Pour une conception ”r´ eellement communicative” des formes grammaticales Lidia

Pour une conception ”r´ eellement communicative” des formes grammaticales Lidia Lebas-Fraczak To cite this version: Lidia Lebas-Fraczak. Pour une conception ”r´ eellement communicative” des formes grammati- cales. Cahiers de prax´ ematique, Publications de l’Universit´ e Paul Val´ ery, 2011, 56, pp.91-116. <hal-00874926> HAL Id: hal-00874926 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00874926 Submitted on 19 Oct 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. 1 Pour une conception « réellement communicative » des formes grammaticales Lidia Lebas-Fraczak EA 999, LRL, Clermont Université, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand 1. Introduction La méthodologie « communicative » dans l’enseignement des langues a contribué à dépasser la perception de l’apprentissage d’une langue comme apprentissage de la grammaire et du vocabulaire, en reconnaissant dans la communication la fonction principale de la langue. Cela a conduit à subordonner les contenus linguistiques à des « objectifs communicatifs », en donnant la priorité à la dimension sémantique des formes grammaticales, conformément à la conception de la communication comme une activité consistant à « échanger du sens » (cf. Courtillon, 1989 : 113). Toutefois, le fait d’associer des sens à des formes grammaticales n’a pas en lui-même constitué une nouveauté, et on se rend compte que la façon de concevoir les morphèmes grammaticaux tels que les marques des temps, des modes verbaux ou les articles n’a pas vraiment évolué par rapport aux présentations traditionnelles. Ainsi, l’imparfait est toujours présenté avec un sens « duratif » (ou sens de « non limité dans le temps ») propre aux « états », « descriptions », « situations », « circonstances » ou « actions habituelles », alors que le passé composé est associé au sens « ponctuel » (ou « limité dans le temps ») des « actions » (cf. Lebas-Fraczak, 2009a)1. Le subjonctif continue d’être présenté en relation avec des sens tels que « doute » et « souhait »2 ou « quelque chose qui n’est pas réalisé »3. Concernant les articles, le partitif, par exemple, est toujours associé à la notion de quantité (« partielle » ou « indéfinie ») (cf. Lebas-Fraczak, 2009a et 2009b). Or, dès que l’on sort du cadre des exemples fabriqués et isolés (ou choisis en fonction des sens préconisés) et que l’on observe des énoncés authentiques et contextualisés, on constate rapidement l’insuffisance voire le caractère trompeur de ces présentations, et cela se reflète dans les productions des apprenants et des locuteurs étrangers. Ainsi, concernant les temps passés, et en conformité avec les présentations grammaticales de nombreux matériaux pédagogiques, les apprenants / locuteurs non natifs ont tendance à éviter le passé composé avec les verbes « statiques », par exemple être ou avoir, alors que dans de nombreux contextes cette forme est la plus adaptée, par exemple : J’ai été très content de cette formation ou Nous avons eu un problème4. Concernant le subjonctif, les apprenants sont troublés par ses emplois où les sens préconisés de doute ou d’incertitude n’apparaissent pas, comme après l’expression le fait que, ainsi que par les emplois de l’indicatif avec ces mêmes sens, par exemple : Je ne suis pas sûr que le restaurant est ouvert ou Il me semble que c’est fermé. Quant à l’emploi du partitif, il se limite souvent dans les productions des apprenants aux contextes où il s’agit de parler de nourriture et de boisson, vocabulaire qui est associé régulièrement (et parfois exclusivement) au partitif dans les sources didactiques, ce qui s’explique par leur compatibilité intuitive avec les sens préconisés de quantité et de partitionnement. D’où les difficultés avec les emplois tels que C’est de la jalousie ou J’ai reçu de la visite, par exemple. 1 Cette étude a porté sur quatre méthodes de FLE : Ici 1, Connexions 1, Taxi ! 1, Campus 1. 2 Par exemple, Taxi ! 2, p. 73. 3 Par exemple, Connexions 1, p. 135. 4 Nos observations sont complétées par celles de M. Barbazan concernant les apprenants germanophones, qui ont tendance à opter pour l’imparfait « dans le cas de verbes dénotant des procès impliquant une certaine durée de développement ou une itération, les procès ponctuels étant préférentiellement associés au PS / PC. » (2006 : 185). L’auteure cite également J.-P. Confais (1995 : 212), qui qualifie de « catastrophes didactiques » les règles responsables de ce type de généralisation. 2 Étant donné les difficultés, toujours les mêmes, que l’on peut observer chez les apprenants étrangers concernant l’utilisation de ces formes, ainsi d’ailleurs que chez leurs enseignants, qui se sentent souvent désarmés devant les « exceptions », il devient légitime de remettre en question la conception sémantique de la grammaire et de postuler une approche qui soit réellement « communicative ». 2. Problème de l’approche sémantique de la grammaire Ainsi, il faut, selon nous, remettre en question l’approche consistant à associer des sens aux morphèmes grammaticaux. Ce point de vue va à l’encontre de ce que préconise, par exemple, J. Courtillon, en disant que « si l’on admet que le postulat de base [de l’approche communicative] est que "communiquer c’est échanger du sens", la grammaire doit être considérée comme véhicule de sens au même titre que le lexique » (op. cit.). En effet, un tel rapprochement de la grammaire et du lexique est incompatible avec la conception linguistique selon laquelle les morphèmes grammaticaux (libres ou liés) sont à distinguer des morphèmes lexicaux5. Car, si l’on considère que les morphèmes grammaticaux peuvent être dotés de sens aussi précis que « souhait » ou « quantité partielle », on peut se demander ce qui est censé les différencier des morphèmes lexicaux (par exemple, des verbes vouloir ou souhaiter ou des substantifs partie ou portion). Certes, on peut considérer que ce sont des sens auxquels les morphèmes grammaticaux tels que le subjonctif ou l’article partitif contribuent, mais on se rend compte que cette contribution n’est pas systématique car, par exemple, le sens de « quantité partielle » n’apparaîtra pas toujours avec l’article partitif (comme dans c’est de la jalousie ou j’ai reçu de la visite). D’autre part, l’éventail des sens auxquels peut contribuer un morphème grammatical s’avère en fait très large. La méthode Campus 1, soucieuse d’enrichir la sphère sémantique de l’article partitif, recommande de l’utiliser « pour parler de nourriture et de boisson (...), pour parler des activités (...), pour parler des couleurs et des matières (...), pour parler du temps (...) ». Cependant, cette liste pourrait bien être continuée, car on peut parler en employant l’article partitif de bien d’autres choses encore, par exemple des caractéristiques (avoir de la personnalité, de la tenue, de la classe), des sentiments (c’est de la jalousie, éprouver du plaisir), de difficulté et de facilité (rencontrer de la difficulté, avoir de la facilité à faire qqch) et même des choses plus « concrètes » (ça, c’est de la voiture !). Ce qui n’empêche pas que les autres articles puissent être utilisés pour ces sens. Ainsi, considérer que les morphèmes grammaticaux sont « véhicule de sens au même titre que le lexique » se confirme comme étant problématique. Les descriptions des déterminants et des temps et modes verbaux adoptent parfois une approche moins référentialiste (ou objectiviste) et plus mentaliste (ou subjectiviste) selon laquelle les sens de ces formes correspondent aux représentations mentales des locuteurs plutôt qu’aux qualités réelles. Ainsi, on explique l’emploi de telle ou telle forme par la façon dont le locuteur envisage ou se représente quelque chose : une action comme étant « accomplie » ou « inaccomplie », « actuelle » ou « virtuelle » ; un référent, comme étant « massif » ou « discret », « unique » ou « un parmi d’autres ». De telles explications, même si elles correspondent à l’intuition des auteurs dans leur qualité de locuteurs natifs, sont difficilement vérifiables, et surtout non motivées du point de vue communicatif. En effet, l’approche centrée sur le locuteur et sur son point de vue ne permet pas facilement et dans tous les emplois de (faire) comprendre à quoi cela sert dans la communication réelle de se représenter et de présenter à l’interlocuteur tel procès, par exemple, comme étant « accompli » ou « inaccompli » (comme dans Hier il pleuvait à Lyon / Hier il a plu à Sydney6), ou tel 5 Même si, comme le fait remarquer B. Victorri, « la distinction grammatical / lexical n’est pas une propriété binaire, mais plutôt un gradient le long d’un continuum » car « une même unité peut jouer un rôle plus ou moins grammatical ou lexical » (Victorri, 1999). 6 Cf. les exemples 1 et 2 plus bas. 3 référent comme étant « discret » ou uploads/s3/ pour-une-conception-communicative-des-formes-grammaticales.pdf

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