Tracés. Revue de Sciences humaines Numéro 18 (2010) Improviser. De l'art à l'ac
Tracés. Revue de Sciences humaines Numéro 18 (2010) Improviser. De l'art à l'action ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Carl Dahlhaus Qu’est-ce que l’improvisation musicale ? ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Carl Dahlhaus, « Qu’est-ce que l’improvisation musicale ? », Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], 18 | 2010, mis en ligne le 01 mai 2012. URL : http://traces.revues.org/index4597.html DOI : en cours d'attribution Éditeur : ENS Éditions http://traces.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne à l'adresse suivante : http://traces.revues.org/index4597.html Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Cet article a été téléchargé sur le portail Cairn (http://www.cairn.info). Distribution électronique Cairn pour ENS Éditions et pour Revues.org (Centre pour l'édition électronique ouverte) © ENS Éditions Tracés 18 2010/1 pages 181-196 Qu’est-ce que l’improvisation musicale ? Carl Dahlhaus Traduit de l’allemand par Marion Siéfert et Lucille Lisack. Présenté par Talia Bachir-Loopuyt et Clément Canonne. Carl Dahlhaus (1928-1989) est l’une des figures les plus importantes de la musicologie européenne d’après-guerre1. Ses écrits portent sur un nombre considérable de sujets (des origines de la tonalité à la musique d’avant-garde des années 1960-1970 en passant par Wagner, Schönberg ou l’idée de « musique absolue ») et se caractérisent par un savant équilibre entre l’érudition historienne, la technicité des analyses musicales et une rigueur conceptuelle peu commune en musicologie, sans doute héritée de sa fréquentation assidue de l’œuvre d’Adorno. C’est à ce côté volontiers philosophique qu’on reconnaît le style musi- cologique de Dahlhaus. On en aura une illustration avec ce texte de 1979 – publié ici pour la première fois en français – qui s’attaque à un problème de définition conceptuelle. Ce texte n’est pas le premier que Dahlhaus consacre à la question de l’improvisa- tion. Quelques remarques parsèment des textes antérieurs2, qui trouvent une première synthèse dans un article de 1972 intitulé « Composition et improvisation » (Dahlhaus, 2004b). Le problème de l’improvisation y est abordé non à partir d’une opposition notionnelle a priori avec le concept de composition, mais dans le contexte de crise qui entoure la composition musicale savante des années 1960 et de la « tendance à l’improvi- sation » (ibid., p. 192) qui gagne alors la scène de la musique dite contemporaine. Le texte « Was heisst Improvisation ? » revient sur certaines de ces problématiques, mais la tonalité d’ensemble est différente : moins polémique (la question de l’improvi- sation n’est plus autant d’actualité à la fin des années 1970) et visant d’abord un objectif de clarification. Dans cette optique, Dahlhaus part de l’usage quotidien des termes de composition et d’improvisation, dont il souligne les limites en les confrontant à divers exemples puisés dans un large spectre de pratiques musicales (médiévales, contempo- raines, extra-européennes). Il montre de cette manière l’insuffisance d’une « division rigide » de la musique en deux catégories étanches et souligne la nécessité de considérer la composition et l’improvisation comme les deux pôles d’une « gamme de possibilités sur laquelle il n’y a pour ainsi dire rien sinon des transitions ». Sans chercher à résoudre les 1 Ce texte est la traduction de Carl Dahlhaus, « Was heisst Improvisation ? », Improvisation und neue Musik, R. Brinkmann éd., Mayence, Schott Musik, 1979, p. 9-23. Nous le traduisons avec l’aimable autorisation de Schott Musik GmbH & Co (Mayence). 2 Voir « La notation aujourd’hui », « Forme », « La désagrégation du concept d’œuvre musicale » et « Ehrard Karkoschka et la dialectique de la forme musicale », publiés dans Dahlhaus (2004a). Carl Dahlhaus 182 contradictions qui entourent ces notions, Dahlhaus se livre ici à une expérience de pensée qui procède par allers-retours entre les cas et les concepts, les considérations historiques et systématiques3. Cette exploration de divers domaines de l’improvisation musicale se double d’un retour réflexif sur des concepts centraux, et non moins problématiques, de l’esthétique occidentale moderne tels que la « spontanéité » ou l’« originalité ». Talia Bachir-Loopuyt et Clément Canonne I Tel qu’il est en usage, employé sans que l’on y réfléchisse, le concept d’im- provisation est un concept éculé. Il pâtit d’être une catégorie définie de façon essentiellement négative par opposition au concept de composition. C’est un terme générique qui rassemble des phénomènes musicaux que l’on ne veut pas, pour une raison ou pour une autre, appeler « composi- tion » et dont on se débarrasse en leur appliquant un concept opposé, sans se soucier de savoir si ces phénomènes sont liés entre eux par des caracté- ristiques communes. À vrai dire, dès que l’on prend la peine d’y réfléchir, il devient difficile, voire impossible de justifier logiquement et de façon objec- tive une nomenclature qui englobe aussi bien l’organum4 du ixe siècle que le free jazz, ou encore un raga5 qui fait l’objet d’une élaboration soigneuse et minutieuse même s’il n’est pas consigné par écrit. En conséquence, une exploration terminologique du concept d’improvisation ne peut consister qu’en une tentative, fût-elle vaine, de clarifier l’usage de ce mot, un usage dont la structure logique est devenue bancale et confuse. C’est en procédant ainsi qu’il nous sera possible de le modifier et de le corriger. Le recours à l’étymologie, qui apparaît souvent comme le moyen de se sortir du labyrinthe conceptuel dans lequel l’histoire s’est parfois fourvoyée, n’est certes pas superflu lorsqu’on s’intéresse aux expressions ex improviso, ex tempore et « au pied levé ». Son utilité reste cependant étroitement limitée. Qu’un musicien commence à improviser sans avoir prévu l’ensemble avec précision (ex improviso), dans l’instant même (ex tempore), et en même temps 3 La systématique et l’histoire de la musique constituent les deux branches de la discipline musi- cologique telle qu’elle s’est constituée dans l’espace germanophone depuis les écrits fondateurs de Guido Adler (1855-1941). 4 N.d.l.r. Forme primitive de polyphonie apparue en Occident au ixe siècle, qui consistait à enrichir le plain-chant par l’adjonction d’une seconde voix strictement parallèle à la première (avec un intervalle constant d’octave, de quinte ou de quarte). 5 N.d.l.r. Le raga (du sanskrit « couleur », « attirance ») désigne, au-delà d’une échelle de sons, un mode d’organisation de la mélodie (descendante ou ascendante, organisée autour de certains degrés pivots, etc.), rattaché à un ethos et à un moment du jour privilégié. Sur ce sujet voir Auboux (2003). Qu’est-ce que l’improvisation musicale ? 183 à l’improviste, en moins de temps qu’il n’en faut pour mettre pied à terre (« au pied levé »6), que donc l’improvisation devienne le contraire de l’élabo- ration signifie simplement que c’est le geste de la spontanéité, de la produc- tion irréfléchie (ou irréfléchie en apparence) qui séduit dans l’improvisation, par opposition au travail pénible, laborieux qui laisse sa trace dans l’objet créé – même si, depuis la Renaissance, l’esthétique veut que ce travail soit effacé, comme si la composition tendait en secret à porter le masque de l’im- provisation, autrement dit à simuler le retour à un stade de développement auquel elle s’était préalablement arrachée avec un effort qui ne provoqua rien de moins que l’histoire de la musique européenne dans sa spécificité. Il serait cependant discutable de comprendre la spontanéité – ou bien son apparence esthétique, puisque c’est ce qui importe finalement – comme le principal critère de définition parce que l’originalité et la nouveauté, qui sont liées au concept de spontanéité dans l’esthétique du xixe et du xxe siècle, entrent en contradiction avec des caractéristiques propres à quelques pratiques qui se laissent difficilement exclure du concept d’improvisation : par exemple, le recours à des modèles ou l’utilisation de formules. Cela prê- terait en tout cas à confusion, ou du moins, ce serait une formulation décon- certante, de prétendre d’une part qu’une improvisation n’est rien d’autre qu’un assemblage de formules et d’autre part qu’elle est ressentie comme spontanée – quand bien même cela décrit parfaitement la réalité. II Pour qui entreprend de dépasser l’opposition commune entre le concept d’improvisation et le concept de composition, ou du moins de faire appa- raître la limite où un contraste signifiant se mue en une opposition trom- peuse, il convient dans un premier temps d’examiner les usages du vocabu- laire. Car c’est justement dans l’emploi quotidien – et tout à fait raisonnable – de cette nomenclature qu’apparaissent les problèmes les plus ardus : dès que l’on y réfléchit, que l’on se coupe pour ainsi dire la parole à soi-même, on ne se uploads/s3/ qu-x27-est-ce-que-l-x27-improvisation-musicale.pdf
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- Publié le Aoû 30, 2022
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