LE CONSEIL DE SÉCURITÉ DOIT-IL RESPECTER LES DROITS DE L’HOMME DANS SON ACTION

LE CONSEIL DE SÉCURITÉ DOIT-IL RESPECTER LES DROITS DE L’HOMME DANS SON ACTION COERCITIVE DE MAINTIEN DE LA PAIX? Par Irène Couzigou* Le Conseil de sécurité doit respecter, dans son action coercitive de maintien de la paix, les droits de l’homme non impératifs inscrits dans les instruments de base de protection des droits de l’homme édifiés dans le cadre de l’Organisation des Nations unies, à moins que cela ne soit pas compatible avec l’objectif poursuivi de sauvegarde de la paix. Il est lié par une obligation conditionnée de respect des droits de l’homme (non impératifs) garantis par les principaux instruments internationaux des droits de l’homme. Cette obligation peut être issue d’une application du principe général de bonne foi à la Charte des Nations unies. Plus simplement, elle peut correspondre à un engagement coutumier du Conseil de sécurité. L’organe de l’ONU est également lié, en vertu de la Charte, par le droit international coutumier (seulement obligatoire) des droits de l’homme. Il s’agit aussi d’une obligation conditionnée par le succès de son action de maintien de la paix. Enfin, le Conseil de sécurité doit respecter le droit international impératif des droits de l’homme. Il connaît ici une obligation absolue. Au regard du nombre réduit de droits de l’homme relevant du jus cogens, l’action coercitive du Conseil de sécurité s’avère faiblement limitée par des standards de respect de droits de l’homme. The Security Council has to respect, in its coercive peace-keeping action, the human rights which are not peremptory and which are inscribed in the basic instruments for the protection of human rights drawn up under UN auspices, except if it is not compatible with the pursued objective of safeguarding the peace. It is bound by a conditioned obligation of respect of (non peremptory) human rights guaranteed by the main international instruments on human rights. That obligation can stem from an application to the United Nations Charter of the bona fide general principle. More simply, that can correspond to a customary obligation of the Security Council. The United Nations organ is also bound, according to the Charter, by the (only obligatory) international customary law of human rights. That is also an obligation conditioned by the success of its peace-keeping action. At least the Security Council has to respect international peremptory law of human rights. Here he knows an absolute obligation. As regards the limited number of human rights enshrined in jus cogens, the coercive action of the Security Council turns out to be faintly limited by standards of respect of human rights. * Docteur en droit public de l’Université Panthéon-Assas (Paris II). L’auteure peut être contactée à l’adresse suivante : <icouzigou@yahoo.fr>. Cet article prend en compte les développements juridiques intervenus jusqu’en janvier 2008. (2007) 20.1 Revue québécoise de droit international 108 Une organisation internationale peut, comme les États, mener des activités qui portent atteinte aux droits de l’homme. C’est notamment le cas de l’Organisation des Nations unies (ONU) lorsqu’elle dirige des opérations de maintien de la paix. La question du respect des droits de l’homme au sein de l’ONU s’est d’abord posée à propos de l’action du Conseil de sécurité dirigée contre un État ou une entité semi- étatique dont le comportement constituait une menace contre la paix1. Les résolutions ayant valeur de recommandations du Conseil de sécurité n’ont bien sûr pas de répercussions sur les droits de l’homme. Toutefois, il n’en est pas nécessairement de même pour les résolutions à caractère obligatoire qui prévoient des mesures coercitives. Traditionnellement dirigées contre un État ou une collectivité semi-étatique, les sanctions prises par cet organe des Nations unies sur la base du chapitre VII de la Charte2 peuvent avoir un impact sur la population civile de l’entité visée3. Le problème de la conciliation de l’action de maintien de la paix et du respect des droits de l’homme apparaît avec plus d’acuité quand le Conseil de sécurité adopte des sanctions à l’encontre d’individus; or, il prend de plus en plus de mesures de ce genre. Face à ce type d’action du Conseil à l’encontre d’individus, qui est novateur, les contestations ciblant sa non-conformité aux droits de l’homme se multiplient4. Des requérants passibles de mesures coercitives de la part du Conseil de sécurité ont ainsi invoqué, devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, l’illégalité de règlements communautaires d’application des résolutions du Conseil de sécurité en raison de leur non-respect des standards des droits fondamentaux de l’ordre juridique européen. C’est d’abord la légalité de la Résolution 13905 du 16 janvier 2002 qui a été mise en doute dans les affaires Yusuf, Kadi, Ayadi 1 L’incompatibilité entre l’application de mesures de l’ONU et le respect des droits de l’homme est apparue pour la première fois en 1966, avec l’adoption de mesures coercitives de nature économique par le Conseil de sécurité à l’encontre de la Rhodésie du Sud. 2 Charte des Nations unies, 26 juin 1945, R.T. Can. 1945 n° 7 (entrée en vigueur : 24 octobre 1945) [Charte]. 3 Les mesures collectives prises sur la base de l’article 41 de la Charte à l’encontre de l’État ou de l’entité non étatique dont le comportement constitue une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression sont souvent désignées par le terme « sanctions ». Toutefois, le terme sanction a une connotation disciplinaire ou pénale. Or, les mesures collectives de l’article 41 ne visent pas à sanctionner un État ou une entité non étatique, mais à le contraindre à cesser son comportement à l’origine d’un danger pour la paix. Le mot « sanction » est néanmoins retenu par la pratique comme par la doctrine; nous l’utiliserons dès lors également, de même que les expressions « mesures coercitives », « mesures contraignantes » ou encore « mesures de contrainte ». Sur le caractère inapproprié du terme « sanctions », voir Jean Combacau, Le pouvoir de sanction de l’ONU, Paris, A. Pedone, 1974 aux pp. 23-24. 4 Voir Organe subsidiaire du Comité des sanctions 1267, Sixième rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions constituée en application des résolutions 1526 (2004) et 1617 (2005) du Conseil de sécurité concernant Al-Qaida, les Taliban et les personnes et entités qui leur sont associées, Doc. off. CS NU, Doc. NU S/2007/132 (8 mars 2007) aux para. 35-36. 5 La situation en Afghanistan, Rés. CS 1390, Doc. off. CS NU, 57e année, 4452e séance, Doc. NU S/RES/1390 (2002) [Rés. CS 1390 Afghanistan]. Cette résolution est destinée à lutter contre l’activité terroriste de certains individus et entités, à savoir Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Droits de l’homme 109 et Hassan6. Dans ces quatre affaires, le Tribunal a rendu des arrêts à l’argumentation analogue. Il juge ainsi que bien que la Communauté européenne n’ait pas elle-même été partie à la Charte des Nations unies7, elle était liée aux obligations en découlant, de la même façon que l’étaient ses États membres, en vertu du traité l’instituant8. Or, d’après l’article 103 de la Charte, « [e]n cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront »9. Le Tribunal estime que l’article 103 s’applique aux obligations des résolutions obligatoires du Conseil de sécurité prises en vertu de la Charte10. Toutefois, le règlement communautaire attaqué constitue une transposition mot pour mot de la Résolution 1390. Le Tribunal de première instance considère dès lors qu’il est incompétent pour juger ce règlement par rapport aux standards communautaires de protection des droits fondamentaux11. Toutefois, d’après le Tribunal, les pouvoirs de sanction que possède le Conseil de sécurité dans l’exercice de cette responsabilité [celle du maintien de la paix et de la sécurité internationales] doivent donc être utilisés dans le respect du droit international et, en particulier, des buts et principes des Nations Unies.12 Al-Qaïda, des Taliban et d’autres personnes et groupes associés, tels qu’identifiés par le Comité des sanctions 1267 dans sa liste : Comité des sanctions 1267 contre Al-Qaïda et les Taliban, Liste récapitulative concernant Al-Qaïda, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés, Doc. off. CS NU, 54e année, 4051e séance, Doc. NU S/RES/1267 (1999) (dernière mise à jour 12 août 2008) [Liste récapitulative 1267]. 6 Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, T-306/01, [2005] E.C.R. II-03533, porté en appel C- 415/05 P [Yusuf]; Yassin Abdullah Kadi c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, T-315/01, [2005] E.C.R. II-03649, porté en appel C-402/05 [Kadi]; Chafiq Ayadi c. Conseil de l’Union européenne, T-253/02, [2006] E.C.R. p. II-02139, porté en appel C- 403/06 P [Ayadi]; Faraj Hassan c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, T-49/04 [2006] E.C.R. p. II-00052, porté en appel C-399/06P [Hassan]. Arrêts en ligne : <http://curia.europa.eu>. 7 La Communauté européenne ne pourrait en devenir partie, puisque la ratification de la Charte est, d’après son article 4) 1, ouverte aux seuls États. 8 Yusuf, supra note 6 au uploads/S4/ le-conseil-de-se-curite-doit-il-respecter-les-droits-de-l-x27-homme.pdf

  • 32
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Aoû 16, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.2739MB