1 HISTOIRE DE L’ART CINQUIEME PARTIE DE CEZANNE AUX SURREALISTES (XX°SIECLE) Ja

1 HISTOIRE DE L’ART CINQUIEME PARTIE DE CEZANNE AUX SURREALISTES (XX°SIECLE) Jacques ROUVEYROL 2 CHAPITRE 30 : LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE 1. LA CONSTRUCTION DE L’ESPACE (1) : CEZANNE. I. MISE EN PERSPECTIVE. 1. Au Moyen-Âge, l’œuvre d’art est un texte qui déchiffre le monde conçu comme le Livre de la Pensée de Dieu. Le principe de cohérence de ce monde réside dans le symbolisme. Le moindre objet naturel exprime la Pensée du Créateur (exemple : la « Noix de Saint Victor). 2. A partir de la Renaissance, le monde est une machine que la science a à décrire et l’art à refléter. L’œuvre d’art est une image. Le principe de cohérence du monde réside dans les lois de la nature, traduites en peinture par la perspective. 3. A l’âge moderne, l’œuvre d’art est une création qui vise à expliquer comment le monde nous devient visible. Le principe de cohérence du monde créé par l’art est à découvrir. 4. Le problème est comment créer un monde. a. Qu’est-ce qu’un monde ? Un ensemble cohérent. b. Comment exprimer de façon sensible cette cohérence ? Par la profondeur. --> Au moyen-âge, la profondeur est symbolique. C’est le sens du symbole. Il y a derrière l’image (l’aigle, par exemple), le sens (Saint Jean). --> A la Renaissance, la profondeur est géométrique : c’est la perspective. --> A l’âge moderne, il s’agit de rechercher une profondeur nouvelle. Et comme la profondeur de la renaissance est relative (la perspective fait exister les objets les uns par rapport aux autres), celle que la peinture nouvelle a à inventer devra être absolue. Mais qu’est-ce qu’une « profondeur absolue » ? 5. Lorsque je vois un tableau, je ne vois pas une chose comme une autre. J’en ai, dirons-nous, 3 une vision « absolue ». Je vois cette table par rapport à la chaise proche, la porte lointaine, etc. (la vision des choses est relative). Quand je vois un tableau, je ne vois que lui. En outre, je peux demander : « où est cette chose ? », mais pas « où est ce tableau ? » (sauf à me renseigner sur sa position géographique dans la maison ou le musée). Je peux demander : « où est la montagne Sainte-Victoire que représente ce tableau de Cézanne ? » mais pas « où est ce tableau ? ». La tableau n’est donc pas une chose visible comme les autres. Ainsi, que vois-je lorsque je regarde La Montagne Sainte-Victoire de Cézanne. Je ne vois pas une montagne, ce que je vois, ce sont les moyens par lesquels cette montagne me devient visible et visible comme montagne. Au sortir de la Caverne platonicienne, le prisonnier libéré, accoutumé qu’il était à vivre dans la pénombre et à ne voir sur la paroi que les ombres projetées des choses extérieures, ne voit d’abord en effet que des ombres, puis les reflets des objets dans les eaux, puis les objets eux- mêmes et, pour finir, le soleil. En parvenant à ce dernier, toutefois, il change à nouveau de registre. Car, si le soleil est visible, il est aussi le principe de visibilité de toutes choses. C’est grâce à lui que le reste devient visible. Ce qui se produit avec ce tableau de Cézanne est du même ordre. Le regard d’abord accroché par le tronc de l’arbre glisse vers la droite sur la branche inférieure, est conduit de là au viaduc et du viaduc, enfin, au sommet de la montagne. Celle-ci, pourtant, est toute proche. Le travail du peintre aura été de retarder le regard . De lui imposer des détours. En cela consiste la nouvelle profondeur. En cela consiste notre manière de voir c’est-à-dire de recevoir les choses. 4 Cézanne ne peint donc pas le monde visible, mais le principe de sa visibilité. Le tableau explique comment le monde me devient visible. Les classiques peignaient le monde arrosé de la lumière du soleil. Les impressionnistes peignent cette lumière de préférence au monde. Cézanne peint le soleil qui la dispense. II. LA PERIODE SOMBRE 1859-1871 Avant la perspective renaissante : la perspective antique. Elle est déterminée par la croyance en la sphéricité du champ visuel et la croyance dans le fait que les grandeurs apparentes ne sont pas une fonction de l’éloignement des objets mais une fonction de l’angle visuel : Avant la perspective renaissante des recherches sont faites dans les manuscrits, à partir de la théorie de la sphéricité de notre vision. De là, le carrelage courbe de bien des représentations enluminées. 1. Curieusement, Cézanne commence par suggérer la profondeur au moyen de la courbe. A tel endroit de la toile le point de départ d’une série de courbes qui vont vers l’extérieur, comme les cercles de l’onde troublée par une pierre jetée. La profondeur n’est pas rendue par la couleur, mais par le mouvement centrifuge de la courbe. Le point focal paraît plus éloigné (comme une origine) encore qu’aucune perspective ne produise l’illusion de cette profondeur. 5 2. Un autre procédé, par irradiation aboutit à un résultat analogue : un point focal lumineux et un assombrissement progressif centrifuge. Avec pour résultat une inversion de la « profondeur ». Le « foyer » avance au premier plan et le reste recule dans l’ombre. 6 3. Même usage de la courbe dans les portraits pour faire surgir « en avant » le personnage ou tel détail de son visage : il s’agit de faire tourner la couleur. 7 III. LA PERIODE IMPRESSIONNISTE 1873-1877 On l’a vu, avec l’impressionnisme, le sujet finit pas perdre tout intérêt. C’est la lumière seule qui compte. Mais le problème est alors celui de sa synthèse. Précisons. Soit une photographie représentant une danseuse prise dans son action. La photographie (sauf exception) va figer le mouvement, l’arrêter. Dix photographies mises côte à côte en montreront la décomposition. Nous sommes dans l’analyse. Mais soit à présent une toile de Degas, par exemple L’étoile ou la Danseuse sur scène ( 1878 Musée d'Orsay, Paris), Le geste n’est pas figé, sa continuation, comme ce qui précède dans le temps, sont suggérés. C’est une synthèse. A regarder le tableau, je me figure l’ensemble indivisible du mouvement de la danseuse. 1. Et bien, dans ses paysages. Cézanne ne saisit pas un instant de lumière, mais effectue la synthèse d’une succession d’instants lumineux. Le problème est alors : comment se fait cette synthèse. Comment les éléments (les instants lumineux variés) ne s’émiettent-ils pas ? Comment les tenir ensemble ? La réponse est : par un compartimentage de la toile. Chaque portion d’espace devient solide et enferme toutes la variations possibles. La différence est sensible avec ce paysage de Pissarro : 8 qui bénéficie d’une cohésion globale mais qui donne à voir un instant de son existence (celui d’une lumière particulière). En l’absence de ce compartimentage, le paysage se dissout. 2. Comme pour le paysage, Cézanne recherche dans le portrait, ce qui demeure à travers le changement des expressions. Pour maintenir ensemble cette diversité, l’espace qui entoure le visage doit lui être étranger et le fermer sur lui-même. La touche est légère, mouvante, sans les empâtements caractéristiques de la période précédente. Le volume doit donc être contenu et c’est le rôle de ce qui l’encadre que de réaliser cela. Il arrive qu’il y ait déséquilibre et que l’espace alentour « écrase » la figure, la fige (Madame Cézanne à la Robe rayée 1877). Ou, à l’inverse, que la figure se « désagrège » par 9 insuffisance de « pression » de l’espace (Autoportrait de la Phillips Collection à Washington 1878-1880). Signes que la solution du « compartimentage » n’est pas, peut-être, le dernier mot de la question à propos de la synthèse. IV. LA PERIODE CONSTRUCTIVE 1879-1895 Le problème à résoudre est donc celui de l’unité de la construction de la fusion entre le contenant spatial et le contenu figuré. 1. Gauguin a trouvé sa solution : recréer un monde sans rapport avec la réalité : celui, hiérarchique, des idoles. Comme on est dans une recréation totale, on maîtrise tous les éléments de la composition de ce nouveau monde en sorte qu’il devient aisé d’en assurer la cohérence (la profondeur au sens plus haut défini). 2. Même type de solution pour Seurat qui recrée un autre monde dans lequel tout semble suspendu, où le temps s’est arrêté ou du moins infiniment ralenti. 10 3. Il arrive aussi à Cézanne, c’est le cas par exemple dans son Mardi Gras, de recréer un autre monde, onirique. Mais son objectif est d’opérer une transposition du monde réel en peinture. Or, transposer c’est à la fois conserver et dépasser. Prendre le monde réel et, à partir de lui, construire un autre monde équivalent. Un monde qui soit parallèle à la réalité. Or pour que parallèle il y ait, il faut que dans le monde représenté je puisse reconnaître le monde que je représente. Travail d’abstraction, donc, mais contrôlée, référée au réel. Il s’agit en conséquence de parvenir à un équilibre entre la construction abstraite et la perception réelle. En cela uploads/s3/ histoire-de-l-x27-art-05-cinquieme-partie-de-cezanne-aux-surrealistes-xx0s.pdf

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