Gradhiva Revue d'anthropologie et d'histoire des arts 11 | 2010 Grands hommes v
Gradhiva Revue d'anthropologie et d'histoire des arts 11 | 2010 Grands hommes vus d'en bas L’affiche Hope Portrait d’Obama comme Géant et comme virus The Hope poster. Obama as giant and as virus Béatrice Fraenkel Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/1685 DOI : 10.4000/gradhiva.1685 ISSN : 1760-849X Éditeur Musée du quai Branly Jacques Chirac Édition imprimée Date de publication : 19 mai 2010 Pagination : 118-139 ISBN : 978-2-35744-025-8 ISSN : 0764-8928 Référence électronique Béatrice Fraenkel, « L’affiche Hope », Gradhiva [En ligne], 11 | 2010, mis en ligne le 19 mai 2013, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/1685 ; DOI : 10.4000/ gradhiva.1685 © musée du quai Branly 119 La carrière exceptionnelle de l’affi che Hope est incontestable. En tant que por- trait de Barack Obama, elle est devenue le support médiatique le plus remarqué d’une campagne politique reconnue par tous les spécialistes comme l’une des plus réussies de l’histoire américaine. Pour certains, elle s’inscrit dans la plus haute lignée des illustrations politiques et serait tout aussi remarquable que l’image fameuse Uncle Sam wants you à l’index pointé. Elle a déjà sa rubrique sur Wikipédia et a même créé un genre en soi : le logiciel Obamicon transforme toute image en portrait « à la manière » de Hope. On peut « obamaïser » n’importe qui. Pendant la campagne électorale, une contre-affi che tendancieuse dite Joker (fi g. 2) a levé contre elle une majorité d’Américains. La mauvaise affi che, honnie et dénoncée, fait face à la bonne affi che Hope, encensée et panthéonisée. Car non seulement Hope a fait la couverture du Times et d’Esquire, mais elle a aussi été installée à la très select National Portrait Gallery de Washington (fi g. 3), qui a fait l’acquisition de la version originale. Or l’œuvre désormais célèbre du graphiste Shepard Fairey s’est faite à contresens du parcours attendu : il s’agit bien d’une image du candidat Barack Obama, futur président des États-Unis, mais elle n’a pas été élaborée par les responsables de la campagne présidentielle puis réutilisée par d’autres. Bien au contraire, cette affi che a été créée en dehors des quartiers géné- raux offi ciels. Nous commençons donc notre enquête par le constat d’un paradoxe : c’est Fairey, graphiste indépendant, supporter du candidat, qui a pris les devants. Constatant qu’il n’existait pas de portrait offi ciel du candidat, il en crée un qu’il décline en plusieurs affi ches (Progress et Hope) diffusées sur son site Internet. Le succès est immédiat ; c’est alors que le staff d’Obama lui demande de faire une affi che pour la campagne offi cielle. C’est donc du dehors que s’est imposée l’image, comme si l’on rappelait à des professionnels de la politique qu’ils oubliaient, dans leur hâte à innover, une pièce maîtresse de toute propagande : le portrait offi ciel. Béatrice Fraenkel Fig. 1 L’affi che Obey dans les rues de Santa Monica. Droits réservés. Portrait d’Obama comme Géant et comme virus L’affi che Hope 2010, n° 11 n.s. 120 grands hommes vus d’en bas DOSSIER Second constat, tout aussi surprenant : l’auteur de l’affi che Hope, loin d’être un professionnel du marketing, appartient au monde des street artists. Il pratique plutôt le pochoir que le graffi ti, mais s’est illustré depuis de nombreuses années dans des actions d’affi chage sauvage (posters, fl yers) qui lui ont valu quatorze arrestations (Fairey 2009 : 295), plusieurs condamnations et quelques séjours en prison. La rencontre entre le colleur de stickers et l’énorme machine de communi- cation électorale du candidat démocrate est parfaitement inédite – ironique pen- seront certains. Elle correspond tout à fait à l’esprit de la campagne. Certes, Fairey jouissait d’une certaine renommée comme D.J., auteur de t-shirts, de pochettes de disques, et surtout de posters, stickers et vinyles ; il était déjà un ancien de la scène punk rock où il offi ciait depuis vingt ans. Avec l’affi che Hope, il accède à une nouvelle catégorie, celle des artistes à réputation mondiale. L’Institute of Contemporary Art (ICA) de Boston ne s’y est pas trompé, qui lui a consacré une rétrospective importante en février 2009. Salué comme un coup du staff de campagne et un clin d’œil en direction d’un public jeune, le cas s’est compliqué de deux incidents : l’Associated Press a déposé une plainte contre Fairey après avoir découvert que la photographie qu’il avait utilisée pour réaliser l’affi che avait été « volée » à un journaliste free- lance de l’agence, Mannie Garcia. Le Washington Post, dans lequel cette photo avait paru, a également porté plainte. La fabrication de l’affi che Hope est donc au centre d’un procès, accompagné d’un vaste débat sur le statut des photogra- phies de presse1. Fairey, qui avait pris la tête d’une croisade pour l’accès libre et gratuit aux photographies de presse, a reconnu avoir menti au tribunal et fal- sifi é le dossier de conception de l’affi che, cachant les preuves du vol de l’image publiée. Il a, depuis, présenté des excuses publiques. En février 2009, une très forte émotion avait saisi les fans du graphiste venus en masse assister à une fête organisée à l’occasion de l’exposition de l’ICA. Fairey, qui devait y offi cier comme D.J., fut arrêté par la police de Boston pour d’anciens délits d’affi chage sauvage. Un bon avocat réussit à démontrer que les faits reprochés avaient été commis dans le Massachusetts et Fairey fut relâché quelques heures plus tard. Ces rebondissements judiciaires et policiers ne font qu’amplifi er l’aura d’illéga- lité qui entoure l’artiste, qui se présente par ailleurs comme bon père de famille et honnête contribuable2. Tous ces faits sont bien connus, ils constituent la légende médiatique qui entoure l’affi che Hope et son créateur. Ajoutons un dernier ingrédient au récit, l’élément qui incite à une analyse plus approfondie : l’immense succès de l’affi che. Succès commercial (Fairey raconte comment, lors de la mise en vente du poster sur Internet, le succès fut immédiat et la vente un véritable jackpot qui rapporta 375 000 dollars en quelques minutes), succès militant et succès professionnel : l’affi che Hope est un événement dans l’événement de l’élection d’Obama. Pour mener à bien notre analyse, nous avons choisi de mêler plusieurs approches susceptibles de faire apparaître l’affi che Hope dans toute son épais- seur opératoire. Il fallait dépasser l’agitation qu’elle provoque, mener diverses enquêtes et s’interroger sur plusieurs énigmes qu’elle semble receler. Ainsi, elle ne semble pas valoir pour ce qu’elle montre, pour ses qualités plastiques intrin- sèques. Elle est volontiers qualifi ée d’image « vide » et vaudrait surtout par ce qu’elle suggère de son origine. Elle plairait parce qu’elle évoque une manière de faire plus que par le résultat de ce faire. Nous verrons comment elle rend visible son propre processus de fabrication et s’affi rme ainsi comme une sorte de relique d’un monde perdu. 1. Voir l’article de Noam Cohen (New York Times 2009). 2. C’est d’ailleurs en tant que contribuable que Fairey revendique le droit de s’exprimer dans l’espace public : « As taxpayers we all own the public space, but the government and advertisers frequently control it. I prefer to see the public space used as a forum of expression. This, of course, has to be done in a logical and respectful way; good street art, properly integrated, only enhances a city with visual simulations and or fl ow of ideas. Advertisers, however, don’t want any competition. Don’t let the advertisers’ agendas dictate how your streets are used. » (2009 : 304) 121 L’affi che Hope. Portrait d’Obama comme Géant et comme virus BÉATRICE FRAENKEL Ensuite, nous examinerons l’agence de production de cette affi che, la marque Obey Giant. Fondée par Fairey en 1989, elle a été conçue comme un service de propagande mis à la disposition d’un être fi ctif, André le Géant. Depuis, cette curieuse agence s’est développée, est devenue une véritable entreprise qui fabrique des produits publicitaires et revendique son expertise en propagande. Par la voix de son fondateur, elle se réclame d’une théorie cohérente de la communication publique et s’est particulièrement dis- tinguée dans ses pratiques de diffusion. Il nous semble que l’affi che Hope doit être comprise comme un produit né du savoir-faire de cet étrange atelier qu’est Obey Giant. En par- ticulier, il peut être pertinent de questionner la réalité d’un lien entre André le Géant et Obama, et plus largement de mieux comprendre dans quelle famille de héros Obama est entré puisque l’agence s’est mise au service d’une cohorte de « leaders » qu’elle exalte. Enfi n, après avoir examiné l’affi che comme œuvre gra- phique et l’avoir située dans son contexte de production, nous la saisirons dans l’histoire de sa carrière fulgurante, les quelques mois de la campagne présidentielle d’Obama. C’est en effet en tant qu’objet de campagne mis au service du candidat et venant enrichir le kit des militants que l’af- fi che a déployé toute sa force de frappe. Nous verrons comment les options choi- sies pour organiser le marketing politique du sénateur de l’Illinois ont recoupé, curieusement, uploads/s3/ gradhiva-1685 1 .pdf
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- Publié le Jul 17, 2022
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