, les cultures sont [...] de plus en plus transformées par les récits, productions et performances identitaires. »1 Cette expression « production identitaire » rend compte d’un phénomène récent, à savoir le nombre croissant de manifestations autobiographiques qui ne relèvent pas du récit de soi, mais de la vidéo, de la performance, des nouveaux médias, etc. Si le terme « auto » reste valable, le suffixe « graphique », lui, n’est plus pertinent pour désigner les productions contemporaines. Des chercheurs de tous pays, réunis à l’occasion d’un colloque organisé par l’Université de Bonn et de Munich en 2006, proposent le terme d’automédialité. Ils désignent par là la construction du sujet à la fois dans l’écrit, l’image et les nouveaux médias. Partant du constat que les recherches actuelles sur l’autobiographie considèrent les médias comme un simple outil d’analyse d’un sujet préexistant, les recherches sur l’automédialité tentent de remédier à cette perspective qui a négligé les médias eux-mêmes. En effet, loin d’être arbitraire, le choix du média est déterminé par l’expression de soi, de même que toute forme de subjectivité est elle-même déterminée par la matérialité du média. Les chercheurs sur l’automédialité partent du postulat que la technicisation croissante des médias, loin d’être, comme on le prétend souvent, un appauvrissement de l’intériorité subjective, a au contraire permis d’élargir le champ des représentations du sujet. Ce nouveau concept permet de ne plus considérer l’autobiographie seulement comme genre littéraire, mais comme une pratique culturelle et médiale. Ce volume étudie donc les procédés de représentation de soi des différents médias artistiques. La première partie de l’ouvrage, « Théories de l’automédialité », situe ce concept dans une généalogie du sujet, pour reprendre les termes foucaldiens. Christian Moser et Jörg Dünne, éditeurs scientifiques des Actes du colloque sur l’automédialité qui s’est tenu en Allemagne en 2006, ont eu l’amabilité de traduire l’introduction de l’ouvrage, intitulée : « Automédialité – pour un dialogue entre médiologie et critique littéraire ». Ils retracent l’Histoire des recherches autobiographiques, qui postulent l’incommunicabilité du rapport à soi, les médias étant considérés comme de simples instruments de représentation d’un sujet et d’une vie déjà données. Elles négligent, jusque dans les années 80, l’influence du médium sur le procédé de subjectivisation. Christian Moser et Jörg Dünne en appellent donc à dépasser le concept d’ « autobiographie », au 1 Report by Carmen Birkle (Universities of Mainz/Vienna), Auto/Biography and Mediation: 5th International Auto/Biography Association Conference. REVUE D’ÉTUDES CULTURELLES 6 profit d’un rapport à soi se constituant de façon médiale dans l’écriture et d’autres formes d’expression. François Guiyoba, dans son article « Le sujet à la croisée des chemins auto (bio) médiatiques », interroge la notion de subjectivité. Il analyse l’automédialité à la lumière de la théorie intermédiale, mais aussi de la psychanalyse ou psychologie, et de la philosophie, sur le modèle de l’archéologie et de l’épistémologie foucaldiennes. Samuel Weber (From Reflection to Repetition: Medium, Reflexivity and the Economy of the Self) retrace l’émergence de la notion de medium chez Walter Benjamin. Il la rattache à celle du langage chez ce philosophe, qui implique un processus d’auto-réflexion (au sens du reflet), prégnant dans le romantisme. Le médium d’auto-réflexion est indissociable d’un accomplissement du moi. Or, cet héritage romantique d’un moi absolu domine encore les médias. C’est ce rapport entre le sujet et les médias au sens large, c’est-à-dire tant dans la littérature et l’art que les nouveaux médias, que la suite de l’ouvrage explore. La seconde partie, intitulée « L’automédialité dans la littérature et dans l’art », consiste en une étude de cas qui interrogent la représentation de soi dans le texte et les arts. Il s’agit d’abord de confronter le texte littéraire soit à d’autres types de productions textuelles, soit à d’autres langages artistiques. Anne-Laure Daux montre comment l’identité construite dans les autobiographies Est-allemandes d’après 1989 prend systématiquement à contre- pied celle élaborée par le discours médiatique. Brouillant la frontière entre les genres en jouant avec des caractéristiques propres aux textes de presse autobiographies, ces autobiographies s’apparentent à un contre-discours au discours médiatique dominant (Autobiographie et contestation du discours médiatique : le cas des autobiographies d’allemands de l’est après 1989). Avec Jonas Mekas, l’automédialité apparaît également comme une question politique, comme le montre David James dans son article « Film diary: the origins of Jonas Mekas’s diary film, Walden ». L’œuvre de Mekas illustre en effet la façon dont une pratique culturelle amateur négocie son insertion dans la culture bourgeoise. Mekas fait de cette pratique un art véritable, passant du journal filmé au film diaristique. Pierre Alfieri, lui, est un artiste qui fait se croiser poésie et audio-visuel, en inscrivant ses poèmes sur DVD (Heidi Peeters : Cinépoèmes et films parlants : Pierre Alferi’s meta-self-medial poems). Il utilise le support digital pour élaborer un je qui n’a aucun statut ontologique en-dehors du médium. C’est également la diversité des formes de subjectivation en fonction des différents langage artistiques qu’étudie Salma Mobarak (Le journal intime en littérature, en peinture et au cinéma). Les quatre contributions suivantes se penchent sur l’automédialité féminine. Tandis que Martine Delvaux s’intéresse à la subjectivité d’une bédéiste, Julie Doucet, qui utilise le copier-coller pour affirmer une identité féminine spécifique (Copier-coller. Les visages de la bédéiste Julie Doucet), Eva Werth L’automédialité contemporaine 7 s’intéresse à la mise en scène de soi dans l’œuvre protéiforme et intermédiale de Sophie Calle, sous l’angle d’une pratique culturelle (« Strip-tease » collectif. l’œuvre de Sophie Calle et le concept de l’automédialité). Jacques Brunet-Georget montre comment Orlan a repris le code de l’autoportrait pour en subvertir les données et les fondements : elle soumet son visage à des procédures de modification qui s’appuient sur les apports de la technologie et de la science, et qui utilisent les différents médias visuels afin de dissoudre et de reconfigurer son identité. Inscrit dans la scène politique et sociale, son art fait de la représentation de soi une façon d’inscrire l’hétérogène au cœur du même en conférant aux médias un rôle déterminant dans la mutation du corps (Un/visage, des/figures : les procédures de représentation de soi chez Orlan). Biliana Vassileva analyse le discours et les stratégies d’automédiation de la chorégraphe Carolyn Carlson au cours de la création de son solo autobiographique Bleu Lady, sous l’œil d’une caméra. L’œuvre s’organise en effet selon un va-et-vient entre subjectivité et altérité (témoins, public, imaginaires ou réel) dans le processus d’automédialité (Automédialite et écriture chorégraphique : Carolyn Carlson). La troisième partie du volume, intitulée « Automédialité et nouveaux médias », s’intéresse aux formes autobiographiques nouvelles engendrées par l’usage des téléphones mobiles et d’internet. Pour Sébastien Biset, l’automédialité, située au carrefour des notions de subjectivation, d’extimité et des nouveaux paradigmes relationnels, s’impose comme un objet théorique de première importance qui révèle, au travers de ses manifestations concrètes, de nouveaux comportements, aptitudes et besoins propres à nos sociétés contemporaines. (Nouveaux régimes esthétiques, pratiques culturelles émergentes et automédialité). Konstantinos Vassiliou montre que dans la rhétorique actuelle, le réseau est implicitement articulé comme le lieu par excellence où l’expression individuelle est la synecdoque de la multitude émancipée. Il interroge le rapport du sujet qui s’automédiatise à la collectivité présente sur la toile (Participation et éthopoïetique dans les réseaux numériques). C’est cette même question qui est au cœur du propos de Patrice Vibert, mais centrée sur le phénomène du blog, où le sujet réinvente sa propre vie, en fonction d’autres blogueurs et des réactions de ses lecteurs (Une double identité ? : l’alternance entre le réel et le blog). Le même désir de se mettre en scène sous les yeux d’autrui préside à une autre forme interactive, à savoir la lettre du lecteur en ligne sur un site personnel d’écrivain. Entremêlant les passages obligés de la « lettre à l’écrivain » et les rituels de la sociabilité électronique, les correspondants peuvent néanmoins détourner de manière plus ou moins consciente le dispositif mis en place, et le sujet apparent d’une « lettre à l’écrivain » ne constitue souvent qu’un prétexte à l’accomplissement du désir de se mettre en scène (Christian Mariotte : REVUE D’ÉTUDES CULTURELLES 8 Épistolarité, écriture de soi et nouvelles technologies : réinvention de la « lettre de lecteur » sur trois sites personnels d’écrivains allemands). Gabriela David s’intéresse également à ce désir d’exhibition en montrant de quelle façon l’usage du camphone1 influence la construction de notre propre image. Grâce ou à cause du numérique et des sites de partage de films, l’individu devient davantage stratège de son identité. (L’incidence du camphone sur la construction de l’automédialité). Béatrice JONGY Dijon 1 Une des nombreuses façons de nommer les téléphones portables qui peuvent prendre et envoyer des photos et vidéos (MMS). THÉORIES DE L’AUTOMÉDIALITÉ 11 Automédialité Pour un dialogue entre médiologie et critique littéraire1 De l’autobiographie à l’automédialité De nos jours encore, les études sur l’autobiographie littéraire ont bien du mal à entrer en uploads/s3/ auto-medial-i-dade.pdf

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