d’un projet (au sens technique du terme), l’intention et le motif. Le design au
d’un projet (au sens technique du terme), l’intention et le motif. Le design au sens français est en principe tiré du premier, c’est-à-dire de plan ou projet au sens de « to make or draw plans for something, for exam- ple clothes or buildings » tout en gardant en filigrane trace des autres sens. Mais le terme est bien plus intéressant que sa seule accep- tion académique et l’objet de la réflexion qui suit est de montrer comment le mot design renvoie simultanément à différentes choses – des pratiques, des objets ou des jugements de goût selon le contexte qui l’entoure et selon également qu’il est utilisé en tant que substantif ou qu’adjectif. Premier constat : le mot sert à tout, de la « Philosophie du design » de la communica- tion institutionnelle de Braun au « Radio- réveil design » à 19,99 € d’un catalogue de supermarché en passant par le « design innovant » autoproclamé d’Ikea ou encore « Les Puces du design » deux fois par an à Paris. Deuxième constat : s’il est polysé- mique il n’est en revanche pas pour autant ambigu, et le mot design renvoie presque uniformément à une dimension valorisée. Pour le dire autrement, il n’est pas trop (pas pour l’instant du moins) porteur de conno- tations péjoratives, et le fait de faire du design n’est pas dévalorisant comme a pu le devenir par exemple « faire de la décoration » – remplacé depuis par architecture d’inté- rieur ou, précisément, par design d’intérieur, traduction un peu littérale d’interior design. Mais un mot dont les contextes renvoient également à des usages variés, et les différentes acceptions de design montrent bien notre rapport à la notion d’esthétique industrielle et au goût com- mun en matière d’objets. Trois acceptions ainsi, qui déterminent ce qui suit : le moment où l’on parle du design en tant que pratique (« c’est le design »), en référence à un objet (« c’est du design ») ou en tant que qualificatif de goût (« c’est design »). Dans ses Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes publiés entre 1666 et 1688, André Félibien, historiographe de Louis XIV et secrétaire de l’Académie d’architecture, emploie régulièrement le verbe « desseigner » pour « dessiner », orthographe qu’au XVIIIe siècle Furetière qualifie de rare mais qui n’en figure pas moins à la lettre D de son dictionnaire, quelques lignes avant « des- sein » et « dessiner ». De la même façon, les planches de l’Encyclopédie de Diderot consacrées au dessin sont légendées « Dessein » – mots tous deux originaires du latin designare qui signifie « représenter concrètement » lui-même passé dans l’italien de la Renaissance sous la forme disegnare pour, au sens propre, « tracer les contours de quelque chose » ou au sens figuré « former un projet ». Une double dimension présente aux origines du mot, celle du « dessin à dessein », que le sens français a perdues là où l’anglais design les a conservées. Comme on sait, design est un anglicisme qui apparaît en France à la fin des années 50 à partir d’un seul des trois sens du mot anglais design – puisque ce terme renvoie pour le Cambridge Dictionary à trois défini- tions qui sont précisément celles du dessein du XVIIIe siècle : il désigne à la fois le plan Les usages culturels du mot design Bruno Remaury plété d’un qualificatif qui précise la pra- tique en question : design graphique, design d’environnement, design de mode, design d’intérieur, web design, design paysager, design textile, etc., là où la langue anglaise opère systématiquement cette construction syntagmatique et parle aussi pour l’objet utilitaire d’industrial design ou de product design. Le mot design, lorsqu’il est employé seul en français pour qualifier la création appliquée à des conditions industrielles (« Le design »), n’en recouvre en fait qu’une infime partie, celle de l’objet de série. Une nuance assez révélatrice du statut du design dans le champ français de la création qui introduit une dimension hiérarchique au sein de ces métiers : design au sens français subsume l’ensemble des sens possibles du mot au profit de la seule notion, pourtant limitée dans l’espace de la création, de design d’objet industriel – c’est-à-dire la création d’objets utilitaires comportant un principe « machinique » de fonctionnement, soit parce qu’ils remplissent un rôle de machine (une paire de ciseau, un tabouret), soit parce qu’ils sont en eux-mêmes des machines (une automobile, un mixer). Les autres ne sont pas « du design » mais « du design de »1. De fait, design employé seul n’englobe pas les objets « non-machiniques » (un vase, une robe, une couverture de livre), indui- sant un effet de classification entre formes apparemment complexes de la notion de design (en tant qu’elles seraient porteuses de cette dimension machinique) et formes « simplifiées » parce que purement orne- mentales et d’apparence non-complexe (même si ce n’est bien sûr pas le cas). Une distinction entre design et « design de » qui vient hiérarchiser implicitement des pra- tiques pourtant similaires : design employé seul s’inscrit dans la prolongation d’un « art de l’ingénieur », notion elle-même issue de la querelle entre arts mécaniques et arts libéraux au XVIIIe siècle. Art mécanique « C’est le design » : le design comme pratique Premier des usages du terme design, la défi- nition d’un certain nombre de pratiques majoritairement issues des anciens arts appliqués – les « dessins à desseins » préci- sément – dont le design n’est en fin de compte que le versant industriel, c’est-à- dire en jouant sur les mots un art appliqué appliqué à des conditions de production/ reproduction et de distribution réalisées à l’échelle industrielle, là où l’art appliqué dans son acception traditionnelle relève autant, sinon plus, de l’artisanat. C’est à ce point que le « dessin à dessein » enfante le design : là où le premier concerne l’ensem- ble des arts appliqués, du carton de tapisserie à la poignée de porte, le second, en revanche, ne gardera du dessin à dessein que celui qui s’exerce au sein d’un cadre industriel, dans le studio de l’ingénieur- dessinateur ou sur la planche à dessin de l’architecte. On pourra ainsi noter qu’il n’y a pas, en France tout du moins, nommé- ment de design dans la haute joaillerie, le livre d’art ou la restauration de vitraux mais plutôt de la création ou de « l’artisanat d’art » – terme qui, à bien des égards, est le parfait contrepoint de design. La première caracté- ristique du mot design est qu’il arrive au moment où la dimension industrielle de l’objet se développe et où il est, de ce fait, conditionné par elle. Mais déjà à ce stade les emplois du terme ne sont pas anodins. Le mot design sans autre qualificatif associé renvoie généralement, en tant que pratique, au seul design d’objet et le plus souvent, à l’intérieur de celui-ci, à l’objet utilitaire – du TGV à la cafetière –, ne concernant que très peu les autres champs de la création appliquée à l’industrie tels la signalétique, la scénographie commerciale ou le vêtement. Et dès qu’il désigne un autre champ que celui de l’objet utilitaire, design se trouve automatiquement com- élevé au rang des arts libéraux, cette accep- tion du design le situe, à l’instar de l’architecture, entre art et technique, c’est-à- dire relevant à la fois d’un art et d’une technique. Simultanément artiste et ingé- nieur, le designer « pur » peut prétendre au statut à bien des égards léonardesque de talent complet, de « deus ex machina » au sens littéral. C’est comme cela qu’il faut entendre le mépris diffus que certains desi- gners exercent parfois à l’endroit de leurs collègues « inconscients » des contraintes de la machine – qu’ils soient graphistes, stylis- tes ou paysagistes : le viaduc de Millau, le tabouret Bubu, la Mégane, oui ; le logotype du musée d’Orsay, le 2005 de Chanel ou le parc André-Citroën, non. Employer le mot design seul pour « design industriel » ou « design de produit », c’est ainsi renvoyer à une hiérarchie entre celui qui conçoit une machine (fut-elle « à s’as- seoir » ou « à habiter » comme l’ont souvent évoqué les années 20, époque fondatrice de cette pratique en France) et celui qui des- sine un objet destiné au seul agrément du regard. Tous les designers ne sont pas égaux devant le discours, et celui qui bénéficie du mot designer employé seul est implicite- ment crédité d’une dimension d’accom- plissement que ne possède pas celui dont la pratique se voit en fin de compte réduite par l’adjonction d’un qualificatif (« designer graphique », « designer de mode », « designer d’intérieur », etc.) Une hiérarchie qui est loin d’être obsolète si l’on en juge par la manière dont reste invariablement convo- quée la figure du designer-ingénieur par opposition au designer-artiste dans les dis- cours construits autour du design – qu’ils soient le fait des designers uploads/s3/ usages-cult-du-moit-design-b-remaury-juin-2010 1 .pdf
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- Publié le Apv 20, 2021
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