1 LES DIFFÉRENTS REGISTRES DE LANGUE ET LES NÉOLOGISMES : QUELLES STRATÉGIES PO

1 LES DIFFÉRENTS REGISTRES DE LANGUE ET LES NÉOLOGISMES : QUELLES STRATÉGIES POUR LEUR TRADUCTION ? Mª Dolores Espinosa Sansano Université de Murcia (Espagne) Résumé : On aborde dans ce travail certains problèmes de traduction que présentent les registres de langue familier et populaire en français, ainsi que les néologismes – en particulier les emprunts à d’autres langues –, quand il s’agit de les refléter dans la langue cible, dans ce cas l’espagnol, afin de ne pas appauvrir l’expressivité du texte. Nous essaierons d’y apporter des solutions à partir d’exemples tirés de différents types d’écrit : interview, essai, roman et message publicitaire. Mots-clés : registres de langue, néologismes, stratégies, traduction La compétence linguistique est une évidence empirique ; mais ce que les linguistes appellent la langue n’est qu’une reconstruction abstraite, un modèle linguistique1. Face à une œuvre ou à n’importe quel écrit publié, le traducteur est confronté à de nombreux défis. Actuellement, les textes sont remplis de pièges linguistiques, puisque la langue employée est très loin d’avoir un aspect plat ou anodin, bien au contraire : on emploie habituellement une langue très vivante qui est le reflet de sa modalité parlée et qui accueille tout type d’écarts ou des « déformations » par rapport à la norme grammaticale. Ce n’est pas que les Français s’expriment mal dans leur langue par méconnaissance, mais parce que, en général, tous ces écarts par rapport à la norme leur offrent la possibilité : a) d’envoyer un message plus expressif b) de réaliser une économie linguistique qui aide à ce que la communication soit plus rapide, donc plus efficace. Comme nous venons de dire, cette langue tellement vivante est employée de plus en plus, ce qui démontre que : Une langue ne se modifie pas par décret, mais par l’usage, renchérissait Jean d’Ormesson, et bien d’autres avec lui. Soit : prenons-les au mot. Après tout, pourquoi pas ? S’il est vrai que la langue orale appartient à tous, faisons en sorte que la langue écrite suive la même voie.2 1 François RASTIER, Sémantique interprétative, Paris: PUF, 1987, p. 62. 2 Nina CATACH, L’orthographe en débat, Paris: Éd. Nathan, 1991, p. 6. 2 Nous allons parler ici de quelques-uns de ces traits de la langue orale, et nous allons essayer d’apporter des solutions pour rendre le message en espagnol. Dans la plupart des cas, il s’agit de : - néologismes (emprunts et mots inventés) - mots du registre familier ou populaire. - mots qui, bien qu’appartenant à l’origine à un registre de langue courant, sont abrégés par une troncation parfois par l’apostrophe. Il sera question d’abord des néologismes, des mots empruntés à d’autres langues ou créés par des auteurs qui jouent assez souvent avec l’homophonie et la polysémie des mots français, et qui parfois même créent des mots-valises. Les lexicographes constatent ce foisonnement d’emprunts et de créations : « …des mots nouveaux naissent tous les jours, d’autres tombent dans l’oubli3 ». C’est de cette façon que l’arsenal de la langue augmente, que la langue se renouvelle. Les néologismes constituent un problème de traduction difficile, voire impossible à résoudre, car, même si le français et l’espagnol sont deux langues soeurs, l’espagnol n’a pas la même ductilité que le français en ce qui concerne les néologismes inventés4 et les jeux d’homophonie ; il faut essayer de trouver une solution qui rende et qui respecte le style du texte. Néologismes Mots créés par l'auteur (ou mots inventés) : Ératépiste5, formé sur le sigle R.A.T.P. et le suffixe –iste. L’auteur se sert de la facilité de certains sigles à former des substantifs ou des adjectifs dérivés (O.N.U., onusien). Étant donné qu’il s’agit du sigle qui représente le Métro de Paris (Régie Autonome des Transports Parisiens), il faut partir de celui de la compagnie espagnole (Compañía Metropolitana Madrileña) pour former un néologisme semblable : C.M.M. donnera ainsi cememista6. Trimelles7, croisement de triplés et de jumelles, dont le ton humoristique se perd en espagnol, car trillizas appartient au vocabulaire courant. Qui grimoisse d'angace : locution formée de deux mots-valises, créée à partir du croisement de grimace et d'angoisse ; il est aussi possible de créer une locution sur le même modèle en espagnol: que gesticustia de angula. La éssésse8: encore un sigle – et un anachronisme9 - épelé cette fois-ci, par lequel on dénomme la Sécurité Sociale. Il est possible de respecter ce procédé car, en espagnol, le même organisme existe (La Seguridad Social), représenté par un sigle identique (SS): la éseése. 3 Dontcho DONTCHEV, Dictionnaire du français en liberté (Français argotique, populaire et familier), Montpellier: Éd. Singulières, 2007, p. 9. 4 Les exemples analysés ont été pris de plusieurs auteurs et d’un magazine, Cosmopolitan, que nous citerons à tour de rôle. 5 Raymond QUENEAU: Les fleurs bleues, Paris : Éd.Gallimard, Col. Folio, 1965, p. 114. (Il s'agit d'un ouvrage très amusant où l’auteur mêle tout type de registres : il y emploie des mots savants appartenant à plusieurs domaines, et aussi des italianismes, des latinismes, des anglicismes, de l’argot, et même de l’écriture phonétique) 6 On aurait pu penser à former un néologisme métrista dérivé de Metro, mais il peut porter le lecteur à confusion, car le mot existe pour définir “la persona que metrifica”, celui qui fait des vers (vid. Diccionario de la lengua española, Madrid : Real Academia de la Lengua, 1997, s.v.) 7 Ibid., op. cit., 128 8 Ibid., p. 124. 9 Les anachronismes sont très fréquemment employés dans l'oeuvre citée en fonction de l'humour. 3 Franglophiles10, dérivé du célèbre mot-valise créé par Étiemble, franglais, - à partir duquel sont nés des néologismes tels que spanglish ou catanglish –est de traduction aisée : franglófilos. Ticoïde, ticoïdité11aiguë : la parenté existant entre le français et l’espagnol nous fournit encore une fois deux néologismes semblables: ticoide, ticoiditis aguda. La surite12, mot formé de la préposition sur et du suffixe employé pour les termes médicaux et indiquant une inflammation –ite, est, lui aussi, de traduction aisée, pour la raison que nous indiquions au paragraphe antérieur : la sobreitis. (Elle) préentend13, mot créé à l’aide du préfixe pré-, que nous conservons pour la traduction, mais nous avons choisi un synonyme du verbe espagnol oír, sentir, séparés par un trait d’union : pre-siente, ce qui, à notre avis, rend mieux l’intention de l’auteur. Percussions pianissimes14, adjectif superlatif formé sur le terme musical pianissimo (très lent), qui établit un lien avec touches15, qui suit, parce que, comme il est évident, il contient « piano » : il a une traduction facile, grâce à la coïncidence avec le superlatif espagnol: pianísimas. L’ioncle16. Ce mot a été divisé par l’auteur en deux parties, comme s’il s’agissait du groupe formé par l’article et le substantif ; le néologisme est suivi du verbe rugir : il faut donc y voir « lion » et « oncle », et nous proposons pour sa traduction un mot-valise qui contient les deux : el leontío, le contexte aidant à sa compréhension. Dans le domaine littéraire, il y a aussi des néologismes créés par élargissement sémantique, par préfixation ou par suffixation. Nous en trouvons quelques exemples dans une œuvre de M. Serres, Hermès III. La traduction17 : « Goya ou l’argument du troisième homme : le surtueur18, que nous pouvons traduire par superasesino, c’est-à-dire, comme en français, à l’aide d’un préfixe. « Cette philosophie rétroactionaire »19 , adjectif créé à partir de rétroaction, du langage juridique, que nous pouvons imiter : retroaccionario. Par élargissement sémantique, nous avons polytope, sorte de polyèdre, employé parfois pour définir les faces de celui-ci20 « Il n’y a de polytope exclusif que sur le lieu d’une technologie compacte »21 Nous sommes d’avis de le conserver en l’hispanisant : politopo. Nous avons analysé jusqu’à présent des néologismes tirés d’œuvres littéraires, mais nous ne pouvons pas ignorer que la publicité, même institutionnelle, s’en sert aussi assez souvent : nous avons lu à Pau, vers 1990, probablement financé par la mairie, le slogan 10 Pierre MERLE, Panorama aussi raisonné que possible de nos tics de langage, Paris : Éd. Fetjaine, 2008, p. 13 11 Ibid., pp.. 134 et 135.. 12 Ibid., p. 23. Il faut voir dans ces créations de P. Merle une intention ironique, pour nous évidente, qui nous en facilite la traduction. 13 Hélène CIXOUS, Illa, Paris : Éd. Des femmes, 1980, p. 9. Cette “écrivaine” crée surtout des néologismes basés sur le jeu phonétique, l’homophonie et l’allitération (p. e. “Accorde Koré à Cordelia –par Kor, par sympathie, par correspondences”, p. 11) Elle aime aussi à paraphraser des locutions (p. e. “en chair et en chant”, p.12, pour “en chair et en os”) Ces exemples d’allitération et de paraphrase peuvent être respectés dans la traduction. 14 Ibid., p. 13. 15 Mot employé dans la double acception de « partie d’un clavier » et celle du v. toucher sous sa forme conjuguée (teclas y toques en espagnol). 16 Ibid., op. cit., p. 14. 17 Michel SERRES, Hermès III. La traduction, Paris : Éd. de Minuit, Col. Critique, 2003. 18 Ibid., p. 72. 19 Ibid., p. 170. 20 http://fr.wikipedia.org/wiki/Polytope 21 uploads/s3/les-differents-registres-de-langue-et-les-neologismes-quelles-strategies-pour-leur-traduction.pdf

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