Jean-Pierre Boutinet PSYCHOLOGIE DES CONDUITES À PROJET Septième édition mise à
Jean-Pierre Boutinet PSYCHOLOGIE DES CONDUITES À PROJET Septième édition mise à jour 23e mille À lire également en Que sais-je ? COLLECTION FONDÉE PAR PAUL ANGOULVENT Guy Karnas, Psychologie du travail, no 1722. Dominique Méda, Le Travail, no 2614. Jean-Pierre Boutinet, Psychologie de la vie adulte, no 2966. Jean-Jacques Néré, Le Management de projet, no 3059. Gérald Gaglio, Sociologie de l’innovation, no 3921. ISBN 978-2-7154-0638-4 ISSN 0768-0066 Dépôt légal – 1re édition : 1993 7e édition mise à jour : 2021, mars © Presses Universitaires de France / Humensis, 2021 170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris INTRODUCTION Dessine-moi un projet Dans notre vie quotidienne, nous sommes continuel- lement interpellés dans nos intentions et pressés par notre environnement social d’avoir à les expliciter et à les jus- tifier. Mais nous nous laissons surprendre par la sponta- néité et la naïveté de nos réactions, à l’instar de l’hôte du Petit Prince qui dans son désert lui demandait : « S’il vous plaît, dessine-moi un mouton. » Cet hôte a beau répondre qu’il ne sait pas dessiner, le Petit Prince per- siste : « Ça ne fait rien, dessine-moi un mouton. » L’hôte s’essaie alors à faire l’un des seuls dessins dont il se sen- tait capable, un boa, lequel rappelle son premier dessin d’enfant 1 ! I. – Entre mouton et boa Dans des contextes culturels autres, nous pouvions nous contenter pour agir de l’opacité de nos désirs ; ces derniers dans la brume qu’ils dégageaient suffisaient à nous orien- ter ; nous n’avions pas à répondre alors à l’injonction de devoir dessiner un mouton ; ainsi, ces désirs n’en restaient bien souvent qu’à l’état insolite de desseins. De tels désirs flous et inconstants continuent de nous accaparer, qu’il s’agisse d’une demande de subvention, d’une reconversion professionnelle sollicitée, d’une can- didature pour une nouvelle responsabilité, mais ils deviennent insuffisants pour pouvoir évoluer dans une société technicienne qui a fait du design l’un de ses 1. Cf. Le Petit Prince de A. de Saint-Exupéry, 1943, I et II. 3 emblèmes privilégiés. Cette société pose en permanence à tout interlocuteur cette exigence de principe d’avoir à témoigner dans ses entreprises d’un niveau affirmé de conscientisation ; ainsi, à travers la demande d’aide excep- tionnelle déposée sur le bureau d’une administration, à travers la mutation professionnelle sollicitée auprès d’un employeur, à travers la responsabilité convoitée soumise à l’assentiment d’un collège d’électeurs, revient sans cesse le même refrain, anodin pour certains, plaisant pour quelques autres, mais handicapant pour bon nombre : « S’il vous plaît, dessine-moi un projet. » Alors, contraints d’esquisser plus ou moins maladroitement un mouton, nous griffonnons quelque chose qui ressemble à un boa. Le cas échéant, perdant patience et faute de pouvoir pro- filer le mouton à travers le boa, nous traçons en dernière tentative comme le fit l’hôte du Petit Prince le contour d’une caisse en indiquant que ce mouton se trouve à l’in- térieur : mouton caché, projet occulté… II. – La conduite, un terme devenu désuet à réhabiliter Dessiner une quelconque figure apte à matérialiser mes intentions, c’est toujours projeter, jeter devant moi. Or, cette forme de projet quémandée dans la mise en demeure « Dessine-moi un projet », munie de l’article indéfini asso- cié au terme « projet », renvoie-t-elle finalement à mon propre projet ? Se laisse-t-elle réduire au contraire à la sollicitation de l’interlocuteur qui me presse de lui remettre un passeport pour circuler dans le nouvel espace social de notre culture postmoderne ? Toujours est-il que ce dessin nous ramène de façon équivoque à un double comporte- ment intentionnel, le comportement de celui qui sollicite le dessin, le comportement de celui qui le réalise. Mais parler de comportement intentionnel pour qui se trouve aux prises avec le dessin, c’est réhabiliter un vieux terme 4 à perspective finalisante trop vite tombé en désuétude, la conduite ; c’est sur celle-ci qu’au début du siècle écoulé P. Janet avait pourtant bâti sa psychologie alors que dans le même temps H. Piéron lui avait préféré le détermina- tif voué à une plus grande postérité de comportement. Ainsi, l’époque mécanistique que nous avons traversée durant près d’un siècle a encouragé les psychologues à privilégier le concept fonctionnaliste de comportement par rapport à une approche plus dynamique par les conduites. Or, le projet que je suis appelé aujourd’hui à dessiner concerne un comportement bien particulier que nous pourrions définir comme étant un comportement orienté intentionnellement vers un but soit, dit en d’autres termes et plus simplement, une conduite. À travers cette vogue des comportements intentionnels tels qu’ils s’expriment au sein des projets se trouve donc de facto réhabilitée la référence au terme de « conduite » ; une telle réhabilitation permet une rupture plus affirmée entre la psychologie fonctionnelle, animale ou humaine, liée au comportement et la psychologie intentionnelle typiquement humaine ; cette dernière entend au-delà des comportements dont elle reste en partie tributaire travail- ler sur les conduites, toutes ces réalisations orientées par les soins de l’acteur concerné. C’est d’ailleurs pour marquer le caractère orienté du projet que nous préférons recourir ici à l’expression « conduite à projet » plutôt que « conduite de projet ». III. – Le dessin dans sa double signification Face à la généralisation actuelle des conduites à projet se pose à nous la question d’en comprendre la signification et la portée ; le projet caractérise cette conduite éminem- ment personnelle par laquelle je concrétise ma pensée, mes intentions à travers un dessin approprié ; c’est en même temps cette conduite éminemment relationnelle 5 qui me fait communiquer à autrui mes intentions pour le laisser juge de leur contenu. Tout projet à l’instar de n’im- porte quel dessin accomplit donc deux fonctions : il maté- rialise une pensée intentionnelle, ce qui donne l’occasion à l’auteur de mieux savoir ce qu’il veut ; il communique cette pensée, ce qui permet à autrui de ne pas rester indif- férent face à l’intention qui lui est présentée. Mais, à propos d’une telle conduite intentionnelle, ces dessins qui me sont commandés ont-ils la même por- tée que ceux que je peux faire spontanément dans l’ins- piration de ma créativité ? CHAPITRE PREMIER Historique d’une préoccupation Les nombreuses acceptions du projet que nous obser- vons dans la grande variété des dess(e)ins pourraient fina- lement se laisser réduire à un seul terme, celui banal mais lancinant de préoccupation 1 : préoccupation par laquelle l’acteur s’interroge sur ses conditions d’existence et cherche à mieux maîtriser pour lui le temps à venir comme à mieux aménager son espace de vie. Cette préoccupation a trait à l’effort perpétuellement recommencé par les indi- vidus et les institutions pour échapper à la fatalité en conférant un sens à leurs entreprises. I. – Le volontarisme du projet L’attention portée au projet est devenue de plus en plus prégnante ces dernières décennies, exprimant en cela une sorte de volontarisme soucieux de tout maîtriser, de tout orienter ou réorienter. De ce point de vue, les deux siècles qui viennent de s’écouler sont marqués dans l’évo- lution des idées par la coexistence de deux philosophies parallèles qui se rejoignent rarement et qui vont engendrer deux psychologies bien contrastées : – une philosophie de la connaissance ; cette dernière trouve l’une de ses origines modernes chez Descartes et se 1. Ce terme de préoccupation peut renvoyer au terme allemand de Sorge (sou- vent traduit en français par souci), terme à l’aide duquel M. Heidegger appré- hende la condition existentielle permettant à l’être de demeurer en permanence en projet et de ne pas tomber dans la facticité. Cf. son travail L’Être et le Temps (1927), tr. fr. R. Boehm et A. De Waelhens, Paris, Gallimard, 1964. 7 structure, mais profondément réaménagée, avec Kant ; elle va en partie se métamorphoser ces dernières décen- nies en psychologie cognitive avec les travaux d’épis- témologie génétique de J. Piaget, les apports de la théorie de l’information, le développement enfin des sciences cognitives sous l’impulsion tant des neuros- ciences que de la modélisation des systèmes artificiels ; – une philosophie de la volonté et de l’action ; nous pourrions identifier les sources de celle-ci chez un contemporain de Descartes, Hobbes, avec sa théo- rie du pouvoir. Cette philosophie passe assurément par Kant qui accorde toutefois moins de place à sa philosophie pratique qu’à sa philosophie de la connaissance. Elle va prendre le devant de la scène avec l’idéalisme allemand, à travers principalement J.-G. Fichte, F.-W. Schelling et dans une moindre mesure Hegel, puis K. Marx. On la trouve très pré- sente et dominante chez Schopenhauer à travers son ouvrage principal qui inverse les propositions kan- tiennes du siècle précédent en traitant du monde d’abord comme volonté, puis comme représentation. Cette philosophie de la volonté va revêtir une nou- velle expression chez F. Nietzsche et devenir pour une part d’elle-même une psychologie de l’intention et de la motivation grâce aux apports de la phé- noménologie, pour une autre part d’elle-même une sociologie de l’action aux expressions très composites. Les références qui constituent une psychosociologie du projet tout uploads/s3/ psychologie-des-conduites-a-projet-2021.pdf
Documents similaires










-
60
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 22, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 12.5730MB