ROUSSEAU ET LA MUSIQUE : PASSIVITÉ ET ACTIVITÉ DANS L'AGRÉMENT André Charrak Ce

ROUSSEAU ET LA MUSIQUE : PASSIVITÉ ET ACTIVITÉ DANS L'AGRÉMENT André Charrak Centre Sèvres | « Archives de Philosophie » 2001/2 Tome 64 | pages 325 à 342 ISSN 0003-9632 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-2-page-325.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. © Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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S’il est bien clair que, dans son anthropologie, toute la force de la musique repose sur l’imitation dont le chant est en charge, il s’avère néanmoins essentiel de s’interroger sur les modalités selon lesquelles une philosophie de l’expression musicale peut thématiser les déterminations matérielles de son objet. Ainsi Rousseau, lorsqu’il doit faire droit à la façon dont l’harmonie concourt d’elle-même, comme « chose physique », aux grands effets de la musique, est-il conduit à réviser les principes gnoséologiques de la dichotomie tranchée qu’il a mise en place, afin de penser les conditions effectives de la perception musicale. MOTS-CLÉS : Emile. Expression. Harmonie. Mélodie. Rameau. Rousseau. ABSTRACT : In the distinction Rousseau brings up between physical objects and moral objects of taste in his Emile, book IV, he generalises the reasons put forward since 1749 throughout the many texts dedicated to music, in favour of melody rather than harmony. If in his anthropology, the strength of music is proven to be conveyed by singing, it is however very important to question how a philosophy of musical expression can define its object. Rousseau has to defend the idea of how harmony, as a « physical thing », contributes to the effect produced by music, but he is inevitably conducted to review the gnoseo- logical principles of his strict dichotomy, in order to study the real conditions of musical perception. KEY WORDS : Emile. Expression. Harmony. Melody. Rameau. Rousseau. Archives de Philosophie 64, 2001 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - Benvenho Celia - 130.79.250.250 - 20/12/2019 14:48 - © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - Benvenho Celia - 130.79.250.250 - 20/12/2019 14:48 - © Centre Sèvres Au livre IV de l’Emile, Rousseau établit une distinction, parmi les objets qui intéressent le jugement de goût, entre ceux qui ne procurent qu’un agrément physique et ceux qui touchent vraiment l’âme humaine : « On doit distinguer encore ses lois [du goût] dans les choses morales et ses lois dans les choses physiques. Dans celles-ci les principes du goût semblent absolument inexplicables, mais il importe d’observer qu’il entre du moral dans tout ce qui tient à l’imitation : ainsi l’on explique des beautés qui paraissent physiques et qui ne le sont réellement point. » 1 Une note de l’auteur renvoie à un texte consacré au Principe de la mélodie, qui constitue une première version de l’Essai sur l’origine des langues, de sorte qu’il est très simple de désigner les ressources musicales dont l’Emile dégage ici les traits géné- raux : l’harmonie relève des choses physiques, tandis que la seule mélodie peut provoquer les affections de l’âme. Cette distinction de principe, appa- remment très abstraite, constitue en réalité une des lignes de force des réflexions ultérieures de Rousseau sur la musique ¢ c’est souvent pour en tirer les conséquences esthétiques que le Dictionnaire de musique complète l’Encyclopédie ¢ en témoigne cet ajout exemplaire à l’article « Composi- tion » : « Dans une composition l’auteur a pour sujet le son physiquement considéré, et pour objet le seul plaisir de l’oreille, ou bien il s’élève à la musique imitative et cherche à émouvoir ses auditeurs par des effets moraux. Au premier égard il suffit qu’il cherche de beaux sons et des accords agréables ; mais au second il doit considérer la musique par ses rapports aux accents de la voix humaine, et par les conformités possibles entre les sons harmoniquement combinés et les objets imitables. » 2 Sur la recommanda- tion expresse de Rousseau, les commentaires s’attachent le plus souvent à l’imitation dont la mélodie est en charge, et qui se fonde sur les ressources de la langue 3. Mais il est patent que la dichotomie mise en place dans l’impor- tant corpus des textes sur la musique (de 1749 à 1762, peut-on dire) se redouble, s’agissant de l’objet physique du goût : il comporte certes un aspect proprement matériel et littéralement inexplicable, puisqu’une impression purement physique se révèle pourvue d’une coloration affective élémentaire ; mais il plaît en outre pour ce « qu’il [y] entre du moral » (selon le livre IV de l’Emile), ou parce que « les sons harmoniquement combinés » (selon le Dictionnaire de musique) servent l’imitation. Il est en réalité essentiel de comprendre le double statut de ces « choses physiques » : on peut 1. Emile, livre IV, toutes les références aux textes de Rousseau sont données dans l’édition des Œuvres complètes, publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond dans la « Bibliothèque de la Pléiade », V vol., Paris, Gallimard, 1959-1995, notée OC pour la pre- mière mention de chaque texte, avec indication du volume en chiffres romains : ainsi OC IV, p. 671-672. 2. Dictionnaire de musique, art. « Composition », OC V, p. 721-722. 3. Voir par exemple le beau texte de Michael O’Dea, J.-J. Rousseau. Music, Illusion and Desire, New York, Saint Martin’s Press, 1995, chap. II. A. CHARRAK 326 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - Benvenho Celia - 130.79.250.250 - 20/12/2019 14:48 - © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - Benvenho Celia - 130.79.250.250 - 20/12/2019 14:48 - © Centre Sèvres certes considérer que les beautés physiques ne servent que de signes à des beautés morales, mais il faut encore essayer de saisir ce qui, dans l’objet simplement donné à la sensation, paraît susceptible de remplir cette fonc- tion. Qu’est-ce qui, dans un agrément passif, peut servir positivement (comme Rousseau le stipule à plusieurs reprises) une expression authenti- que, qui requiert précisément l’exercice d’une sensibilité active chez l’audi- teur ? L’enjeu de cette étude est de dégager pour lui-même le problème esthétique fondamental ainsi mis en place, et dont nous avons analysé ailleurs les aspects proprement gnoséologiques 4. Car il n’est pas interdit de penser que la difficulté visée ici intéresse, au-delà des textes mêmes de Rousseau, toute philosophie de l’expression musicale, qui éprouve certaines difficultés à penser le statut des propriétés matérielles de son objet et les conditions dans lesquelles elles acquièrent une pertinence artistique. Il convient cependant de partir d’une question plus précise, dont l’extrait déjà cité de l’article « Composition » du Dictionnaire de musique arrête au demeurant les termes, puisqu’il désigne dans la simple beauté des sons (ce qui définit, d’une façon élémentaire, la notion de consonance) et l’agrément des accords (qui associent au moins trois sons) l’objet physique du musicien. De fait, ces ressources constituent le type même des « choses physiques » (potentiellement) agréables dont l’efficacité paraît proprement « inexplicable » : « Or la nature qui a doué les objets de chaque sens de qualités propres à le flatter, a voulu qu’un son quelconque fût toujours accompagné d’autres sons agréables [ses harmoniques, qui donnent les intervalles consonants], comme elle a voulu qu’un rayon de lumière fût toujours formé des plus belles couleurs. (...) Ce n’est pas que les physiciens n’aient expliqué tout cela ; et que n’expliquent-ils point ? Mais que toutes ces explications sont conjecturales, et qu’on leur trouve peu de solidité quand on les examine de près ! » 5 Rousseau ne proposera donc aucune réponse définitive à la question de savoir pourquoi les consonances produi- sent un sentiment de plaisir ¢ tout le mouvement de l’article « Consonance » est plutôt pour rejeter ou, dans le meilleur des cas, pour relativiser les explications physiques disponibles, parce qu’elles ne correspondent pas aux variations observées dans la sensation. Mais le Genevois uploads/s3/aphi-642-0325-rousseau-et-la-musique.pdf

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