GÉNIE DU NON-LIEU· DU MÊME AUTEUR LA PEINTURE INCARNÉE, suivi de Le chef-d' œuv

GÉNIE DU NON-LIEU· DU MÊME AUTEUR LA PEINTURE INCARNÉE, suivi de Le chef-d' œuvre inconnu par Honoré de Balzac, 1985. DEVANT L'IMAGE. Question posée aux fins d'une histoire de l'art, 1990. CE QUE NOUS VOYONS, CE QUI NOUS REGARDE, 1992. PHASMES. Essais sur l'apparition, 1998- L'ÉTOILEMENT. Conversation avec Hantaï, 1998- LA DEMEURE, LA SOUCHE. Apparentements de l'artiste, 1999. ÊTRE CRÂNE. Lieu, contact, pensée, sculpture, 2000. DEVANT LE TEMPS. Histoire de l'art et anachronisme des images, 2000. L'HoMME QUI MARCHAIT DANS LA COULEUR, 2001. L'IMAGE SURVIVANTE. Histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby Warburg, 2002. IMAGES MALGRÉ TOUT. 2003. GESTES D'AIR ET DE PIERRE. Corps, parole, souffle, image. 2005. Chez d'autres éditeurs : INVENTION DE L'HYSTÉRIE. Charcot et l'Iconographie photographique de la Salpêtrière. Ed. Macula, 1982. MÉMORANDUM DE LA PESTE. Le fléau d'imaginer. Ed. C Bourgois, 1983. LES DÉMONIAQUES DANS L'ART, de J-M. Charcot et P. Richer (édition et présentation, avec P. Fédida). Ed. Macula, 1984. FRA ANGELICO - DISSEMBLANCE ET FIGURATION. Ed. Flammarion, 1990. À VISAGE DÉCOUVERT (direction et présentation). Ed. Flammarion, 1992. LE CUBE ET LE VISAGE. Autour d'une sculpture d'Alberto Giacometti. Ed. Macula, 1992. SAINT GEORGES ET LE DRAGON. Versions d'une légende (avec R. Garbetta et M. Morgaine). Ed. Adam Biro, 1994. L'EMPREINTE DU CIEL, édition et présentation des CAPRICES DE LA FOUDRE, de C. Flammarion. Ed. Antigone, 1994. LA RESSEMBLANCE INFORME, OU LE GAI SAVOIR VISUEL SELON GEORGES BATAILLE. Ed. Macula, 1995. L'EMPREINTE, Ed. du Centre Georges Pompidou, 1997. OUVRIR VÉNUS. Nudité, rêve, cruauté (L'Image ouvrante, 1), Ed. Gallimard, 1999. NINFA MODERNA. Essai sur le drapé tombé, Éd. Gallimard, 2002. GEORGES DIDI-HUBERMAN GÉNIE DU NON-LIEU AIR, POUSSIÈRE, EMPREINTE, HANTISE LES ÉDITIONS DE MINUIT Édité avec le concours du ministère de la Culture et de la Communication Délégation aux arts plastiques CNAP - FIACRE (aide à l'édition) © 2001, by LES ÉDITIONS DE MINUIT 7, rue Bernard-Palissy, 75006 Paris www.leseditionsdeminuit.fr En application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l'éditeur. ISBN 2-7073-1737-3 « Ô nuit sans objets. Ô fenêtre sourde au dehors, ô portes closes avec soin; pra- tiques venues d'anciens temps, transmises, vérifiées, jamais entièrement comprises. Ô silence dans la cage de l'escalier, silence dans les chambres voisines, silence là-haut, au plafond. » R.M. Rilke, Les Cabiers de Malte Laurids Brigge (1904-1910), p. 596. «Paysage avec des êtres d'urne. Dialogues de bouche de fumée à bouche de fumée. » P. Celan, «Paysage ... » (1964), p. 255. « Du moins le silence, s'il écoute, tend à se faire le matériau interlocuteur de l'image et à rendre à la parole son obscurité. Cette obscurité est celle d'une illisibilité de la mémoire. » P. Fédida, « Le souffle indistinct de l'image» (1993), p. 189. Maison brûlée (murs, flammes, cendres) Les choses de l'art commencent souvent au rebours des choses de la vie. La vie comrnence par une naissance, une œuvre peut commencer sous l'empire de la destruc- tion : règne des cendres, recours au deuil, retour de fan- tômes, nécessaire pari sur l'absence. C'est au cœur même de sa maison en chute que Roderick Usher a peint des tableaux qu'inlagine Edgar Poe: « [ ... J il s'élevait, des pures abstractions que l'hypocondriaque s'ingéniait à jeter sur la toile, une terreur intense, irrésistible [ ... J. C'était un petit tableau représentant l'intérieur d'une cave ou d'un souterrain 1 ... »L'époque romantique a sou- vent désiré que la représentation fût mise en demeure de retourner à quelque chose comme une cendre : ainsi, le vieux peintre Berklinger, inventé par Hoffmann au début du XIXe siècle, a déjà renoncé au tableau comme à l'habi- 1. E.A. Poe, «La chute de la maison Usher» (1839), trad. C. Baude- laire, Contes) essais) poèmes, éd. C. Richard, Paris, Robert Laffont, 1989, p.412. 9 tuelle « cuisine» manuelle des pigments et des pinceaux: « Il reste, durant des jours entiers, les yeux fixés sur le fond intact [d'une] immense toile grise, vide et nue L.'] ; il appelle cela peindre 2. » Quant au genre de tableau rêvé par Balzac dans Le Chefd) œuvre inconnu) il ne se réalise tout à fait - par- delà les couches de peinture accumulées sans répit sur la toile du maître fou - qu'à la chute du récit : c'est lorsque F renhofer a fini de sacrifier son travail et sa vie, brûlant son atelier avec toute sa maison, ses œuvres, et lui dedans (il reviendra à Cézanne, on le sait, de rernuer les cendres). Quelque chose, aussi, aura bien dû brûler et se réduire en poussière pour que, sous les mains de Goya, surgissent les images si définitives - si oppressées, si criantes de silence - aux rnurs de la Quinta det Sordo. De ces lieux fictifs et de ces pans étouffants sera née, pour une grande part, notre propre modernité 3. L'enfance de l'art, dit-on. Dans un poème de 1907, Rainer Maria Rilke évoque ce lieu paradoxal : un terrain de jeu « où les enfants, Dieu seul sait d'où venus, lan·· çaient leurs cris et cherchaient des débris ... » C'est une maison incendiée, on y marche sur des monceaux de cendres. Les enfants ne feront silence que lorsque le « fils 2. E.T.A. Hoffmann,« La cour d'Artus» (1816), trad. Loève-Veimars (1829), Contes fantastiques, II, Paris, Garnier-Flammarion, 1980, p. 264- 265. 3. Cf. M. Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique (1961), Paris, Gallimard, 1972, p. 549-554. 10 de la maison» - on l'imagine orphelin - apparaît soudain parmi les poutres calcinées: « Il regardait les autres qu'il invitait à croire à ce qui fut là. » Mais, « depuis que rien n'était plus », l'enfant lui-même se sentait en sa propre maison - son lieu de naissance en cendres -« tout autre », «comme arrivé d'un lointain pays 4 ». L'enfance de l'art, on le voit, est déjà bien complexe: elle conjugue les jeux et les silences, les cris et les regards, sur fond de fumées et de demeures brûlées. Georges Bataille, lui aussi, a imaginé ce genre de lieu. En pleine Guerre Mondiale, il a écrit le scénario d'un film intitulé La Maison brûlée : silence au milieu des cendres (le film, bien sûr, ne fut jamais tourné). « Silence coupé de quelques cris» : des enfants jouent. «On ne doit comprendre que plus tard qu'ils jouent à cache- cache.» Puis, un enfant sera vu livré à l'effroi. «Le déroulement du film et de la musique (très faible) doivent à ce moment faire songer à quelqu'un qui retient son souffle pour essayer d'entendre et n'entend rien 5. » Il faut, pour l'enfance de l'art, ajouter à la cendre le jeu de la dissimulation, le poids du silence et le souffle de l'effroi. 4. RM. Rilke, «La maison incendiée» (1907), trad. J. Legrand, Œuvres) IL Poésie) éd. P. de Man, Paris, Le Seuil, 1972, p. 257. 5. G. Bataille, «La maison brûlée» (1944-1945), Œuvres complètes~ IV Œuvres littéraires posthumes) Paris, Gallimard, 1971, p. 120-121 et 124. Il Une enfance peut être porteuse de destruction. La des- truction peut être l'enfance du possible, l'enfance d'une œuvre. Claudio Parmiggiani envisage le « style» de son propre travail à partir d'une certitude qu'y travaille sans relâche, dit-il, « [ .. .] une seule image (un' unica immagine), une image absolue qui a illuminé toutes les œuvres futures. [ .. .] Les œuvres suivantes sont toutes nées de cette lumière, et elles n'ont été que la vaine tentative (il vano tentativo) d'éclaircir l'énigme que recelait cette image primitive (questa primitiva immagine). Ce que, avec le temps, on appelle ensuite le style n'est rien d'autre que cela; la damnation et l'insistance de cet effort répété 6. » Il y a en effet, chez Parrrliggiani, beaucoup de choses qui brûlent ou qui ont brûlé. Il y a mêrrle des «holn- mes qui brûlent 7 ». Il y a des ornbres, de l'air et de la cendre. Il y a des elnpreintes, il y a des hantises. Il y a, partout, quelque chose con1me «le silence et le sang 8 ». On demande à Parrrliggiani quel a été son premier atelier. Sa réponse est étrange, irnrnédiate pourtant, comme dénuée d'hésitation : 6. C. Parmiggiani, Stella Sangue Spirito) éd. S. CrespÎ, trad. française en regard M.-L. Lentengre, E. Bozzini et A. Serra, Parme, Nuova Prati- che, 1995, p. 142-143. 7. Id.) Dessins Disegnz; Marseille, CipM-Speetres familiers, 1995, non paginé. 8. Ibid. 12 « [. .. ] un désert de brouillard, un paysage très mélanco- lique, un lieu (un luogo) qui m'a beaucoup marqué et qui est resté en moi, très fort (che mi è rimasto dentro molto forte) 9. » Est-ce déjà dire que l'atelier de l'artiste - tout à la fois lieu du travail et travail du uploads/s3/ georges-didi-huberman-genie-du-non-lieu-air-poussiere-empreinte-hantise.pdf

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