p. 9 p. 8 Now When Then Le titre de l’exposition nantaise1 d’Agnès Thurnauer, l

p. 9 p. 8 Now When Then Le titre de l’exposition nantaise1 d’Agnès Thurnauer, l’hiver dernier, offre le relais idéal à l’écriture de cet article sur la performance abordée plus du point de vue de son actualité et de sa visibilité régionales que d’un point de vue historique (qui aurait bien sûr justifié le signalement d’œuvres avant-gardistes incontournables puisées du côté de Dada, du Futurisme, du Situationnisme, de l’art participatif ou tout simplement du côté de Fluxus, au sujet desquels on trouvera facilement matière à lire en dehors de ces colonnes). Ce détour par la pratique d’une artiste reconnue pour son travail pictural et sculptural place naturellement la performance dans sa dimension historique (celle de l’art et de son histoire) et temporelle (découlant de la forme éphémère inventée). À l’instar d’autres artistes de sa génération qui ne pratiquent pas la performance comme une fin en soi, Agnès Thurnauer (née en 1962) a souvent exprimé son intérêt pour les pratiques corpo­ relles, gestuelles et vivantes. Voici ce qu’elle répondit sur le sujet au critique d’art Jérôme Sans en 2003 à l’occasion de son exposition Les Circonstances ne sont pas atténuantes au palais de Tokyo : « Je m’intéresse à la performance et à la danse contemporaine. […] La performance est une façon de dire et de tracer en même temps. C’est une parole qui prend lieu dans un espace et dans un temps donnés en montrant le cours de son élabo­ ration : dans le tableau […] c’est cette trace, cette “parcourabilité” qui m’intéresse 2. » Les peintures all over et le geste pictural de Jackson Pollock, dont les images d’Hans Namuth ont constitué pour la génération émergente des artistes des années 1960 et 1970 jusqu’à aujourd’hui les bases d’une préhistoire de la performance, sont bien évidemment référencées par Jérôme Sans et Agnès Thurnauer. Jackson Pollock – avec, à travers lui, le « triomphe de l’art américain » qu’il incarne – reste dans l’histoire de l’art contempo­ rain un des passeurs fondamentaux vers une création « hors limites3 ». En double page et dans la continuité de leur dialogue, une photographie illustrant une autre légende de cette odyssée de la performance artistique, européenne cette fois, renvoie Agnès Thurnauer à I Like America and America Likes Me (1974)4 de l’artiste allemand Joseph Beuys. Illustre retour d’ascenseur à la puissance hégémonique de l’art américain, cette action, exécutée à New York, débuta par un transport de Joseph Beuys en ambulance puis en avion jusqu’au lieu d’exécution de ladite performance. L’artiste passa trois jours enfermé dans la galerie René Block en compagnie d’un coyote, équipé d’une couverture en feutre et jouant avec une canne de berger. Cette action, pour reprendre les mots d’Alain Borer, est « avant tout une démonstration de maîtrise. La rencontre de Beuys avec L’instant de la performance artistique __ Sylvie Mokhtari ___ Aux sources de l’acte. Le futur antérieur de la performance face à ses modes d’existence, de diffusion et de conservation. ___ ___ 1. Agnès Thurnauer : Now When Then – de Tintoret à Tuymans, Nantes, chapelle de l’Oratoire. Cette exposition confrontait des peintures et sculptures récentes de l’artiste à des œuvres de la collection du musée des Beaux-Arts, sous le double commissariat de Blandine Chavanne et Catherine Grenier. ___ 2. Sans, Jérôme, « Apprendre à voir est désapprendre à reconnaître », dans Agnès Thurnauer : Les Circonstances ne sont pas atténuantes (10 janvier-28 février 2003), Paris, Palais de Tokyo, p. 52. ___ 3. Voir le catalogue des expositions Out of Actions: Between Performance and the Object, 1949-1979 (sous la dir. de Paul Schimmel), Londres, Thames & Hudson, 1998 et Hors limites : l’art et la vie 1952- 1994, Paris, Centre Pompidou, 1994. ___ 4. Voir p. 60-61. Agnès Thurnauer, extraits du catalogue Agnès Thurnauer : Les Circonstances ne sont pas atténuantes, Paris, palais de Tokyo, 2003, n.p. p. 11 p. 10 ___ 303 / Dossier Performance / L’instant de la performance artistique / Sylvie Mokhtari le coyote – leur échange de territoires, ce partage de paille et de feutre – ouvre la voie : éclaireur, conducteur comme certains de ses matériaux de prédilection, Beuys dit à la fois je précède et suivez-moi. Le berger emmène les disciples en un lieu qu’il est seul à connaître – promesse d’un état supérieur ; il est homme à la recherche d’un chemin, un chemin qui soit plus large que lui : il ouvre le passage5. » Jackson Pollock et Joseph Beuys : avec eux, un récit du grand livre de l’histoire de l’art tourne ses pages. Au début et à la fin de son catalogue, Agnès Thurnauer dévoile quelques vues de son espace de travail (bureau et atelier) et de documents punaisés aux murs : un programme du théâtre de la Ville accueillant une création récente du chorégraphe et danseur Boris Charmatz ; à ses côtés un portrait de Meret Oppenheim et la reproduction d’une peinture d’Édouard Manet ; plus loin, une photographie de Valie Export se référant à Genital Panik (1969) jouxte L’Origine du monde de Gustave Courbet et un portrait de Regina Advento dans Nur du de Pina Bausch (1997). Nous savons gré à Agnès Thurnauer de nous inviter à un autre récit, plus fluctuant celui-là, le récit de l’actualité, du présent et d’une création en recherche, œuvrant au-delà des strictes frontières disciplinaires et tempo­ relles, laissant également aux femmes un espace d’expression. Agnès Thurnauer le signifiera quatre ans après Les Circonstances ne sont pas atténuantes en produisant au CCC de Tours ses Portraits grandeur nature parmi lesquels nous citerons, non sans délice, « Jacqueline Pollock » et « Joséphine Beuys »6. Mascarade à part, l’art dans son histoire a, comme chacun le sait, longtemps effacé le nom des femmes. La performance, a contrario, enrichit le paysage artistique en leur laissant plus de place. « Alors que le corps devient l’un des matériaux privilégiés de cette expression artistique, confirment les historiennes de l’art Nathalie Boulouch et Elvan Zabunyan à propos de la performance, la primauté du regard et l’intégrité du sujet sont interrogées grâce aux travaux où les femmes, pour la première fois, détournent le regard masculin et assoient leur autonomie physique, sexuelle, intellectuelle7. » Tenus dans la continuité de journées d’étude sur la performance organisées à l’université Rennes 2 en 2005, ces propos étaient aussi l’occasion de souligner comment les artistes femmes ont su exploiter la photographie, la vidéo et / ou le cinéma pour « s’affirmer comme “auteures” plutôt que comme “objets” d’une création artistique 8 ». Yoko Ono, Yayoï Kusama, Ana Mendieta, Gina Pane, Joan Jonas, Adrian Piper, Martha Rosler, Carole Schneemann, Valie Export, Hannah Wilke, Esther Ferrer, Eleanor Antin ou encore Orlan sont quelques-unes de ces artistes femmes qui ont joué un rôle constructeur et contribué à la revendica­ tion sexuelle, artistique, politique et sociale. Conserver la performance La collection du Frac des Pays de la Loire réunit plusieurs œuvres photographiques de ces artistes importantes, dont Body Sign Action (1970) et Konfiguration in Dünenlandschaft (1974) de Valie Export, First Lady (1967-1972) et Run-Away (1969- 1972) de Martha Rosler, ou encore MesuRage d’institution, Lyon, musée Saint-Pierre, 1979 d’Orlan qui, dans cette série désormais historique de cinq photographies en noir et blanc, accom­ pagnées d’un constat de la performance, utilise son corps comme unité de mesure. En France et sur le versant de l’Art corporel défendu par le critique d’art François Pluchart9, Gina Pane, aussi représentée dans la collection du Frac des Pays de la Loire (chargé de la conservation depuis 2002 des œuvres de la collection d’Anne Marchand, légataire universelle de l’artiste), fait avec Orlan partie de celles et ceux qui, dans le champ de la performance, ont utilisé leur corps comme « matériel d’art », pour reprendre le titre à la une du premier numéro d’arTitudes, revue créée en 1971 et espace éditorial incontournable sur le territoire hexagonal de la performance. Ben, Gina Pane, Michel Journiac, Dennis Oppenheim, Vito Acconci, Terry Fox et avant eux Piero Manzoni ou Yves Klein y sont placés au panthéon d’une épopée corporelle des années « attitudes », de la fin des années 1960 aux années 1980. ___ 5. Borer, Alain, « Déploration de Joseph Beuys », dans Joseph Beuys, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 1994, p. 22. ___ 6. Cette série de vingt Portraits grandeur nature d’Agnès Thurnauer a été produite à l’occasion des deux expositions de l’artiste à Tours et à Paris (galerie Anne de Villepoix) en 2007-2008. En parallèle à la production de ces sculptures murales empruntant le format du tableau, de petits badges ont été édités et diffusés dans toutes les boutiques de musées et lieux artistiques : « Alexandra Calder », « André Putman », « Annie Warhol », « Danielle Buren », « Jacqueline Lacan », « Jacqueline Pollock », « Jeanne Nouvel », « Marcelle Duchamp », « Raymonde Hains », « Roberte Mapplethorpe », « Andrée Cadere », « Francine Picabia », « Jeanne Prouvé », « Louis Bourgeois », « Miss Van der Rohe », « La Corbusier », « Romane Opalka uploads/s3/ r-27995-0129-f-15-euros.pdf

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