© Encyclopædia Universalis France 1 KOWALSKI PIOTR (1927-2004) Écrit par Thierr
© Encyclopædia Universalis France 1 KOWALSKI PIOTR (1927-2004) Écrit par Thierry DUFRÊNE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X- Nanterre Carte mentale Élargissez votre recherche dans Universalis L'artiste plasticien Piotr Kowalski appartient à la catégorie rare des artistes inventeurs dont la figure emblématique est Léonard de Vinci. Pour les artistes de cette famille – Seurat, Duchamp et Morellet par exemple – « voir » ne se contente pas de rimer avec « savoir » : c'est simplement la même chose. Voir, c'est inventer. Kowalski a été, dans les années 1970-1980, l'un des penseurs d'un art technologique dont Frank Popper fut le critique et l'historien. Au cours de la dernière décennie du XX e siècle, Piotr Kowalski a développé des œuvres en réseau grâce à l'informatique et il a questionné les villes par des sculptures à grande échelle. Son portrait est celui d'un éveilleur qui n'est jamais satisfait avant d'avoir trouvé la forme la plus claire pour exprimer un problème complexe. © Encyclopædia Universalis France 2 Un artiste-chercheur Né à Lvov en Pologne, Piotr Kowalski émigre en Suède en 1946, étudie les mathématiques et l'architecture au M.I.T. à Cambridge (États-Unis) de 1947 à 1952, travaille dans les années 1950 auprès de différents architectes (Breuer, Prouvé ou Pei), réalisant des prototypes comme un transformateur électrique en polyester translucide, des boutiques et des écoles. Après son installation en France à la charnière des années 1950-1960, il crée, répondant à sa vocation d'artiste-chercheur, ce qu'il appelle des « outils d'art ». Son atelier de Montrouge, en banlieue parisienne, est un laboratoire qu'il ne quitte que pour des séjours aux États-Unis, au Brésil, en Allemagne ou au Japon. Kowalski est convaincu que plus on a de connaissance du réel et plus l'imaginaire a de choses à manier ; il élabore dessins et maquettes au milieu d'ouvrages consacrés à Marcel Duchamp, dont il admire les expériences-créations comme les Stoppages-étalons ou le Coin de chasteté, et de ses propres Duchampia. Il n'entre aucune dérision dans les machines qu'il crée alors, sa démarche étant radicalement différente de celle de Jean Tinguely. Même si elles créent des formes, le plus important pour lui c'est le processus que l'on peut refaire indéfiniment. La Machine pseudo-didactique (1961) se compose d'une surface de caoutchouc, tendue entre un point fixe et un point mobile, sur laquelle joue un liquide doré. Il est possible à tout moment d'arrêter le mouvement, de fixer un état précis par moulage et donc d'obtenir une sculpture. Dans Dressage d'un cône (1967) plusieurs plateaux sur lesquels du gazon a été planté tournent électroniquement : l'action combinée de la force de gravité et de la force centrifuge produit un cône d'herbe. Mais l'artiste n'utilise pas que des moteurs : dans Flèche de sable (1979), le sable versé dans un moule s'écoule sur la table, matérialisant, quand on enlève le moule, la flèche du temps ; dans Thermocouple (1977), sculpture de grande dimension installée à Linz (Autriche), deux lames verticales, réalisées avec des aciers qui ont des coefficients de dilatation différents, s'écartent en été et se rapprochent en hiver. Les propriétés plastiques de l'énergie le passionnent : sculptures à l'explosif créées en Californie (1965) ou pour E.D.F. en 1974, tubes en verre remplis de gaz maniés par les spectateurs et qui changent de couleurs dans un champ électromagnétique, environnement lumineux modifié par les spectateurs (Espace Electra, Paris, 1983). © Encyclopædia Universalis France 3 Le temps, matière de l'œuvre Mais, ce qui va le plus compter pour Piotr Kowalski, c'est la transmission de l'information et le travail de cette dernière en temps réel. C'est le temps qui devient le matériau de l'œuvre dès les premiers projets de Time-Machine I conçue en France et en Suède vers 1970 et exposée à la galerie Ronald Feldman de New York (1979) : un magnétophone captait des sons en temps réel et les restituait à l'envers. Des poèmes lus par William Burroughs, des enregistrements de poètes et d'artistes furent ainsi traités, créant une vraie langue dadaïste. Au même moment, l'artiste mettait au point Miroir, qui renversait la perception de l'espace en restituant par rotation ultrarapide l'image de soi telle qu'un autre la perçoit, et non plus l'image inversée vue dans un miroir. Mais ce sont les progrès de l'informatique qui vont lui permettre de réaliser, à partir de 1978, au Center for Advanced Visual Studies du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) Time Machine II, qui ajoute au traitement du son celui de l'image. Cette œuvre interactive permet au public de manipuler à sa guise en la retournant l'image venant de la caméra ou d'une télévision. Ainsi peut-il faire coexister, grâce à deux téléviseurs et à des systèmes sonores juxtaposés, le monde « à l'endroit » de l'image et le « monde à l'envers » de sa restitution renversée ultrarapide. Piotr Kowalski en tire un extraordinaire pouvoir comique quand il inverse les séquences du film Steamboat Bill Junior de Buster Keaton. La dimension poétique et philosophique de l'œuvre n'est pas sans évoquer dans le domaine littéraire L'Invention de Morel (1940) d'Adolfo Bioy Casares ou la nouvelle de Borges, Le Jardin aux chemins qui bifurquent (1941). Kowalski constate que « l'art n'a jamais envisagé le temps comme une matière ». À la question : « Est-ce une sculpture ? », il peut répondre : « On voit le matériau, on voit les pixels, on voit la matière de l'information ; on ne doit pas être symbolique. » À la suite de Time Machine II, présentée en 1981-1982 lors de sa première grande exposition au Centre Georges-Pompidou, l'artiste a continué à explorer la question du temps et de l'information grâce à d'autres « outils d'art » mettant en jeu les nouvelles technologies. La Flèche du temps (1990-1992), installation vidéo-numérique comportant un mur de 18 écrans, permet au public de décomposer l'image animée, de mettre en mémoire les images, de les traiter, de les séparer en temps réel, de faire des zooms ou des arrêts sur image avant de revenir au point de départ. Le Cube de la population, dont le concept date de 1981 – le projet est alors présenté par des dessins à Beaubourg – mais qui ne fut réalisé qu'en 1992 à la Kunst- und Austellungshalle de Bonn, est un immense cube qui contient un nombre constamment réactualisé de billes de verre d'un diamètre inférieur au millimètre, qui correspond au chiffre de la population mondiale. Éclairées d'un laser bleu, les billes entrent par le haut du cube avec un son aigu selon le flux des naissances calculé par les ordinateurs des organisations mondiales et répercuté vers la machine. Un flot d'autres billes qui marquent la mortalité s'écoulent avec un son grave. Cette véritable horloge où s'affiche le nombre constamment changeant de la population mondiale, bien plus significative que tous les comptes à rebours qui furent installés dans l'attente de l'an 2000, est faite pour s'arrêter, saturée, à 10 milliards – nous avons atteint 6 milliards en octobre 1999 –, ce qui correspond selon Kowalski à un maximum viable. Avec cette œuvre, l'« outil d'art » est l'incarnation belle et forte d'un problème complexe, la manifestation tangible de l'abstraction des grands nombres. Œuvre dérangeante, longtemps remisée dans les réserves du musée de Bonn, le Cube de la population devrait être installé à l'initiative de Pontus Hulten, ami de l'artiste, dans le musée des Vandales en Suède. © Encyclopædia Universalis France 4 © Encyclopædia Universalis France 5 L'intervention dans l'espace public Le travail de Kowalski a pris place dans l'espace public. Ainsi, près de Paris, la Défense lui doit La Place des degrés (1987-1989) qui traite comme un ensemble trois niveaux le jour grâce à des marqueurs géométriques et la nuit grâce à des lignes lumineuses. L'utopie de l'escalier vivant où s'élève une vague de pierre met en scène la vibration du mouvement de la foule des villes comme l'avait fait en son temps le futuriste Boccioni dans son célèbre tableau la Ville qui monte. L'artiste est également intervenu sur l'escalier monumental (1992) qui va vers la place du Dôme. Au lieu des sempiternelles sculptures de type « ville nouvelle », l'artiste propose une utopie construite sur des projets de connaissance. Tels auraient été sa vision de l'espace des Halles à Paris conçu comme un Luna Park scientifique avec pendule de Foucault, serre et lieux d'expérimentation, ou son monument pour le XXI e siècle à Kōbe au Japon, La Montagne des dix mille pixels (1987-1989), fragmentation inouïe d'une montagne en bassins d'eau qui à distance auraient ressemblé à un écran divisé en pixels. Tels furent l'Axe de la Terre (Champs-sur-Marne, 1992), la Porte céleste (Saint-Quentin-en- Yvelines, 1991) et la Balise calendaire à Échirolles, près de Grenoble (1992). Un film réalisé par Gisèle et Luc Meichler (In situ Kowalski, 1993) en rend remarquablement compte. La curiosité de Piotr Kowalski, qui aime discuter avec les poètes et les philosophes (Félix Guattari, Jean-Christophe Bailly), s'éveille, à l'instar de celle de Duchamp ou de Léonard de Vinci, non pas aux moyens nouveaux mais aux questions que ces moyens nouveaux permettent uploads/s3/ piotr-kowalski.pdf
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- Publié le Jui 02, 2022
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