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VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 15/05/2020 11:00 | UNIVERSITE DE SAVOIE Accès au juge et contentieux de l'urbanisme : la question délicate de la suppression de l'appel Issu de Revue du droit public - n°1 - page 5 Date de parution : 01/01/2020 Id : RDP2020-1-001 Réf : RDP 2020, p. 5 Auteur : Par Olivier Renaudie, Professeur à l'École de droit de la Sorbonne (ISJPS) L’appel ou la pelle ? C’est en ces termes que l’on pourrait poser la question, dès lors que la suppression d’un degré de juridiction apparaît envisagée aujourd’hui par les pouvoirs publics comme un outil destiné à favoriser la construction de logements. Une telle conception de la justice peut surprendre. Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il convient de mettre en tension, d’un côté, l’accès au juge et, de l’autre, le contentieux de l’urbanisme. L’accès au juge n’est pas un droit comme les autres. S’il en est ainsi, c’est « […] en raison des liens étroits, qu’il entretient avec l’accès au(x) droit(s). Il revêt une fonction particulière en ce sens qu’il permet la réalisation et la garantie des droits »1. Pour le dire autrement, il permet d’assurer l’effectivité d’autres droits. On s’explique dès lors la reconnaissance dont celui-ci fait l’objet. D’un côté, l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme affirme que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue […] par un tribunal impartial et indépendant ». De l’autre, le Conseil constitutionnel considère qu’il découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’« il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction »2. Le contentieux de l’urbanisme, c’est-à-dire celui porté devant le juge administratif et relatif à l’affectation et à l’utilisation des sols, a été fréquemment modifié ces dernières années3, au point d’avoir le sentiment qu’en la matière, la réforme est « toujours en marche »4. Les raisons d’être et les modalités de ces réformes doivent être rappelées. Pour ce qui concerne les raisons, elles ont été résumées par le Premier ministre dans son discours de politique générale, prononcé le 4 juillet 2017 : « pour construire de nouveaux logements, il faut simplifier les procédures, en particulier dans les bassins d’emplois les plus dynamiques. C’est pourquoi les procédures de permis de construire seront accélérées, les recours abusifs sanctionnés »5. Le contentieux de l’urbanisme doit donc être réformé afin, d’une part, d’éviter les recours malveillants et, d’autre part, d’accélérer les délais de jugement. Pour ce qui concerne les modalités, c’est pour l’essentiel par le biais de textes que le contentieux de l’urbanisme a été réformé : d’abord, l’ordonnance du 18 juillet 2013 et le décret du 1er octobre 20136, relatifs au contentieux de l’urbanisme ; ensuite, le décret du 17 juillet 20187 portant modification du Code de justice administrative et du Code de l’urbanisme ; enfin, la loi ÉLAN du 23 novembre 20188, qui contient plusieurs dispositions relatives à l’urbanisme et son contentieux. La principale caractéristique des réformes opérées par ces textes, mais également de manière plus générale de l’attitude des pouvoirs publics à propos du contentieux de l’urbanisme, est de considérer celui-ci comme un frein à la construction de logements9. D’où leur volonté de restreindre l’accès au juge en la matière. Dans cette perspective, deux leviers ont pu être utilisés : le premier est la restriction de l’intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir contre les autorisations individuelles d’urbanisme10 ; le second est la suppression d’un degré de juridiction, en l’espèce celui de l’appel, dans certaines hypothèses. Il convient de s’interroger sur les conditions dans lesquelles cette suppression a été rendue possible malgré l’importance de l’accès au juge. Pour répondre à cette interrogation, il apparaît nécessaire de revenir successivement sur la genèse de cette suppression (I), son champ d’application (II) et sa portée (III). I. — LA GENÈSE La genèse de la suppression de l’appel dans certains contentieux en matière d’urbanisme tient en deux temps : le premier temps est celui du rapport ayant proposé cette suppression (A) ; le second temps est celui du décret ayant retenu cette solution (B). A. — La solution proposée L’idée de supprimer un degré de juridiction trouve son origine dans un rapport commandé à Daniel Labetoulle, ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État. Intitulé Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre11, ce rapport rédigé en 2013 suggère un certain nombre de réformes procédurales ayant pour objet d’accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l’urbanisme et de prévenir les contestations dilatoires. Parmi ces propositions de réforme, figure celle consistant à supprimer un degré de juridiction dans le contentieux des autorisations individuelles de construire. Pour prendre la mesure de cette proposition, il convient d’insister sur deux caractéristiques du contentieux de l’urbanisme : – la première caractéristique est relative à son objet. Pour l’essentiel, ce contentieux a pour but de contraindre les personnes publiques compétentes, principalement l’État et les communes, à respecter les règles de forme, de procédure et de fond, qui régissent l’occupation et l’utilisation des sols12 ; – la seconde caractéristique porte sur les enjeux économiques de ce contentieux. Les recours exercés devant le juge administratif sont susceptibles de ralentir, voire de compromettre, la réalisation de projets urbanistiques. Il faut en effet rappeler que le contentieux de l’urbanisme a ceci de singulier que, le plus souvent, le requérant a intérêt à ce que la procédure dure le plus longtemps possible, afin de décourager le titulaire de l’autorisation de construire de réaliser son projet. En conséquence, l’activité économique peut s’en trouver ralentie et la construction de logements, freinée13. On s’explique dès lors la recherche contemporaine d’un équilibre entre, d’un côté, le développement de la construction de logements et, de l’autre, le droit au recours. C’est dans cette perspective de « réalisation rapide des projets immobiliers et compte tenu de l’activité économique qu’ils génèrent et de la nature du besoin social auquel ils répondent »14 que le rapport Labetoulle a suggéré la suppression d’un degré de juridiction en matière d’urbanisme. Celui-ci a ainsi proposé de donner aux cours administratives d’appel une compétence en premier et dernier ressort pour certains projets de construction de logements. Plus précisément, cette réforme était envisagée de la manière suivante : « la cour administrative d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le terrain sur lequel porte l’opération autorisée est compétente pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les permis autorisant la construction d’une surface de logement supérieure à 1 500 mètres carrés dans les communes visées à l’article 323 du Code général des impôts »15. La formulation d’une telle proposition appelle deux observations : 1/5 –la première observation est que celle-ci consistait à confier aux cours administratives d’appel une compétence en premier et dernier ressort. Depuis 201116, il est en effet envisageable d’attribuer à ces juridictions une telle compétence : l’article L. 311-1 du Code de justice administrative prévoit que « les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences que l’objet du litige ou l’intérêt d’une bonne administration de la justice conduisent à attribuer à une autre juridiction administrative ». Tel est le cas de la cour administrative d’appel de Paris, compétente en premier et dernier ressort, par exemple, pour les recours dirigés contre les arrêtés du ministre chargé du travail relatifs à la représentativité des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs ; –la seconde observation est que le champ de la compétence ainsi envisagée était limité, d’une part, aux seuls permis de construire et, d’autre part, à ceux autorisant la construction d’une surface de logements d’une certaine importance, à savoir 1 500 m2. Pour les autres permis et autorisations, la voie de l’appel demeurait possible. B. — La solution retenue Si le gouvernement a repris à son compte l’idée de supprimer un degré de juridiction en matière de contentieux de l’urbanisme, il n’a pas retenu exactement la solution proposée par le rapport Labetoulle. Une autre option a été choisie : celle de la suppression de la voie de l’appel. Le décret du 1er octobre 2013 a inséré au sein du Code de justice administrative un article R. 811-1-1 ainsi rédigé : « les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du Code général des impôts et son décret d’application […] ». La décision du gouvernement de procéder de la sorte a pu être justifiée par deux séries de considérations17. Les premières considérations sont relatives à la volonté de ne pas briser l’unité du contentieux de l’urbanisme en premier ressort : tous les litiges, portant aussi bien sur les autorisations uploads/S4/ acces-au-juge-et-contentieux-de-lurbanisme-la-question-delicate-de-la-suppression-de-lappel-15-05-2020-11-00-34.pdf

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  • Publié le Jul 16, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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