1 LA SEPARATION DES POUVOIRS COMME DROIT FONDAMENTAL DANS LE CONSTITUTIONNALISM
1 LA SEPARATION DES POUVOIRS COMME DROIT FONDAMENTAL DANS LE CONSTITUTIONNALISME CONTEMPORAIN Abdoulaye SOMA, Agrégé des Facultés de droit, Université Ouaga II INTRODUCTION « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »1. Cette disposition axiomatique du siècle des lumières cristallise une mutation révolutionnaire du droit constitutionnel moderne2. Elle sacralise la garantie des droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs comme deux paradigmes indispensables à la Constitution d’une société moderne3. Ce postulat est entériné par l’évolution subséquente du droit constitutionnel. La garantie des droits et libertés de l’individu s’affirme comme un élément essentiel du standard et du standing4 des constitutions actuelles5. La séparation des pouvoirs s’est imposée comme un dogme politique et un principe général du constitutionnalisme contemporain6. Au-delà de leur rapport individuel prophétisé avec la Constitution, des rapports mutuels alors insoupçonnés se sont développés entre la garantie des droits et la séparation des pouvoirs dans l’ordre constitutionnel de l’Etat. Ces deux règles ont évolué jusqu’à s’imbriquer dans un mouvement dialectique d’absorption réciproque. La garantie constitutionnelle des droits fondamentaux tient certainement beaucoup de la séparation des pouvoirs7. Parallèlement, la séparation des pouvoirs semble être devenue un droit fondamental, comme nous tenterons de le montrer, dans le constitutionnalisme contemporain. Le constitutionnalisme moderne est apparu en occident au XVIIIe siècle8. Il exprime philosophiquement à la fois l’acceptation politique et la garantie juridique de la limitation du pouvoir d’Etat9. Il s’est largement traduit dans les sociétés politiques modernes par l’adoption de la Constitution, en tant qu’ensemble de normes fondamentales ayant une valeur suprême 1 Article 16 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. 2 Georg Jellinek, « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : contribution à l’histoire du droit constitutionnel moderne », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, n°1, 1995, pp. 99-140 ; Jean- Jacques Chevallier et Gérard Conac, Histoire des institutions et des régimes politiques de France de 1789 à nos jours, Paris, Dalloz, 1991, pp. 22 et s. ; Jérôme Francis Wandjik, « La Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et l’Etat en Afrique », RFDC, n° 99, 2014/3, pp. 1-28. 3 Armand Depper, Commentaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de 1793, Paris, Geldage, 1902, pp. 20 et s. ; Marcel Gauchet, « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », Revue Commentaire, n°43, 1988/3, pp. 783-790. 4 Anne-Marie Le Pourhiet, Droit constitutionnel, Paris, Economica, 2016, p. 138. 5 Louis Favoreu et autres, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 2016, p. 120 ; Jacques-Yvan Morin, Libertés et droits fondamentaux dans les Constitutions des Etats ayant le français en Partage, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 11 et s. 6 Philippe Ardant et Bertrand Mathieu, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ, 2016, p. 53 ; Djedjro Meledge, Droit constitutionnel, Abidjan, éd. ABC, 2013, pp. 100 et s. ; Augustin Loada et Luc M. Ibriga, Droit constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou, PADEG, 2007, pp.110 et s. 7 Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2016, p. 102 ; Jean Gicquel et Jean-Eric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ, 2016, p. 156. 8 Christophe De Aranjo, « Sur le constitutionnalisme européen », RDP, n°6, 2006, pp. 1544-1568. 9 Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, pp. 212-213. 2 dans l’ordonnancement juridique de l’Etat, au sens de Kelsen10, de Marshall11 ou de Glèlè12. Le constitutionnalisme reflète de ce fait l’idée nécessaire de l’encadrement juridique du pouvoir politique, comme l’exprime Favoreu13. Dès lors, l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics sont soumis à des règles établies par le corps social, comme l’entend Rousseau14. Ces règles s’imposent aux organes de l’Etat, aussi bien dans leurs relations horizontales réciproques15, que dans les relations verticales avec les citoyens16. Cette idee est fondamentale dans le constitutionnalisme contemporain, ententu comme le constitutionnalisme d’aujourd’hui, selon Seurin et autres 17 , en l’occurrence tel qu’il se manifeste depuis la moitié du XXe siècle. Cet esprit constitutionnaliste s’approfondit par l’émergence de juridictions constitutionnelles, comme l’atteste Holo18. Celles-ci peuvent être saisies par les particuliers pour obtenir le respect de la Constitution, comme l’indique Fromont19, notamment en tant qu’instrument garantissant les droits fondamentaux20. La notion de droits fondamentaux est amplement consacrée en doit constitutionnel, dans les normes21, la jurisprudence22 et la doctrine23. Suivant cette dernière, nous entendons succinctement les droits fondamentaux comme les droits de l’individu garantis par la Constitution ou un engagement international24. La double source formelle, constitutionnelle ou conventionnelle, des droits fondamentaux dans cette conception liminaire a parfois entraîné leur fusion doctrinale avec les droits de l’homme25. Sans nous y opposer, nous nous 10 Hans Kelsen, Théorie pure du droit, traduction française de la 2e éd. de la « Reine Rechtslehre » par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1977, pp. 299 et s. 11 Cour Suprême des Etats-Unis, Marbury vs Madison, 24 février 1803. 12 Maurice Ahanhanzo Glélé, « La Constitution ou Loi fondamentale », in sous dir. Pierre-François Gonidec, Encyclopédie juridique de l’Afrique, T.1, L’Etat et le droit, Abidjan, Dakar, Lomé, Les Nouvelles éd. Africaines, 1982, pp. 21-52. 13 Louis Favoreu et autres, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2017, p. 59. 14 Jean-Jacques Rousseau, Contrat social, ou principes du droit politique, Genève, Marc-Michel Bousquet, 1762, pp. 10 et s. 15 Francis Delpéré, « Ce que je crois ou le constitutionnalisme », in Présence du droit et des droits de l’homme. Mélanges offerts à Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 211-221. 16 Ibidem. 17 Jean Louis Seurin et autres, Le constitutionnalisme aujourd’hui, Paris, Economica, 1984, pp. 35 et s. ; Jean du Bois de Gaudusson, « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », in Renouveau du droit constitutionnel. Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, pp. 609-627. 18 Théodore Holo, « Emergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n°129, 2009, pp. 101-114 19 Michel Fromont, « La justice constitutionnelle en Europe », in Présence du droit et des droits de l’homme. Mélanges offerts à Jacques Velu, op.cit., pp. 297-306. 20 Jean-Jacques Israël, Droit des libertés fondamentales, Paris, LGDJ, 1998, pp. 254 et s. 21 Youssef Nada, La transition démocratique et la garantie des droits fondamentaux, Paris, éditions Publibook, 2011, pp. 506 et s. ; Aline Schmidt Noël, La limitation des droits fondamentaux en droit constitutionnel comparé, Thèse, Université de Neuchâtel, 2011, pp. 26 et s. ; Adama Cherif, L’effectivité des droits fondamentaux dans l’ordre juridique ivoirien. Etude à la lumière du droit international et comparé, Thèse, Université de Genève, 2014, pp. 37 et s. 22 Louis Favoreu (dir.), Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Paris, Economica, 1982, pp. 25 et s. ; Luc Sindjoun, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 369 et s. 23 Etienne Grisel, Droit fondamentaux, Berne, Stämfli, 2008, pp. 18 et s. 24 Pierre Avril et Jean Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, 2014, p. 46. 25Michel de Villiers et Armel Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2013, pp. 139 et s. 3 intéressons exclusivement à la dimension constitutionnelle des droits fondamentaux26, parce la séparation des pouvoirs, en jeu dans la présente réflexion, a une plus grande vigueur scientifique en droit constitutionnel qu’en droit international. Par ailleurs, même si on distingue parfois les droits des libertés 27 , les secondes conçues comme protégeant un comportement humain 28 , les premiers conçus comme déterminant un comportement de l’Etat29, nous englobons conceptuellement les deux dans le vocable de droits fondamentaux. Le plus important ici est moins l’orientation des prérogatives, que leur régime juridique déterminé par leur valeur constitutionnelle. C’est la même considération de pertinence qui amène à ne pas disserter sur la distinction entre les droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire d’un Etat30, et les droits des citoyens réservés aux nationaux de cet Etat31. L’objet est moins la titularité différenciée des droits fondamentaux que leur juridicité constitutionnelle, leur subjectivité matérielle et leur invocabilité juridictionnelle pour leurs bénéficiaires. Au final et par-delà toutes les variations terminologiques qui marquent la matière, nous concevons décisivement les droits fondamentaux comme l’ensemble des prérogatives, droits, libertés et principes32, consacrés par la Constitution et invocables par l’individu à titre subjectif devant le juge constitutionnel. Ce sont des droits publics individuels de nature constitutionnelle, au sens de Duez33. Leur fondamentalité juridique dérive donc de leur constitutionnalité doublée de leur subjectivité et de leur justiciabilité. Sous ces trois critères, conditions et réserves, ces prérogatives constitutionnelles pourront être appelées indifféremment droits de l’homme au sens de Robert34, libertés fondamentales au sens de Favoreu35, droits fondamentaux au sens de Auer36 et Terré 37, ou tout simplement droits constitutionnels au sens de Gervier 38. C’est cette catégorie juridique qui tend à absorber désormais la séparation des pouvoirs, ou, si l’on préfère autrement et d’après certaines données du constitutionnalisme contemporain, que tend à intégrer le principe de la séparation des pouvoirs. 26 Jean-Eric uploads/S4/ abdoulaye-soma-separation-des-pouvoirs-comme-droit-fondamental-dans-le-constitutionnalisme-contemporain.pdf
Documents similaires
-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 29, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.5875MB