Kentron Revue pluridisciplinaire du monde antique 29 | 2013 L’Hortus sanitatis

Kentron Revue pluridisciplinaire du monde antique 29 | 2013 L’Hortus sanitatis La relation du texte à l’image dans l’Hortus sanitatis et les traités du milieu du XVIe siècle : quelques points de comparaison Philippe Glardon Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/kentron/746 DOI : 10.4000/kentron.746 ISSN : 2264-1459 Éditeur Presses universitaires de Caen Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2013 Pagination : 227-254 ISBN : 978-2-84133-486-5 ISSN : 0765-0590 Référence électronique Philippe Glardon, « La relation du texte à l’image dans l’Hortus sanitatis et les traités du milieu du XVIe siècle : quelques points de comparaison », Kentron [En ligne], 29 | 2013, mis en ligne le 22 mars 2017, consulté le 14 avril 2018. URL : http://journals.openedition.org/kentron/746 ; DOI : 10.4000/ kentron.746 Kentron is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 3.0 International License. Kentron, no 29 – 2013, p. 227-254 LA RELATION Du TExTE à L’ImAGE DANs L’HORTUS SANITATIS ET LEs TRAITés Du mILIEu Du xvIe sIèCLE : quELquEs POINTs DE COmPARAIsON Préalable méthodologique Les idées reçues empêchent de se faire une idée claire sur le rôle dévolu aux illus- trations. En général, d’un point de vue scientiique, on se contente de fustiger la naïveté et la grossièreté des gravures des plus anciens ouvrages et de louer les images précises et descriptives de ceux du XVIe siècle, qui annoncent l’usage descriptif moderne de l’image botanique ou zoologique. Or il semble bien qu’il n’y ait pas une botanique médiévale qui s’opposerait à une botanique de la Renaissance : dans une analyse statistique, Karen Reeds a par exemple démontré que les herbiers sont répandus dans les monastères, alors qu’en milieu universitaire, les textes médicaux qui traitent des simples de Galien et d’Avicenne constituent les travaux de référence, et que Barthélemy l’Anglais semble avoir été un trait d’union entre l’intérieur et l’extérieur des cloîtres 1. Sous l’angle de l’histoire de l’art, le regard sur les illustrations des livres de simples tend également à être dévalorisant : les gravures sont, si l’on peut dire, des copies au carré : elles se basent sur des gravures antérieures, elles-mêmes calquées sur des peintures. À ce titre, elles vont être jugées inférieures qualitativement, cette fois au nom d’une hiérarchie dictée par des impératifs esthétiques peu clairs, relatifs au rationalisme et à la quête du réalisme prêtés à la peinture de la Renaissance depuis le XIXe siècle. Les mots « image », « discours » ou « forme » et leurs équivalents latins doivent ainsi être réévalués, de même que les notions de représentation, de discours et de discours pictural, si l’on entend éviter l’écueil de l’anachronisme. Sur ce point apparaît déjà une diférence entre les livres de simples incunables et les traités d’histoire naturelle plus tardifs : les premiers ne s’expriment pas sur la (les) valeur(s) de l’image et son (leur) rapport au texte, rapport(s) qu’il faudra donc s’eforcer de reconstituer par une mise en contexte, toujours sujette à caution. 1. Reeds 1980. Philippe Glardon 228 Au contraire, dans les seconds, cette relation est amplement exposée et discutée. Là au moins se situe une diférence explicite, dont l’existence atteste une évolution objective. Dans cette étude, nous nous attacherons à étudier particulièrement les images de l’Hortus sanitatis et leurs liens avec la postérité. Après avoir déini les caractéristiques de celles-ci, nous verrons en quoi les traités d’histoire naturelle du XVIe siècle se situent en rupture ou en continuité avec l’Hortus avant de réléchir, pour terminer, aux problèmes de l’observation directe et de la représentation réaliste de la nature. quelques caractéristiques des illustrations de l’Hortus sanitatis On a beaucoup écrit sur les illustrations des herbiers médiévaux, puis sur les gravures botaniques des incunables. L’essentiel me semble être ici de rappeler que leur sché- matisme ne peut s’expliquer par une quelconque « faiblesse » du regard de l’homme médiéval, ou une inaptitude à observer au naturel. On le sait, certains herbiers ont été au moins en partie illustrés d’après nature, comme le célèbre ms. Egerton 747, où les dessins enluminés restent simples, schématiques et bidimensionnels. L’Hortus aiche également l’intention de présenter des images au naturel commanditées par « aucun noble seigneur », qui a voyagé lui-même à la recherche des « herbes, bestes, pierres, et autres choses à la confection des medecines necessaires et inconneues par leur rareté » : En escrivant leurs vertus et leurs semblances et similitudes soubz igures convenables et par certaines couleurs a procure faire leur semblance. Toutes lesquelles et chascune d’icelle soubz forme, igure et couleur deuez et par ordre exquis 2. En feuilletant l’Hortus, on s’aperçoit vite que l’engagement de l’auteur relève d’une formule convenue, au vu du nombre de représentations fantaisistes qu’il contient. Il est important de noter que même les plantes reconnaissables et manifes- tement observées d’après nature sont très schématisées et guère diférentes, en fait, des plantes copiées de seconde main. Cette tendance à la schématisation s’observe aussi dans le ms. Egerton 747. Ainsi d’autres impératifs que le souci de réalisme président à l’exécution des gravures de l’Hortus, dans la lignée de l’illustration manuscrite d’histoire naturelle. Ces impératifs sont suisamment étudiés pour que je me limite à les énumérer et à commenter brièvement l’un ou l’autre. Premier élément à relever, le rôle de l’image médiévale, botanique en particulier, est avant tout mnémotechnique : l’illustrateur met l’accent sur un ou deux carac- tères typiques de la plante, qui suisent à son identiication, là où trop de détails nuiraient à la mémorisation, ou encore sur un rappel des vertus curatives. C’est que 2. Ortus sanitatis (circa 1500), f. IIv. La relation du texte à l’image dans l’Hortus sanitatis… 229 la culture botanique médiévale est avant tout orale, nous y reviendrons. Chaque plante est reconnaissable grâce à un nombre restreint de traits caractéristiques, qui sont mis en évidence : feuilles profondément dentées, fruits ou rameaux épineux par exemple, pour la Branca ursina de l’Hortus (ig. 1) 3. Une planche prise au hasard dans l’édition princeps du De historia stirpium (1542) de Leonart Fuchs montre l’étendue de l’évolution parcourue dans l’approche de l’illustration : proportions correctes de la plante, illusion du volume, rendu par les hachures et les ombrages subtils, et détails morphologiques soignés 4. Toujours dans un but mnémotechnique, l’illustrateur médiéval donne volontiers l’une ou l’autre indication sur l’utilisation de la plante ; ainsi la représentation de l’Aristolochia (Aristoloche clématite, Aristolochia clematitis), du ms. Egerton 747 comporte-t-elle un serpent et une araignée, rappels que la plante est « bonne contre tous venins » 5. Second élément bien connu, le corporatisme médiéval est à l’origine d’écoles stylistiques au sein desquelles les modèles ont pu perdurer et empêcher, au moins en partie, les innovations iguratives : ainsi le modèle « oiseau », qui est presque un idéogramme, impose des schémas très contraignants, qui empêchent pour ainsi dire toute représentation réaliste. La gravure de l’aigle, par exemple, très hiératique, d’ailleurs utilisée deux fois, rappelle les bestiaires illustrés et la sculpture romane. On a ici un stéréotype qui traverse les âges, où on remarque un défaut d’observation directe au niveau de l’exécution de l’aile, malgré une connaissance empirique qui existe chez les fauconniers 6. En troisième point, au-delà des stéréotypes artistiques, il faut revenir brièvement sur l’inluence culturelle et religieuse liée au rôle de l’image du point de vue didactique et heuristique. On a trop longtemps cherché à dépister une fonction scientiique de l’image, abstraite de son contexte, comme si la même idée d’un regard scientiique rationnel se frayait péniblement un chemin depuis l’Antiquité, en butte à diverses formes d’obscurantisme. Il est évident que cette approche incite à l’anachronisme et fait obstacle à une compréhension pertinente de l’image en lien avec son contexte. Depuis les traités mystiques du Ps.-Denys l’Aréopagite, l’Occident chrétien dispose d’une théorie qui permet de donner une valeur théologique à l’image : la matière peut devenir le signe de l’invisible par le biais de la représentation. Le passage du matériel au spirituel passe par un travail symbolique d’épuration de 3. Pour les illustrations, voir p. 246-253, en in d’article. 4. Voir l’illustration du Centaurium erythraea (ig. 2). Cela dit, la qualité des gravures botaniques du XVIe siècle est très variable. Voir les éditions ultérieures du De historia stirpium, réalisées à moindres frais, par exemple Fuchs 1549. 5. Fuchs 1550, 71 ; ms. Egerton 747, f. 7r (ms. Egerton 747, consultable en ligne sur le site <http://www. bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/record.asp?MSID=8319&CollID=28>). 6. Voir ig. 3. Comparer avec l’Aigle de Barthélemy l’Anglais, Livre des propriétés des choses (traduction Corbechon déb. XVe s.), BnF, ms. Français 216, f. 283r. Philippe Glardon 230 l’image pour en éliminer l’accidentel, consubstantiel de la matière. Il y a donc une large coïncidence entre cette théorie de l’image et les illustrations des manuscrits, puis celles des incunables : de petite taille par nécessité pratique, au vu de leur grand nombre et de leur cohabitation avec le texte, celles-ci tendent vers une forme de simpliication ; elles forment un ensemble d’unités iguratives interchangeables, qui rendent accessibles une information et, dans le même temps, représentent l’harmonie de la Création en tant que langage métaphorique intelligible. L’historien de uploads/s3/ glardon-la-relation-du-texte-a-l-x27-image-dans-l-x27-hortus-sanitatis-et-les-traites-du-milieu-du-xvie-siecle.pdf

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