Antoine TZAPOFF L’imposture de l’art contemporain Interviewé par Dominique Lebl
Antoine TZAPOFF L’imposture de l’art contemporain Interviewé par Dominique Lebleux1 2004-2005 1 Sociologue, École des hautes études en sciences sociales Présentation Ce texte, véritable plaidoyer contre l’art contemporain est issu de l’exaspération d’un peintre figuratif, spécialiste des Indiens d’Amérique du Nord et d’une sociologue, de subir dans le quotidien la domination de l’art contemporain. Une domination qui s’exerce sur tous les plans : économique (marché, galeries, institutions, musées), idéologique (discours des critiques, des médias), social (productions d’évènements, manifestations en tous genres). Cette domination de l’art contemporain vise à liquider le capital accumulé pendant des siècles par les artistes : culture, savoir-faire, esthétique, spiritualité, idéalisme. Aujourd’hui, les artistes figuratifs sont ignorés à tel point qu’on a l’impression que l’art classique n’existe plus de nos jours. Il a été remplacé par des œuvres consacrées par l’infantilisme, le déni du savoir- faire, la provocation, le sadisme… Antoine Tzapoff montre au cours de cet entretien, que cette domination n’est pas due au hasard : elle est le produit d’une idéologie qui ignore les références culturelles les plus basiques et est alliée à un marché capitaliste basé sur la promotion-spéculation d’un petit nombre d’élus qui doivent faire allégeance à ceux qui les promeuvent. Certains tableaux d’Antoine Tzapoff sont visibles sur les sites internet suivants : Galerie Matthiew Chase (USA) : http://www.pueblopottery.com/tzap~1.htm EXTRAITS DE L’ENTRETIEN 1. Art figuratif et art abstrait Comment expliquez vous que l’art moderne se soit défini comme une rupture par rapport à l’art traditionnel ? Parce qu’il y a eu une rupture idéologique. Au début cette rupture a été douce. Il y a eu l’impressionnisme, représentant essentiellement des paysages, ou quelquefois des portraits de jeunes filles. L’impressionnisme était une rupture théorique, idéologique, mais qui n’était pas encore perçue comme telle parce que ses sujets étaient encore ceux de la peinture traditionnelle. Pendant la guerre de 14, il y a eu le dadaïsme. Le dadaïsme consistait en des blagues de potaches : fer à repasser avec des clous, siège de toilette, tous présentés comme des objets d’art. La guerre de 14-18, la plus grande horreur peut-être que la France ait connu a permis la promotion de l’art moderne. Il y avait une jeunesse urbanisée, issue de milieux favorisés qui entrait en rébellion avec le monde. Cela a donné naissance à des mouvements qui se voulaient loufoques au début, anti-intellectuels, comme le dadaïsme. Puis peu à peu une frange de cette jeunesse s’est appuyée sur des idées révolutionnaires marxisantes. Cette idéologie s’est ensuite servie de ces mouvements, lui a donné quasiment des lettres de noblesse, comme si c’était un mouvement réfléchi, idéologiquement construit. Ces mouvements voulaient s’attaquer à la « culture bourgeoise », considérant que le monde bourgeois était responsable de cette guerre, de toutes les injustices de la société. Il fallait créer un monde nouveau, et donc pour le créer il fallait détruire ce monde bourgeois jusqu’à son sens du beau, de sa culture, de son esthétique. Ainsi ont été promus ces mouvements qui sont à la base de l’art moderne et contemporain. Du point de vue idéologique, les premiers promoteurs des idées marxistes comme Trotsky-Bronstein, du fait de leurs ambitions universalistes, se déterminaient, dans le sens du mondialisme, pour un art commun à toute l’humanité. Pour trouver un art commun à toute l’humanité, à force de réfléchir ils ont abouti à ce qu’il y avait de plus minimal, à ce qui ne nécessite aucun savoir-faire, puisque chaque savoir-faire est ancré dans une culture spécifique. Alors ils ont abouti en peinture au constructivisme, au suprématisme, jusqu’à en arriver aux toiles monochromes. Même Mondrian qui a été le premier à peindre une toile monochrome, dans les années 1920 je crois, avait abouti à ce constat, que l’art moderne conduisait à la négation de l’art. Mais comme la définition artistique n’était pas aux mains des artistes, mais dans celles d’idéologues politiques, utilisant l’art comme un moyen, l’art moderne fut promu principalement par ces idées révolutionnaires, trotskystes. Lorsque Staline a pris le pouvoir, il a radicalement changé le courant artistique. Il a abandonné l’idée d’internationalisation du communisme pour se concentrer sur le nationalisme russe, plus en continuité avec la politique tsariste. À partir du moment où il s’est éloigné du courant internationaliste, il a exalté, comme en témoignent les films d’Eisenstein, la spécificité de l’identité russe, quelles que soient les classes sociales, telle l’union sacrée du prince et du peuple. Il avait besoin de communiquer avec le peuple, donc d’abandonner cette définition artistique moderne pour développer un art figuratif, réaliste, qu’on a qualifié de « réalisme socialiste » qui était le seul à pouvoir magnifier toutes sortes de valeurs, d’idées, de divertissements, de sens du beau à une population occidentale, en l’occurrence les Russes. Le choix de Staline montre à l’évidence que l’art réaliste est vraiment l’art qui colle le plus au peuple occidental. Le réalisme socialiste – soviétique, chimois - présente souvent les classes populaires sous un aspect effectivement magnifié, idéalisé, épique… Avant la 2è Guerre mondiale, Staline a cherché à renforcer le nationalisme, seul moyen de souder la Russie. L’internationalisme était une utopie, les Russes étant beaucoup plus enclins à se battre pour leur terre, leurs valeurs traditionnelles. Staline a donc soutenu une forme d’art convenant à son peuple, comme je le disais, afin de mieux communiquer avec lui. On pourrait critiquer l’orientation trop omniprésente de la valorisation du travail, et encore, à peine, parce que c’était l’esprit du temps… Le souci essentiel des peintres de l’époque était de représenter le quotidien, le travail. Le travail était embelli, qu’il soit présenté dans le cadre des champs ou des usines, il était non pas montré sous un jour à la Zola, mais plutôt radieux et plein d’espérance. Si les sujets étaient un peu limités, malgré tout, la fonction de l’art était positive, avait une fonction essentielle d’aider à vivre à la fois l’individu et la communauté… Pourquoi ce courant d’art a-t-il été méprisé ? Je crois que les soi-disant intellectuels « marxisants » étaient gênés, que la Russie ait adopté un art figuratif. Certains, ne voulant pas rompre avec le grand frère, ont tiré le voile sur les changements idéologiques de Staline : son renforcement du nationalisme, la création du Biboridjan – premier État juif – en 1928, si ma mémoire est bonne. L’intelligentsia a refusé de voir cette évolution stalinienne, préférant malgré les dissensions s’accrocher au grand modèle de la révolution internationale. Ils ont essayé de trouver un moyen terme, comme, par exemple, Diego Rivera qui se positionnait entre le réalisme socialiste et un art plus contemporain. Ils sont revenus à une figuration, mais une figuration très stylisée, empreinte de cubisme, même d’infantilisme. Ils avaient réussi à en faire une soupe, en mêlant ces ingrédients qui ne vont pas ensemble. Les peintres mexicains tels que Rivera, Orosco, Siqueros sont très représentatifs de ce courant. Un art contemporain mêlé à une figuration donne un résultat empreint de tachisme, de cubisme et d’infantilisme qui n’aboutit qualitativement à presque rien, sinon un compromis Aujourd’hui le marché de l’art contemporain a pris des proportions considérables … Un marché, oui, un véritable marché promu par la gauche à vocation universaliste, et ce qu’on appelait la droite. Dans la droite, bien qu’il y eût encore des valeurs nationales, il y avait aussi un courant libéral, économiste, à vocation mondialiste, traversée par la fascination d’une économie libérale, la conquête de marchés, elle était donc amenée obligatoirement à développer cette vocation mondialiste. Pour la droite, l’économie de marché étant primordiale, l’art est devenu un moyen de spéculation. Avant il était un moyen de pouvoir, comme aux temps des papes, et des rois. En Hollande, à l’époque de Veermer, de Rembrandt, il est devenu un symbole de puissance financière, correspondant à l’émergence du pouvoir de la bourgeoisie. L’art était devenu un moyen d’argent dans la mesure où la bourgeoisie a commencé à acquérir un pouvoir, surtout au 17è siècle. Ensuite, l’aspect spéculatif s’est accentué. On peut dire que le premier pouvoir des galeries sur les peintres s’est affermi au tout début du 20è siècle, imposant le règne de la spéculation. En outre, il y eut une pression idéologique qui a imposé petit à petit cette forme d’art comme la seule légitime, rejetant l’art figuratif comme étant une valeur du passé. J’ai un ami qui me disait changement = progrès. Alors que non, le progrès est un changement, mais le changement n’est pas nécessairement un progrès. Et c’est sur cette confusion que l’art contemporain a réussi à trouver un écho, surtout dans les classes bourgeoises. Le discours faisant la promotion de l’art contemporain s’adressait à la bourgeoisie puisque c’est elle qui possède la puissance de l’argent donc qui peut en être le principal client. Le discours qui lui est adressé est nébuleux, fumeux. C’est un discours creux, complètement subjectif. Pourquoi la bourgeoisie autrefois porteuse de valeurs culturelles traditionnelles fait-elle à présent la promotion de l’art moderne ? J’imagine qu’au tout début du 20è siècle, les courants révolutionnaires étaient souvent marxisants, ils pouvaient représenter un danger pour le pouvoir de la bourgeoisie, d’où son conservatisme. uploads/s3/ doc215-tzf.pdf
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- Publié le Mar 26, 2021
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