1 L’HARMONISATION DU DROIT DES AFFAIRES EN AFRIQUE : Regard sous l’angle de la

1 L’HARMONISATION DU DROIT DES AFFAIRES EN AFRIQUE : Regard sous l’angle de la théorie générale du droit H. D. MODI KOKO BEBEY Vice-doyen de la Faculté des sciences juridiques et politiques Université de Douala (Cameroun) SOMMAIRE I- LA REMISE EN CAUSE DES DIVISIONS DU DROIT PRIVE A- L’émergence d’un droit privé des affaires 1- Le domaine du droit des affaires OHADA 2- L’adaptation du droit à l’activité de l’entreprise B- Vers l’unification du droit privé en Afrique ? 1- Les bases de l’unification 2- L’étendue de l’unification II- LE RECUL DU PRINCIPE DE TERRITORIALITE A- L’institution d’un droit uniforme en Afrique 1- La technique d’uniformisation adoptée 2- La portée du droit uniforme OHADA B- La création d’une cour de cassation commune : La CCJA 1- La compétence de la CCJA 2- Les incertitudes sur l’efficacité de la CCJA 2 « Pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, aux recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité d’y inclure, conformément à l’objet du présent traité… » L’article 2 du Traité OHADA ainsi rédigé va-t-il relancer en Afrique la vieille controverse sur la détermination du domaine de droit des affaires que l’on croyait éteinte ou, en tout cas sans grand intérêt aujourd’hui en droit Français ? la question mérite d’être posée, tant l’ampleur de la réforme est grande. On a même parlé d’ « une révolution juridique en Afrique Francophone ».1 Déterminer le domaine du droit commercial n’a jamais été chose aisée. Cela est connu2. Le problème s’est même beaucoup plus compliqué à l’époque contemporaine avec le développement considérable de la discipline, lié à celui du monde des affaires3. L’expression moderne de droit des affaires a ainsi remplacé progressivement celle de droit commercial. Même si l’unanimité reste à faire s’agissant de l’appellation, tous les auteurs s’accordent pour reconnaître que le droit commercial moderne ou droit des affaires a tendance à englober des questions et à adopter des solutions qui sont hors du champ du droit commercial classique4. Le Traité OHADA vient d’en donner une illustration supplémentaire, suscitant ainsi chez le juriste des interrogations particulières. Celles-ci sont relatives, notamment, au domaine du droit des affaires OHADA, à ses conditions d’application dans le temps et dans l’espace, au sens à donner à l’harmonisation voire à l’uniformisation du droit des affaires en Afrique, au rôle et à l’efficacité de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage etc… Toutes ces questions ont des implications directes sur la théorie générale du droit et leur examen à la lumière de celle-ci permettra une bonne interprétation et une meilleure appréciation de la réforme. Telle est la modeste ambition du présent article. 1- J. PAILLUSSEAU « Une révolution Juridique en Afrique Francophone : L’OHADA in, Mélanges Jeantin, Dalloz 1999. 2- Il suffit justement de rappeler la controverse sur le choix entre la conception objective ou la conception subjective du droit commercial et la conclusion unanime qu’en tirent les auteurs qui en rendent compte aujourd’hui. Voir notamment M. GERMAIN et L. VOGEL Traité de droit commercial T. 1 (ancien Traité Ripert et Roblot) 17e éd. LGDJ. N° 5 à 13 ; P. DIDIER, Droit commercial, T. 1 PUF (Thémis) p. 10 à 16 ; Y. CHARTIER, Droit des affaires, T 1. PUF (Thémis) 4e éd. P. 34 à 39. 3- C. CHAMPAUD, le Droit des Affaires, Que sais-je ? P.U.F p. 25 qui considère le droit des affaires comme le « reflet d’une mutation de civilisation » 4- En ce sens, voir notamment C. CHAMPAUD, précité, p 21 ; Yves GUYON, Droit des Affaires 10e éd. Economica. 1998, n° 1 p. 1 qui note que « le droit des affaires englobe notamment des questions qui relèvent du droit public (intervention de l’État dans l’économie), du droit fiscal, du droit du travail (place des salariés dans les sociétés anonymes) etc. 3 C’est à Port-Louis, en ILE MAURICE, que les chefs d’États de quatorze pays d’Afrique francophone ont signé le 17 octobre 1993 le Traité Relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique couramment appelé aujourd’hui le Traité OHADA, du nom de l’Organisation qui en est issue1. Ce Traité s’est fixé pour objectif principal « l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats-Parties, par l’élaboration et l’adoption de règle communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels »2. Le domaine du droit des affaires OHADA, tel que défini par l’article 2 du Traité, est bien à la dimension de l’ambition de ce dernier. Sans doute faudrait-il alors rappeler brièvement le contexte de la réforme. Le Traité OHADA est signé en octobre 1993, à une époque où la plupart des pays concernés traversent une grave crise économique. Il constitue alors une étape du processus d’intégration régionale et de coopération institutionnelle devant aboutir à la création d’une « Communauté Économique Africaine »3. Ce processus amorcé dans différents domaines se justifiait surtout par l’insuffisance des mesures unilatérales adoptées par les États pour sortir leurs économies de la crise4. Ainsi, par exemple, la conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) a adopté un Traité instituant une réglementation et un contrôle communs du secteur des assurances, ainsi qu’un Code des assurances unique. Dans la sous-région de l’Afrique centrale, une commission Bancaire (la COBAC) a été créée au sein de la BEAC (Banque des États de l’Afrique Centrale), Banque Centrale commune, par la convention du 16 octobre 1999, pour intervenir notamment dans l’assainissement du secteur bancaire. De même, les États membres de l’UDEAC (Union Douanière et Économique de l’Afrique Centrale) ont adopté dés 19925, une réforme fiscalo- douanière visant à harmoniser leurs législations, à travers l’institution progressive de la Ttxe sur la valeur ajoutée (TVA) et l’établissement d’un tarif extérieur commun (TEC). 1- Les chefs d’États des pays africains membres de la zone Franc ont en effet décidé, lors du sommet de Libreville (GABON) tenu les 5 et 6 octobre 1992, d’élaborer et d’adapter à brève échéance, un Traité portant création d’une Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Traité signé à Port-Louis un an plus tard. 2- cf, article 1er, Traité 3- ibid, préambule. Ces objectifs ont été arrêtés par les Ministres des Finances des quatorze pays de la Zone Franc réunis à Ouagadougou (Burkina Faso) en Avril 1991. 4- Plusieurs réformes souvent dictées par les bailleurs de fonds internationaux (Banque Mondiale, Fonds Monétaire International, Agence Française de Développement, etc…) ont été introduite à l’échelle nationale. De nombreux États ont par exemple entrepris de libéraliser leur économie à travers la privatisation des entreprises du secteur public ou parapublic. C’est le cas notamment du Bénin (L. n° 92-023 du 6 Août 1992 et décret n° 92-340), du BURKINA FASO (ord. n° 91-00044/PRES du 17 juillet 1991 et Décr. n° 91-085/MCIM), du Cameroun (Ord. n° 90/004 du 22 juin 1990 et Décr. n° 90/1257), de la Côte-d’Ivoire (Décr. n° 90-1610 du 28 dèc. 1990) de la Guinée (ord. n° 306-PRG-85 du 12 dèc. 1985) et du GABON (L. n°1/96 du 13 février 1996). Certains pays avaient également modifié leur réglementation des investissements en vue de l’institution de zones franches fiscales (TOGO, loi du 18/09/89 ; Cameroun, Ord. Du 29/01/90 ). 5- Acte n° 1/92 UDEAC-556- CD-SET du 30 Avril 1992 4 La transformation de l’UDEAC en CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale) n’a pas freiné cette volonté d’intégration. La sous-région de l’Afrique de l’Ouest a également eu ses réformes visant à l’intégration économique, dans le cadre d’institutions telles que l’UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine) et le CEDEAO (Communauté Économique et Douanière de l’Afrique de l’Ouest). Excepté le cas de la CIMA qui a institué un code uniforme, dans les autres Accords d’intégration, les États s’engagent plutôt à harmoniser leur droit interne avec les dispositions des Traités. Le Traité OHADA apparaît ainsi comme un acte réalisant une grande révolution tant en ce qui concerne l’étendue des matières qu’il englobe que s’agissant de son domaine d’application directe dans l’espace. Un double constat s’impose en effet ici, qui marque son originalité : ! D’une part, afin d’organiser un cadre juridique propice au développement des entreprises, les auteurs du Traité OHADA ont défini très largement le domaine du droit des affaires africain. Cette définition extensive semble remettre en cause les divisions traditionnelles du droit privé (première partie) ; ! D’autre part, l’institution d’une « Communauté Économique Africaine », objectif final du processus d’intégration dont le Traité OHADA ne constitue que l’une des étapes, nécessitera l’abandon de certaines parcelles des souverainetés nationales1. Le droit uniforme OHADA marque ainsi le recul du principe de territorialité (second partie). 1- Voir notamment, DAVID, uploads/S4/ 20151221114452-47-29-droit-ohada-regard-sous-l-x27-angle-de-la-theorie-generale-du-droit-modi-koko.pdf

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  • Publié le Mar 25, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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