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2 3 L’auteur adresse ses chaleureux remerciements à Gene- viève Claisse, sans qui ce texte n’aurait pas bénéficié de toute l’information sur laquelle il s’appuie. 1- La correspondance inédite d’Herbin à son marchand et frère en théosophie Léonce Rosenberg (dont une copie est conservée dans les archives de Geneviève Claisse) porte témoignage de cette réflexion : « Goethe a tracé une théorie précise de la couleur, Steiner a continué ce travail en approfondissant la vie spirituelle de la cou- leur. » Il en tire une conception singulière de sa démarche dans le champ de l’abstraction : si une exposition de ses derniers tableaux devait être organisée, ce serait sous le signe, demande-t-il, de « La Réalité Spirituelle » : « Cette manifestation serait importante parce qu’il y a une grande confusion dans les diverses activités qui se réclament de l’abstraction – et j’ai pris une position qu’il ne faut pas confondre avec l’abstraction intellectuelle. » (Lettre à L. Rosenberg, le 24 mai 1939). Ce sont de tels indices qui permettraient aujourd’hui de nuancer considérablement l’image de dogmatique intransigeant que l’on s’est faite d’Herbin. 2- G. Wachsmuth, Le Monde éthérique, Paris, Association de la Science spirituelle, 1933. Dans l’introduction de l’ouvrage, Wachsmuth (1893-1963) est présenté par son traducteur comme docteur ès sciences et directeur de la section des sciences naturelles de l’Université libre de Science spirituelle, fondée au Gœthéanum de Dornach par Rudolf Steiner : « Une pléiade de chercheurs y applique dans divers domaines la notion des forces éthériques. Les principaux laboratoires sont ceux de physique, où l’on poursuit des expériences fort originales, notamment sur l’acoustique et la chaleur, et ceux de biologie. Dans ces derniers, on étudie l’action des forces éthériques sur les phénomènes de cristallisation [dont découle le système des correspondances formelles]. » (p. 10). 3- A. Herbin, L’Art non figuratif non objectif, Paris, Édition Lydia Conti, 1949, p. 102. Donné dans cet ouvrage sous une forme purement typographique, l’alphabet plastique a été interprété dans sa pleine dimension visuelle par Geneviève Claisse à l’occasion de la publication de son ouvrage, Herbin, Lausanne, Les Éditions du Grand-Pont & Paris, La Bibliothèque des Arts, 1993, p. 230-233. « Comme la musique, la peinture a son propre alphabet qui servira de base à toutes les combinaisons des couleurs et des formes », écrit Auguste Herbin dans L’Art non figuratif non objectif. Publié en 1949, l’ouvrage divulgue pour la première fois un système de correspon- dances entre lettres de l’alphabet, formes géométriques, couleurs et sonorités musicales. Mis au point au début de la décennie, cet « alphabet plastique » est le résultat d’une longue réflexion sur la nature physique et spirituelle de la couleur, menée dans le giron de la pen- sée goethéenne reçue à travers l’enseignement de La Science Spirituelle, filiale française de l’Anthroposophie dont Herbin suit l’enseignement au centre de la rue d’Assas et achète les traductions qu’elle édite des livres de Rudolf Steiner et de ses disciples1. C’est chez l’un d’eux, le Dr Guenther Wachsmuth, que le peintre rencontre la théorie des quatre forces éthériques et qu’il recueille les lois de leur manifestation sous forme chromato-géométrique : à l’éther de chaleur correspondent ainsi les formes circulaires et la couleur rouge ; à l’éther de lumière les formes triangulaires et le jaune ; à l’éther sonore s’accordent les formes hémisphériques et le bleu ; tandis que l’éther de vie produit les formes quadrangulaires et le violet2. Herbin en tire un premier tableau de rapports avec les voyelles et la gamme musicale, où les trois notes fondamentales de l’accord do mi sol correspondent aux trois couleurs primaires et les autres notes — dites « complémentaires » par Herbin — aux couleurs secondaires : L’insertion des consonnes dans ce premier tableau entraîne l’adoption de couleurs intermé- diaires et provoque des combinaisons de formes et de sonorités multiples. Ainsi pourront être associées à certaines lettres (le V noir, par exemple) jusqu’aux quatre formes primaires et la totalité des notes de la gamme, mais, le plus souvent, au moins deux formes et deux notes, comme le disque et le carré avec le do et le sol à la lettre C rouge foncé, ou le triangle et le demi-disque avec le fa et le mi à la lettre P vert clair3. À l’instar de nombreux autres systèmes comparables, celui d’Herbin n’est pas exempt d’arbitraire et dresser la liste de ses illogismes constituerait un autre projet. Avant tout, il est une tentative de se mettre à la hauteur de l’en- jeu désigné par Wachsmuth selon qui « l’artiste qui connaîtra les lois de l’éthérique et ses le tableau logophore quatre hypothèses sur l’alphabet plastique arnauld pierre « J’inventai la couleur des voyelles ! A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. Je réglai la forme et le mou- vement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. » Arthur Rimbaud A E I O U Y Rouge Orangé Jaune Vert Bleu Indigo Violet DO RÉ MI FA SOL LA SI Herbin, 1959 Huile sur toile, 97 x 130 cm Collection particulière 5 4 4- G. Wachsmuth, Le Monde éthérique, op. cit., p. 195. 5- Lettre à L. Rosenberg, le 3 janvier 1940. 6- Lettre à L. Rosenberg, le 21 février 1940. 7- Pour une approche comparable de la sémiologie abstraite de Mondrian, je me permets de renvoyer à mon essai, « Signes inconditionnels, signes universels : Mondrian et la peinture schématique », dans Brigite Léal (dir.), Mondrian, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 2010, p. 53-65. 8- Cette tendance à la grammaticalisation des arts est de mieux en mieux connue : voir Georges Roque, Qu’est-ce que l’art abstrait ?, Paris, Gallimard, Folio essais, 2003, p. 352sq ; mais aussi, pour un état des lieux plus récent, Rémi Labrusse, « Face au chaos : grammaires de l’ornement », Perspective, Paris, INHA et Armand Colin, 2010-2011, n°1, p. 97-121. 9- Henry Havard, Lettre sur l’enseignement des beaux-arts, Paris, 1879, cité dans Jules Bourgoin, Études architectoniques et graphiques. Mathématiques, arts d’indutrie, architecture, arts d’ornement, beaux-arts. Collection raisonnée d’études et de matériaux, de notes et de croquis pour servir à l’histoire, à la théorie, à la technique des arts, et à l’enseignement théorique et pratique dans la famille, dans l’école et dans l’atelier, Paris, Schmid, 1899, p. 114. 10- J. Bourgoin, Grammaire élémentaire de l’ornement, pour servir à l’histoire, à la théorie et à la pratique des arts et à l’enseignement, Paris, Delagrave, 1880, p. 6. 11- Sur Daly, voir Estelle Thibault, La Géométrie des émo- tions. Les esthétiques scientifiques de l’architecture en France, 1860-1950, Wavre, Mardaga, 2010, p. 70-75. 12- J. Bourgoin, Grammaire élémentaire de l’ornement, op. cit., p. 167, 193-194, 196. manifestations à travers le monde des couleurs, aura à sa disposition un langage nouveau, une sorte de magie qui lui permettra de nouvelles expressions plus conformes à l’essence profonde des choses4. » Le tableau logophore articule ainsi un verbe musical, chromatique et géométrique qui met en rapport avec la véritable nature du monde, en parle la langue origi- nelle et en porte la connaissance sur un mode plus instinctif, orphique et poétique. La chose a pour Herbin le caractère d’une révélation, comme en témoigne le ton de ses lettres du début de l’année 1940, alors qu’il est en train d’échafauder son système : « Je suis très heureux, si heureux que je veux vous en faire part immédiatement. J’ai enfin percé le mystère qui me tourmentait depuis 2 ans. Je sais aujourd’hui très exactement pourquoi le sang est rouge pourpre comme je sais déjà depuis à peu près 2 ans pourquoi le végétal est vert. Je connais ainsi le lien spirituel du monde vivant en soi et avec la lumière et les ténèbres — rapport entre le végétal et l’animal — rapport entre ces deux avec la lumière et les ténèbres — rapport du tout avec l’Esprit5. » Dès lors, l’artiste se voit comme l’« un des ouvriers de ce grand atelier de la Création6 », que le tableau, comme chez Mondrian, résume en une totalité concentrée au moyen d’un nombre de signes à peine moins limité que chez le maître du néoplasticisme7. Cette révélation, cependant, ne se comprend pas en dehors d’une longue série d’expériences caractéristiques de la modernité, quand les technologies de la communication et de la trans- mission des messages, en plaçant la visualité au cœur de leur approche, engagent la peinture — en particulier dans ses modalités abstraites — dans un « tournant sémiotique » porté par le potentiel utopique du langage. On peut également avancer que cette épiphanie de la langue visuelle est préparée, en outre, par certains facteurs à chercher dans la biographie de l’artiste — et singulièrement dans sa période de formation. Glossologie : une langue élémentaire C’est la première hypothèse que l’on voudrait formuler : l’alphabet plastique d’Herbin dé- coule d’une tendance à l’assimilation des arts visuels à des langages dont l’un des fonde- ments est la théorie des arts décoratifs et uploads/s3/ le-tableau-logophore-quatre-hypotheses.pdf

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