On dit d'un homme qu'il est un génie lorsqu'il possède une virtuosité et une in

On dit d'un homme qu'il est un génie lorsqu'il possède une virtuosité et une inventivité exceptionnelles dans un domaine : on peut avoir le génie des affaires, être un stratège ou un scientifique génial etc. Toutefois comme le terme désigne à l'origine la divinité personnelle qui inspire les idées ou les initiatives originales il a souvent paru devoir qualifier les grands artistes : l'art est en effet le domaine où la virtuosité de l'exécution et l'originalité des oeuvres sont des critères déterminants. Cependant expliquer les oeuvres d'art par le génie de l'artiste revient à rapporter une activité humaine à un principe surnaturel, l'inspiration, les oeuvres d'art étant alors essentiellement distinctes des autres productions humaines issues de l'emploi des techniques. Cela revient aussi à diviniser la figure de l'artiste (le "divin Mozart") en jugeant que ses dons le mettent à part des autres hommes. Est-ce à bon droit? Existe-t-il véritablement une différence de nature entre les oeuvres d'art et les autres productions humaines? L'artiste se distingue-t-il des autres hommes par une spontanéité créatrice innée, signe de son élection? Ou bien devons-nous les oeuvres d'art comme les grands chef-d'oeuvre à l'acharnement et à la passion du travail artistique? I/ Quelles raisons avons-nous de penser qu'il faut du génie pour être un artiste? A/ Du point de vue de la production des oeuvres : qu'est-ce qui distingue les oeuvres d'art des autres productions humaines? Au sens actuel le terme art fait référence aux activités artistiques telles que la littérature, la musique, la sculpture, la danse, le théâtre, l'architecture, le cinéma... : les Beaux-arts; A l'origine il désignait tous les savoir-faire artisanaux sans établir de différence entre le peintre et le cordonnier: tous les deux possèdent un savoir-faire c’est-à-dire une façon de produire qui ne se réduit pas à la simple application de règles efficaces préalablement connues (cf. l'expression "c'est tout un art" qui sous- entend: on ne peut pas vraiment l'apprendre). L’art doit donc être distingué : a) de ce que fait spontanément la nature: même si la coquille d'un mollusque est belle, elle est le résultat de l'action inintentionnelle des processus naturels. b) de l’activité technique, qui consiste à produire en appliquant des règles dont on connaît au préalable l’efficacité, la capacité à produire à coup sûr l’effet voulu; une sandale de cuir est une production; elle résulte du travail humain en tant qu'activité volontaire et consciente qui met en oeuvre des savoirs-faire. C’est encore plus vrai de la technique moderne qui tend de plus en plus à appliquer des connaissances scientifiques. Les oeuvres d'art diffèrent ainsi des production techniques : Par leur mode de production : l’activité artistique ne se correspond pas à l’application de règles efficaces. On marque traditionnellement cette distinction par la différence entre les verbes créer et fabriquer.  Fabriquer c'est produire "dans les règles" en appliquant des savoirs-faire, des procédés efficaces. Un maçon par exemple sait comment procéder exactement pour construire l’escalier que l’architecte a dessiné. Et il pourra en réaliser autant qu’il le souhaite, puis corriger sa réalisation jusqu’à qu’elle soit la réalisation parfaite du modèle théorique qui la détermine.  Créer c’est, par définition, faire exister ce qui n’existait en aucune façon auparavant. Ce n’est donc pas seulement innover (modifier à la marge ce qui existait déjà). La notion de création rend donc compte du fait que celui qui crée découvre ce qu’il produit. Et ce qu’il produit n’est une création que si cela n’est pas définissable à l’avance, si c’est original. Par leur finalité, puisqu'elles n'ont pas l'utilité pour but. Elles produisent un plaisir esthétique qui ne relève pas du besoin; elles ne sont pas nécessaires à la production et au maintien de la vie biologique. A l'inverse l'activité technique a pour fin l'utilité et elle recherche avant tout l'efficacité de ses procédés ou de ses produits : peu importe la forme, la couleur et le matériau d’un ouvre-boîte pourvu qu'il soit efficace. En ce sens la technique, aussi élaboré soit-elle, demeure une stratégie vitale. Cependant il serait naïf de croire qu'on peut pratiquer un art sans posséder aucune connaissance ni maîtriser aucune technique. Un étudiant en sculpture apprend la différence entre les matériaux qu'il travaille, entre les outils qu’il utilise, il découvre leur adaptation aux divers matériaux; il apprend l'histoire de la sculpture, tire enseignement des techniques et procédés mis au point par ses devanciers. Cependant cela ne suffira pas à faire de lui un artiste, contrairement à l’apprenti qui au terme de son apprentissage sera devenu boulanger. Car il ne suffit pas d'apprendre les “règles de l'art”, de consulter et d'appliquer un “art poétique” pour créer des oeuvres d'art de valeur, c'est-à-dire digne d'être proposée à l'appréciation esthétique d'un public. Chacun peut apprendre la technique du dessin au fusain (les règles du contraste, les relations entre les masses et les volumes masses) ou à représenter une scène selon les règles de la perspective: il suffit de connaître les outils et les règles puis de s’exercer. Mais ce n'est en rien la garantie de produire à coup sûr, comme conséquence nécessaire de l'application des règles, une oeuvre susceptible de plaire. Il n'y aurait alors plus de différence entre art et technique, la création artistique pourrait faire l'objet d'un apprentissage efficace par chacun. Que penser alors de la notion d'art poétique? Un art poétique, comme celui de Boileau, prétend énoncer les règles selon lesquelles l'art doit se faire. Ces règles sont en fait des préceptes correspondant au goût d'une époque, à ses normes esthétiques. Comme elles sont conçues à partir de ce qui s'est déjà fait, elles ne permettent que d'imiter, non de créer. Il est vrai qu'à l'époque de Boileau, l'imitation des anciens (les classiques grecs et latins) est un idéal artistique. Cependant lorsqu’on applique à la lettre des règles et des recettes on fait une oeuvre académique, insipide, dénuée d’originalité, de goût. Suivant cette analyse posséder un art c’est donc posséder une aptitudes à produire intentionnellement un résultat (point commun avec la techniques) selon une manière de faire que tous ne possèdent pas et ne peuvent pas posséder (spécificité de l’activité artistique) et qui ne s'explique pas. C’est pourquoi Kant dit que “seul ce qu’on est incapable de faire immédiatement, alors même qu’on en possède totalement la science, mérite le nom d’art. ” L’expression “c’est tout un art”, souligne d'ailleurs que la réussite dans certains domaines ne peut pas être obtenue par la simple application de règles. B/ Du point de vue de la réception des œuvres : qu'est-ce qui peut conduire un amateur d'art à "crier au génie"? 1. L'exceptionnelle virtuosité d'une production ou d'une exécution. Toute oeuvre de l'art n'est pas une oeuvre d'art. Certes, à un certain niveau d'excellence, la distinction de l’artiste et de l’artisan tend à s'estomper, cependant on fera l'éloge d'un grand artisan en disant qu'il est “un véritable artiste”, ce qui est encore une façon de marquer la différence et la supériorité de l’artiste sur l’artisan. Ensuite tout individu pratiquant un art n'est pas dit un artiste. Nous tenons compte d'un jugement de valeur dans l’attribution du titre d’artiste. Ce serait donc l'aptitude à produire des oeuvres d'une grande valeur esthétiques, des oeuvres originales, qui donnerait une raison de refuser le titre d'artiste à celui qui possède parfaitement les règles d’un art sans produire d’œuvre marquante (le “petit maître”, l'élève du maître etc) ou à celui qui les applique parfaitement (le faussaire génial). L’œuvre originale sera mémorable, elle fera date, aura fonction de modèle. Un grand artiste est toujours un point de repère dans l'histoire de son art ; il y a un avant et un après Van Gogh, un avant et après Flaubert en littérature etc. On dira peindre «à la manière de Rembrandt». Le grand artiste est un incontournable précédent pour ses successeurs. Il définit un style et une époque de son art. C'est donc l’originalité de son talent et de ses oeuvres qui feront “crier au génie ”. 2. La dimension d'universalité des chefs-d’œuvre. Les chefs-d’œuvre sont universels et pour cela ils sont éternels. a) on ne cesse de commenter, de relire et d'étudier les grands maîtres et les grandes oeuvres, de quelque époque et quelque culture que ce soit : l’œuvre d'Homère, le théâtre de l'antiquité, les poèmes épiques indiens (le Mahabarratha), l'architecture égyptienne ou babylonienne. b) cette intemporalité de l'intérêt pour les très grandes oeuvres provient de la manière dont l'artiste envisage son matériau : formes, couleurs, sons, langues, passions humaines... sont considérés pour eux-mêmes, "quintessenciés", contrairement à la pratique artisanale qui les subordonnera à la finalité de l'objet produit : la fonction d'un meuble et ses qualités techniques (pratique, fonctionnel, durable etc) prime sur son éventuelle qualité esthétique, même chez un menuisier d'exception comme Boulle. D'où l'idée de l'exceptionnelle aptitude des grands artistes en tant qu'ils sont capables de toucher le cœur et l'intellect des hommes par delà l'espace et le temps: l'universalité et l'intemporalité des chefs- d’œuvre plaident pour l'exceptionnalité du don des grands artistes. c) enfin les sentiments que les chefs-d’œuvre procurent ne sont pas subjectifs : uploads/s3/ un-artiste-est-un-genie 1 .pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager