L'Art et la Réalité . 0. D'où vient l'art ? (Introduction : généalogie de l’art

L'Art et la Réalité . 0. D'où vient l'art ? (Introduction : généalogie de l’art et problématique) 1. — L’Idolâtrie. Dans le cadre d'une société tribale, la fonction du magicien (ou sorcier) réunit originellement celles du médecin, du sage, du prêtre et de l’artiste… L’idole ou fétiche représente un être sacré dont on veut conjurer ou s’approprier la puissance, et auquel parfois on s’apparente (fonction du “totem”). Pour cette raison, on pense que l'art préhistorique était fortement associé à des pratiques rituelles. C'est bien parce que nous leur attribuons une dimension symbolique (dont la signification, par ailleurs, nous échappe totalement) que nous qualifions d'"artistiques" ces très anciennes réalisations. — L’art consistait dans ses origines en une capacité magique, une pure puissance ; or cette dimension se retrouve dans l'un des sens les plus courants du mot “art” : la vertu, le génie, le talent, l’"art de…” en général (l’art d’aimer, d’être grand-père...). — Les objets fétiches eux-mêmes (au départ statuettes, talismans, etc.) ont trouvé des formes nouvelles et profanes de subsistance, puisqu'on continue de les vénérer au titre d'“antiquités”, non sans leur accorder une valeur appréciable en les taxant précisément d'"objets d'art". 2. — L’Artisanat. Puis l’art au sens de pouvoir magique, d’incantation, devient un “art de faire”, une pratique, une tâche à accomplir. De sorcier, l’agent devient l’artisan, le “maître” comme on disait au moyen-âge. L’art ne se dissocie pas vraiment des pratiques artisanales. S’instituent alors des confréries, des compagnonnages, qui n’excluent pas une certaine dimension morale et spirituelle dans leur approche globale du travail. Naissent ce qu’on appelle les “Arts et Métiers”. — De fétiche le support devient désormais l’”objet utile”, mais aussi et surtout l’objet “bien fait”, dont l'usage peut être utilitaire ou simplement “décoratif” : l'objet artisanal se dit proprement ouvrage. Comment passe-t-on de « l’ouvrage » artisanal à « l’œuvre » d’art ? Même si l’artisanat continue d’exister de nos jours, on observe dans l’histoire un détachement progressif de la création artistique personnelle et imaginative par rapport à un artisanat traditionnellement et parfaitement réglé. L'artisan est sans doute un créateur plus "proche de la réalité" que l'artiste, au sens où par la finalité pratique de son travail, il fait corps avec la réalité sociale. Il en va tout autrement de l'artiste qui, justement, va chercher à contempler et à interpréter la réalité plutôt que de s'y plier ou s'y adapter. 3. — Les Beaux-Arts. L'expression elle-même "Beaux-Arts" et la réalité qu’elle désigne n’apparaissent qu’au 18è siècle. L’”art de faire” devient cette fois résolument l’"art de faire beau”. Le sujet n’est plus l’artisan mais l’artiste-peintre, l’artiste-sculpteur, etc. En principe, les Beaux-Arts se limitent à l’architecture, la sculpture, la peinture et quelques autres arts graphiques. L’objet produit devient naturellement l’”œuvre d’art”, et sa finalité ne comporte plus aucune utilité contrairement aux produits des "arts appliqués" ou des "arts décoratifs". Apparaissent alors des valeurs comme la distraction, le contentement, la "contemplation désintéressée" ou le "bon goût", bref : le plaisir pour le plaisir ou le beau pour le beau… L'artiste n'est plus loué seulement pour son savoir-faire, mais pour son imagination. — C'est pourquoi nous avons souvent l'impression que l'art nous éloigne de la réalité pour nous plonger dans le monde du rêve. Mais attention, il ne faut pas oublier que la réalité vue ou vécue par l'artiste est peut-être invisible, intérieure… 4. — L’Art contemporain. L’”art” comme substantif seul, employé au singulier et avec son sens propre n’apparaît vraiment qu’à l’époque contemporaine ; en un sens il est donc synonyme d’"art contemporain”. — L’art ne consiste plus seulement à faire le beau, il devient presque une mentalité, une valeur, une façon d’être ; à l’extrême, l’art (au singulier) se définit comme “art de vivre” ou comme "vision du monde". L'artiste (contemporain) est censé appréhender la "vie" comme le peintre ou le musicien (classiques ou modernes) étaient censés appréhender le beau… A ce caractère relativement indéterminé de la notion de "vie artistique", qui se perd dans un flou lui-même "artistique"…, s'ajoute le décloisonnement des pratiques et l'explosion de nouveaux moyens d'expression. — L’Art en effet désigne aussi bien l'ensemble des pratiques ou des disciplines artistiques, en nombre quasi-illimité, sans aucune exclusive, qu’elles soient réputées majeures ou mineures, nobles ou populaires. A la limite il est sous-entendu que tout, ou presque, peut être considéré comme "de l'art" : ceci constitue l'axiome-limite de l'art contemporain. C'est ainsi que, partis de l'"art de...", en passant par l'"art de faire" et l"art de faire beau", le cercle généalogique semble se refermer sur lui-même, sur "...de l'art", en une forme quasi-parfaite. 5. – Problématique. Or cette sublime autonomie de l'art, de l'entité-art, ne peut qu'apparaître illusoire : le réel et la vérité restent les références incontournables de toute création se voulant artistique, même lorsque l'imagination et la subjectivité sont portées à leur paroxysme. Qu'appelons-nous la réalité ? Quelle représentation de la réalité, au-delà d'une improbable "imitation de la nature" se donne à voir à travers une création artistique ? Quelle emprise celle-ci peut-elle avoir sur la réalité sociale ? L'art doit- il être réaliste ? Allons plus loin : l'art aurait-il une dimension intrinsèquement politique ? 1) Qu'est-ce que créer ? a) La première forme de création, non artistique, est la création "divine". Surnaturelle, elle relève de la croyance et de la religion. On parlera de création "ex-nihilo" (à partir de rien) pour désigner une création qui est finalement pure oeuvre de l'esprit (Dieu étant pur esprit selon la religion...). Religion mise à part, affirmer que l'esprit est créateur, en général, n'est certes pas inintéressant. b) La deuxième forme de création est la production naturelle (phusis en grec, natura en latin). Mais ce n'est pas une vraie création, plutôt une génération, régénération, croissance ou développement : à l'inverse de Dieu la nature ne crée rien à partir de rien, elle ne fait que s'auto-engendrer. De plus aucune intention consciente ne préside à ses réalisations. Par conséquent cela vaut pour les productions animales, qui ne sont pas plus des oeuvres artistiques que des ouvrages techniques. Emmanuel Kant (18è) - "En toute rectitude, on ne devrait appeler art que la production qui fait intervenir la liberté (…). Car, bien qu'on se plaise à qualifier d'œuvre d'art le produit des abeilles (les gâteaux de cire construits avec régularité), ce n'est que par analogie avec l'art ; dès qu'on a compris en effet que le travail des abeilles n'est fondé sur aucune réflexion rationnelle qui leur serait propre, on accorde aussitôt qu'il s'agit d'un produit de leur nature (de l'instinct), et c'est seulement à leur créateur qu'on l'attribue en tant qu'art." c) Enfin, vient la création humaine, dite Poïêsis en grec. Selon les distinctions d'Aristote, la Poïêsis comme production s'oppose essentiellement à la Praxis (action pure) et à la Théôria (pensée pure). Mais par ailleurs, il convient de distinguer au moins deux formes de Poïêsis : cette production peut en effet s'avérer plutôt matérielle ou plutôt symbolique. La première sera dite "technique" au sens habituel du mot, elle vise la fabrication d'objets utiles. La seconde sera dite "artistique", elle vise la création d'objets symboliques (= ayant une signification, et non une fonction utilitaire, bien qu'ils puissent être aussi matériels), autrement dit elle est aussi représentation – et appartient à ce titre à la Culture. 2) Qu'est-ce qu'une œuvre ? a) L'œuvre entre esprit et matière - D'une certaine façon l'œuvre artistique emprunte aux deux premiers sens du mot création, comme divine (sens vrai, mais irréel) et naturelle (faux sens, mais bien réel). En effet on peut caractériser une œuvre doublement. - D'une part, comme œuvre de l'esprit, elle se caractérise comme consciente ou intentionnelle. Pas question, par conséquent, de confondre une œuvre d'art avec le produit d'un "heureux hasard", même s'il comporte quelque beauté "objective" (un pot de peinture renversé par exemple), ni même avec un phénomène naturel (arc-en-ciel…). Cet aspect intentionnel nous amène à la définition essentielle de Kant qui met en avant la notion de liberté : "on ne devrait appeler art que la production par liberté". Cette définition permet d'opposer formellement, non seulement la création artistique et la production naturelle, mais encore la création artistique qui invente ses propres lois (car l'œuvre n'est pas "n'importe quoi") et la fabrication technique ou même artisanale qui ne fait qu'appliquer des règles déjà données. - D'autre part, comme réalisation matérielle, forcément sensible (perceptible), l'œuvre implique un travail : ce travail est la transformation d'un matériau donné. Le matériau du peintre est la couleur, celui du sculpteur est l'argile ou le métal, celui du poète est la langue (idiome), etc. b) Différence entre objet technique et œuvre d'art : précisions - Il faut donc insister sur la dimension spécifiquement représentative et surtout symbolique de l'œuvre d'art : par définition, un symbole ou un signe est destiné à transmettre un message, que ce soit une idée, une sensation, ou une émotion, liées à un certain sentiment de beauté, qui se manifeste à son tour par un plaisir spécifique (non physique, mais psychique). Donc l'œuvre est avant tout transmission : uploads/s3/l-x27-art-et-la-realite.pdf

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