HAL Id: halshs-01547009 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01547009 Sub
HAL Id: halshs-01547009 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01547009 Submitted on 26 Jun 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. A quoi nous sert le droit pour comprendre sociologiquement les incertitudes des sociétés contemporaines ? Jacques Commaille To cite this version: Jacques Commaille. A quoi nous sert le droit pour comprendre sociologiquement les incertitudes des sociétés contemporaines ?. SociologieS, Toulouse : Association internationale des sociologues de langue française, 2016, Sociétés en mouvement, sociologie en changement, pp.En ligne. halshs-01547009 1 A quoi nous sert le droit pour comprendre sociologiquement les incertitudes des sociétés contemporaines ?1 Jacques Commaille Pendant longtemps, la sociologie a méprisé ou oublié la place importante que les figures fondatrices de la discipline accordaient au droit. A partir d’un cadre analytique qualifié de modèle de légalité duale, où au droit comme « Raison » s’oppose un droit agi par le social, la tentative est faite de restaurer le droit comme analyseur des transformations de la régulation sociale et politique des sociétés contemporaines. La mise à l’épreuve de ce modèle aboutit finalement à une montée en généralité : une quête de redéfinition des conditions de construction de la légalité ; une interrogation sur les cadres généraux d’analyse de la régulation des sociétés, notamment à partir de l’exemple du paradigme de la domination. What is the law’s role in sociologically understanding the uncertainties of contemporary society? For a long time, sociology has scorned or forgotten the importance that the discipline’s founders accorded [the] law. Using an analytical framework described as dual legality, where a law acting through the social is opposed to the law as “Reason,” the attempt is made to restore law as analyzer of transformations in the social and political regulation of contemporary societies. The testing of this model results ultimately in increased generalization: a quest to redefine the conditions of legality’s construction, a questioning of the general analytical frameworks of societal regulation, notably using the paradigmatic example of domination. Les enjeux de pouvoir propres au travail de connaissance sur les transformations des sociétés. L’exemple des rapports entre la sociologie et le droit Les rapports entre les sciences sociales et le droit, spécifiquement ceux entre la sociologie et le droit, sont particulièrement illustratifs des enjeux de pouvoir propres au travail de connaissance sur les transformations des sociétés. Une littérature considérable est consacrée à ces rapports. L’objectif n’est pas ici d’y revenir2 sinon pour avancer la thèse que ces rapports sont susceptibles de s’établir dans des termes nouveaux à la mesure des incertitudes de la régulation sociale et politique des sociétés contemporaines, ceci comme une illustration exemplaire de ce que suggèrent deux des trois axes de la thématique du prochain Congrès de l’AISLF : « un regard à décentrer », « des frontières à décloisonner ». Il n’est pas indifférent de se rappeler que ces rapports entre la sociologie, les sciences sociales et le droit sont d’abord des rapports de rejet. En France, la sociologie a disqualifié le droit comme objet de recherche au motif que celui-ci n’était que le « miroir » et le simple instrument de gestion de rapports sociaux, déterminés par les rapports économiques qui sont ceux de l’économie capitaliste. La science politique a superbement ignoré le droit, masquant 1 Le titre de cet article est inspiré en partie par celui de mon ouvrage : A quoi nous sert le droit ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2015. 2 Parmi les publications récentes, on pourra consulter : Chassagnard-Pinet et al. (2013). 2 par une transposition dans un argumentaire relevant du registre épistémologique ce qui tenait d’abord à un conflit de nature institutionnelle avec les Facultés de droit (Favre, 1989). Le droit lui-même, dans sa version du positivisme juridique le plus dur, a prôné « une indifférence pleinement revendiquée à tout ce qui touche aux conditions comme aux finalités sociales de la production normative [cela pour] éviter qu’une réflexion soucieuse du social vienne parasiter l’observation authentique des phénomènes juridiques, c’est-à-dire des faits de droit perçus à travers les seuls faits de textes » (Caillosse, 1994, p. 131). Mais ces ignorances réciproques ne sont pas propres à un pays si l’on se souvient de cette remarque de Talcott Parsons concernant « l’espèce de mystère de la négligence dont ont fait preuve les sciences sociales, et particulièrement la sociologie, à l’égard du droit et des systèmes juridiques, après le brillant départ opéré par Durkheim et Weber » (Parsons, 1977, p. 11-13 ; 1978). Pour ce qui concerne spécifiquement les rapports entre la sociologie et le droit existe néanmoins une tradition où l’utilité de la sociologie est reconnue, mais seulement dans le cadre d’une conception instrumentale. Celle-ci participe de cette idée, qui a été si ancrée dans l’univers juridique, que, comme l’a si bien dit l’anthropologue Louis Assier-Andrieu : le droit a la prétention d’être une pratique et en même temps une science en vue d’avoir le monopole de dire sur elle-même sa propre vérité. Il en résulte des « sciences du droit » qui sont instituées comme sciences ancillaires du droit. La sociologie devient ainsi une ingéniérie sociale permettant, comme le dit Léon Duguit, de faire en sorte que « les lois positives portées par le législateur [soient] conformes aux lois sociologiques et à l’état social pour lequel elles sont faites » (Duguit, 1899). Henri Lévy-Bruhl parlera d’une sociologie juridique conçue comme une « juristique » (Levy-Bruhl, 1967), Jean Carbonnier mobilisera ce qu’il appellera une « sociologie législative » (Commaille, 2007). Les transformations actuelles des sociétés posent la question de la place du droit par rapport à la sociologie dans des termes radicalement nouveaux. Rappelons brièvement quelques-uns des grands traits de ces transformations : la perte d’influence des États nations, la création de nouvelles entités politiques transnationales (comme l’Union Européenne), l’internationalisation des échanges économiques et des flux financiers, l’ampleur des défis écologiques qui fait de la Terre un acteur qui interpelle nos sociétés (Latour, 2015), les processus de communautarisation sous l’influence d’une réactivation du religieux, la gravité posée par la question des migrations ou des nouvelles formes de stratification sociale et de production des inégalités à l’échelle planétaire, la montée d’extrémismes constituant un 3 phénomène transnational et qui remet en cause le partage « entre ce qui relève de la guerre et ce qui relève de la paix », tel qu’on peut le constater notamment : dans le fonctionnement des institutions policières, dans la production du droit pénal et de ses mises en œuvre par les institutions judiciaires, ceci jusqu’à poser la question des nouvelles formes de l’Etat de droit (Linhard et Moreau de Bellaing, 2013). Ces mutations du contexte entraînent la transnationalisation des formes de régulation sociale et politique ainsi que des institutions dans lesquelles s’inscrivent l’activité juridique et la justice (Commaille, 2010). Elles se conjuguent avec les incertitudes concernant les vertus de la démocratie représentative et les fondements de sa légitimité comme si des fragilités croissantes des principes structurants de l’ordre social découlait un scepticisme grandissant à l’égard de l’ordre politique. C’est précisément dans le cadre de ce processus de transformations que s’inscrit ma propre trajectoire de chercheur sur le droit. Si mon positionnement initial a été de me positionner comme un sociologue qui se penche sur le droit pour en saisir le sens en le mettant en contexte, et contribuer ainsi à en faire la théorie, je me suis progressivement plus délibérément situé dans la filiation des grandes figures fondatrices de la sociologie pour considérer le droit comme : un exceptionnel révélateur des transformations des sociétés et l’instrument privilégié pour procéder à un travail de théorisation de ces transformations. Comme l’un des auteurs de référence dans le domaine (Hunt, 1993), il s’agit de prendre ses distances avec une sociologie du droit comme sous-discipline enfermée sur elle-même (comme le sont souvent les sous-disciplines de la sociologie) pour considérer que l’approche sociologique du droit peut contribuer non seulement à une théorie du droit et de la justice, mais à une théorie générale des sociétés et de leurs évolutions, à une « théorie du monde social » (Noreau, 2011, p. 689), à tout le moins à la recherche de sens des régimes de régulation de ces sociétés. On notera ici qu’en faisant du droit un révélateur des changements dans les régimes de régulation des sociétés contemporaines, en se situant donc dans le cadre d’une réflexion de sociologie générale privilégiant une approche par le droit, il convient en même temps de ne pas ignorer les dimensions politiques que cette approche est susceptible de comporter puisque, comme le souligne encore Nicos Poulantzas : le droit est « un élément constitutif du champ socio-politique »3. 3 Cité par Alan Hunt, op. cit. uploads/S4/ a-quoi-nous-sert-le-droit.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 03, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.4180MB