Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire A propos de quelques séquences symb
Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire A propos de quelques séquences symboliques de couleurs dans deux formes de spiritualité musulmanes Jean-François Clément Citer ce document / Cite this document : Clément Jean-François. A propos de quelques séquences symboliques de couleurs dans deux formes de spiritualité musulmanes. In: Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire, N°44, 2001. Le monde islamique et l’image. pp. 113-135; doi : https://doi.org/10.3406/horma.2001.1957 https://www.persee.fr/doc/horma_0984-2616_2001_num_44_1_1957 Fichier pdf généré le 05/02/2019 « On dit de la musique que c'est la jouissance de l'âme. Nos instruments parlent des mlûk. Ceux-ci ne changent-ils pas de couleur devant toi ? Ne les vois-tu pas mettre a chaque chant une robe de couleur nouvelle ? Oui ou non ? » Allai B., Gnâwî, Rabat, avril 1971 ' «Les jardins du monde spirituel (al-malakût) sont ornés par la fleur de Sa beauté et les bassins du monde de la toute-puissance (al-jabarût) débordent par le flux de Ses lumières. » 'Abd as-Salâm ibn Machîch On peut aborder le problème des couleurs de multiples façons. L'une d'entre elles est d'examiner l'une après l'autre les couleurs en elles-mêmes, dans leurs noms ou leur symbolique . Mais on pourrait aussi aborder le problème des couleurs en les analysant dans des ensembles . On peut alors instituer objet d'histoire les séquences de couleurs telles qu'elles apparaissent dans différentes cultures et chercher éventuellement des significations symboliques associées à un groupe ordonné de couleurs. Comment se présentent, pour les hommes d'une culture donnée, les passages d'une couleur à une autre par la médiation d'autres couleurs? Comment est reliée une séquence de couleurs à une éventuelle démarche spirituelle? Que signifie-t-elle, aux yeux de celui qui l'a produite, comme symbolisa- tion de la métamorphose de l'être ? Car aucune couleur n'a en soi et 4 universellement de sens . Le sens des couleurs est arbitraire comme tout élément culturel mais les séquences de couleurs ne sont sans doute pas arbitraires car elles se réfèrent, d'une part, à des gammes, harmoniques ou non, de couleurs ou de gris dont les rapports de tons peuvent être objectivement analysés et d'autre part à des ensembles dont le sens n'est plus entièrement libre une fois sélectionnés les sens affectés aux éléments. Des séquences de couleurs existent très fréquemment, aussi bien dans l'alchimie occidentale que dans la médecine ou la poésie arabe, tout particulièrement celle qui célèbre le vin, ou dans la peinture religieuse ou profane de divers ensembles culturels. On peut, en partant d'une couleur donnée, ou d'une non-couleur, aboutir, à des couleurs ultimes, par exemple, en Europe, l'azur ou l'or. Cette dernière couleur est, dans l'icône byzantine ou dans la peinture de Giotto, une a propos de quelques séquences symboliques de couleurs dans deux formes de spiritualité musulmanes Jean- François Clément 113 HORIZONS MAGHREBINS LE MONDE ISLAMIQUE ET L'IMAGE 44/2001 couleur symbolisant le sacré. Qu'en est-il de la constitution des séquences de couleurs dans l'alchimie et la mystique musulmane? Dans chacun des cheminements proposés par les alchimistes ou les maîtres spirituels, de quelle couleur part-on? À quelle couleur arrive-t-on? Quelles sont les couleurs médiatrices? Ces séquences correspondent- elles, dans une ou des symboliques, à une hiérarchie de degrés d'être? Ces symboliques sont-elles identiques dans l'ensemble de l'aire culturelle musulmane ou variables d'une aire à l'autre? Si elles varient géographiquement, sont-elles ensuite semblables pour plusieurs groupes spirituels et enfin sont-elles uniques à l'intérieur même d'un même groupe ou, à l'inverse, extrêmement variables dans le temps et dans l'espace, pour un même maître, d'un maître à l'autre dans un même groupe, d'un groupe à l'autre, etc. ? Bref, peut-on, oui ou non, parler d'une symbolique musulmane des séquences de couleurs ? Telle est la question préalable de la problématique relative au nouvel objet constitué et que je me suis posée un jour après un rituel d'une nuit entière à Essaouira. D'autres questions surgiront ensuite relatives aux logiques des classements qui sont plus intéressantes car liées à la production de l'identité. Quelles sont en particulier les sous- séquences, par exemple de nuances dans les séquences de couleur? Où se situent le noir, le blanc ou le gris, le clair ou le sombre? Les séquences comportent-elles des couleurs du spectre, des couleurs pures ou des couleurs mélangées, des gris bleutés, des mauves, des pers, etc.? Comment sont construites les sous-séquences? Quels liens ces séquences ont-elles dans un système général des séquences? Quels liens les couleurs entretiennent-elles avec le temps, sont- elles stables ou instables? Leur unité apparente cache-t-elle une dualité, voire une pluralité de couleurs ? Quel est le lien également entre les couleurs et la lumière ? Ensuite apparaîtra la question des systèmes symboliques et de la place des séquences de couleurs dans les procédures transférentielles qui font glisser d'une séquence à l'autre. Quelle est l'importance de la couleur par rapport aux autres symboliques? Pourquoi cet usage de l'œil et de sa vision et non de l'audition5? QUELQUES SÉQUENCES DE COULEUR DANS L'ALCHIMIE DE JÂBIR Chez un alchimiste comme Jâbir ibn Hayyân, la teinture fait partie des principes radicaux de l'É- lixir suprême avec l'Huile, la Terre et l'Eau. La teinture apparaît d'abord dans la Pierre puis dans les Élixirs créés, de manières différentes, en toujours moins de temps, à la limite sans attendre le moindre délai pour celui qui a été au terme de son parcours spirituel alchimique. On peut donc distinguer deux séquences, d'une part celle des changements successifs de couleurs de la Pierre et des Élixirs, c'est-à-dire des outils de décolorisation- recolorisation des métaux et d'autre part, celle des changements des corps modifiés qui changent non de formes ou d'accidents, mais peut-être de substances. Si c'est le cas, les deux outils de la transsubstantiation sont la Pierre et les Élixirs. Mais avant de changer éventuellement la substance, ils changent d'abord la forme et donc la couleur. Et pour changer la couleur, ils ont eux-mêmes changé de couleur pour acquérir le pouvoir de modifier ensuite les couleurs d'autres corps dont les métaux. Ce sont ces séquences qu'on peut commencer par décrire à partir d'un texte de Jâbir écrit, comme nous l'avons établi par ailleurs, en l'an 770. Nous commençons par ce texte car il est largement antérieur aux textes classiques de la mystique musulmane. Il semble tout d'abord, à la lecture du texte de Jâbir, que la Pierre passe toujours par les mêmes étapes colorées. Nous allons examiner cette première séquence. «Je dis : lorsque la Terre et le Feu sont 114 mélangés, abreuvés d'Huile et enfouis, la première couleur qu'ils prennent est le fauve, soit un rouge mêlé de blanc. Le couleur est pure et belle, et résulte de la première mixtion du Feu, qui est rouge, et de la terre, qui est blanche. Puis l'on poursuit le mélange, qui amène le composé à virer au rouge vif. La couleur s'inverse ensuite, et il verdit. Puis la viridité diminue et il devient jaune. Le jaune s'inverse ensuite en jaune safran, puis celui-ci fait place au rouge: voilà l'ensemble des couleurs de la Pierre qu'il est nécessaire de voir apparaître. Quant aux couleurs intermédiaires entre celles-ci: le rouge (initial) comprend dix tons intermédiaires, le jaune dix, le vert également, ainsi que la rubéfaction (finale). Si tu as la connaissance de ces couleurs, tu peux réussir l'opération que tu veux. Voici donc tout ce qui a trait aux couleurs. Entends-le et souviens-t-en par cœur si tu le veux bien ». Jâbir décrit ensuite, en parallèle à cette pétrification en six étapes, les six étapes de la rubéification, en réalité les moments de la formation des dix tons du rouge vif. «Sache que si tu prends une part de céru- se et projettes dessus le douzième d'une part de cinabre, en mélangeant cela intimement avec des œufs, il se rubéfiera. C'est le procédé des décorateurs et des peintres. Puis jette un dânaq de cinabre sur un dirham de céruse: il en résultera une couleur d'un rouge plus vif que la précédente. Et si, à la place de cinabre, tu jettes de la cire à cacheter solubilisée, la rubéfaction présentera un aspect plus brillant et noble. Les peintres en question n'ignorent pas cette façon d'agir ; si tu effectuais ce travail toi-même, (la réaction) t 'apparaîtrait clairement. Verse ensuite un dânaq et demi de cinabre sur un dirham de céruse : tu obtiendras un ton de rouge encore différent. Puis jette deux dânaq de cinabre sur un dirham de céruse. Augmente sans arrêt la proportion, qîrât après qîrât, en observant l'évolution de la couleur, jusqu'à ce que tu projettes un dirham sur un dirham; c'est le niveau ultime de la rubéifaction pour cette Pierre ». «J'ai détaillé cette manipulation qîrât après qîrât, parallèlement à l'apparition des couleurs de la Pierre au moment de sa Pétrification. Lorsque certaines de ces couleurs lui manquent, la Pierre devient pareille au cinabre. Prends-la, enfouis-la et observe: la rougeur se sera accentuée, elle sera devenue comme de la cire à cacheter mélangée au cinabre. La couleur se renforce encore, devenant comme de la noirceur mélangée au cinabre. Tu imaginerais alors qu'elle noircirait, uploads/s3/ a-propos-de-quelques-se-quences-symboliques-de-couleurs-dans-deux-formes-de-spiritualite-musulmanes-jean-franc-ois-cle-ment.pdf
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- Publié le Oct 03, 2022
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