1 Droit maritime et arbitrage font-ils encore bon ménage ? Colloque Société de
1 Droit maritime et arbitrage font-ils encore bon ménage ? Colloque Société de Législation Comparée Sections « Arbitrage ADR » et « Droit maritime » Lundi 1er avril 2019 Propos introductifs : La priorité chronologique donnée à l’arbitre, sauf clause d’arbitrage manifestement inapplicable, résulte de l’effet négatif du principe compétence-compétence tel que posé par l’ancien article 1458 Al. 2 de Code de procédure civile, aujourd’hui devenu d’article 1448 du Code de procédure civile. Cette règle n’est pas teintée du particularisme du droit maritime et les difficultés auxquelles elle donne lieu concernent tous les domaines du droit commercial international. En effet, ce principe très favorable au développement de l’arbitrage a été poussé à l’extrême, voire à l’excès. Selon M. le Professeur Bonnassies, il est contraire au principe d’autonomie du juge judiciaire, qui est lui-même un principe à valeur constitutionnelle. La jurisprudence de la Cour de cassation démontre une application de ce principe, d’une manière quasi mécanique. Il semble désormais que le principe compétence-compétence soit réservé aux juridictions arbitrales et refusé de manière quasi automatique aux juridictions judiciaires. Par l’effet d’une véritable déviance procédurale, d’aucun peut alléguer une clause compromissoire, comme on allègue une créance maritime en matière de saisie conservatoire de navire régit par la Convention de Bruxelles de 1952. Or, en matière de saisie conservatoire de navire, le texte existe un texte. En matière d’arbitrage international, il n’en existe pas. Se pose, en conséquence, une véritable question de légalité constitutionnelle de l’article 1448 du Code de procédure civile. Les alertes en la matière ont été données par des arrêts déjà anciens dénommés « Lendos »1 et « Pella »2 ; dont les effets ont été amoindris par l’arrêt « Front Comor »3 de la CJCE. 1 Cass. Civ 1er, 22 novembre 2005 DMF janv. 2006 page 16 2 Cass. Com., 21 février 2006 navire Pella DMF mai 2006 page 379 3 16 février 2009 DMF mars 2009 page 2011 2 La contrepartie de cette jurisprudence est à l’encontre des effets recherchés en matière maritime car elle a pour conséquence la fuite des arbitrages à Londres et dessaisissement des juges judiciaires français. Le moyen de contourner cette difficulté est de promouvoir l’arbitrage maritime en France, notamment en matière de conflit du droit du travail opposant les gens de mer à leurs armateurs, particulièrement dans le domaine de la grande plaisance. En conclusion, il est urgent d’améliorer le droit français de l’arbitrage maritime et d’en étendre son domaine d’application à des domaines d’activité en pleine expansion alors que d’autres domaines d’activités tels que l’affrètement ou le transport maritime connaissent une forte baisse de contentieux. Je laisse la parole à Me le Prado, Avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat et membre de la section maritime de la SLC. 1 LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION SUR LE PRINCIPE COMPETENCE-COMPETENCE DANS SON ASPECT NEGATIF On constate depuis un certain nombre d’années une diminution du contentieux du droit maritime devant les juridictions françaises. Certains, dont Philippe Delebecque et, à mon avis, à juste titre, s’en émeuvent. Diminution à laquelle la jurisprudence de la Cour de cassation n’est peut-être pas étrangère. Je pense d’abord à sa jurisprudence portant sur la question de l’opposabilité des clauses attributives de compétence puisque, comme vous le savez, c’est en définitive la position de la première Chambre civile qui a pris le pas sur celle de la Chambre commerciale et qui conduit au renvoi devant les juridictions étrangères de nombreuses affaires intéressant le droit maritime. Sa jurisprudence sur l’arbitrage et plus précisément sur le principe compétence- compétence y contribue-t-elle aussi ? C’est sans doute cette question qui a conduit les organisateurs de cette rencontre à retenir le thème suivant : « droit maritime et arbitrage font-ils encore bon ménage ? ». Henri Motulsky, dans son traité sur l’arbitrage, resté malheureusement inachevé, définissait ainsi l’arbitrage : l’arbitrage est une justice, une justice privée, une justice privée d’origine normalement conventionnelle1. L’origine de cette justice privée est soit une clause d’arbitrage, une clause compromissoire figurant au contrat qui lie les parties, soit un accord ex post de soumettre le litige opposant ces parties à l’arbitrage. C’est de la combinaison de ces définitions qu’est né le principe « compétence- compétence », principe selon lequel l’arbitre est seul compétent pour statuer sur sa propre compétence, c'est-à-dire, a contrario, principe selon lequel le juge étatique ne peut pas se prononcer sur cette question. Vous m’avez demandé d’évoquer les inquiétudes que suscite la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce principe dans son aspect négatif. Le titre de mon intervention est : « La jurisprudence inquiétante de la Cour de cassation sur le principe compétence- compétence ». 1 H. Motulsky, Ecrits, Etudes et notes sur l’arbitrage, préf. B. Goldman et Ph. Fouchard, Dalloz 1974, p. 5 s. 2 J’aurais, à dire vrai, si j’avais défini moi-même le titre de mon intervention, ajouté un point d’interrogation à ce titre. Je vous propose, d’abord, de vous rappeler ce qu’est ce principe en droit français et de vous exposer la jurisprudence de la Cour de cassation sur sa mise en œuvre (1). Dans un second temps, ensuite, je m’interrogerai sur les inquiétudes que pourrait susciter cette jurisprudence (2). 1. La mise en œuvre du principe compétence-compétence par la Cour de cassation Je rappellerai le principe lui-même, puis les tempéraments, qu’apporte ou n’apporte pas, la Cour de cassation, à une mise en œuvre automatique, systématique du principe. 1.1. Le principe compétence-compétence L’arbitrage est une justice, l’arbitre est un juge. Il en découle la face positive du principe compétence-compétence : c’est à l’arbitre qu’il appartient de se prononcer sur sa compétence. Mais il en découle également la face négative de ce principe. Cette compétence de l’arbitre est exclusive de celle du juge étatique. D’où vient ce principe compétence-compétence en droit français ? Il était posé indirectement par l’article 1458 ancien du code de procédure civile : « si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction doit également se déclarer incompétente, à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle ». Autre texte, l’article 1466 ancien du code de procédure civile : « si devant l’arbitre, l’une des parties conteste dans son principe ou son étendue le pouvoir juridictionnel de l’arbitre, il appartient à celui-ci de statuer sur la validité ou les limites de son investiture ». C’est de ces textes que la Cour de cassation a déduit le principe compétence- compétence. Sa première expression se trouve dans un arrêt de la deuxième Chambre civile du 6 mai 19712. 2 Civ. 2ème, 6 mai 1971, pourvoi n° 70-10592, Bull. II, n° 171. 3 La Cour de cassation y a jugé que « toute juridiction même d’exception, étant juge de sa propre compétence, l’arbitre a le pouvoir et le devoir, avant tout examen des demandes des parties, de vérifier si, au regard de la convention d’arbitrage, il est compétent pour connaitre du différend qui lui est soumis ». C’est ensuite la première Chambre civile, dans un arrêt du 5 janvier 1999 qui a cité le principe « selon lequel il appartient à l'arbitre de statuer sur sa propre compétence »3. Et notre première Chambre civile, dans le même arrêt, a également abordé la face négative du principe : elle a censuré la cour d'appel qui avait annulé une clause compromissoire ; elle a jugé qu’elle n'était pas saisie du litige soumis au tribunal arbitral et qu’elle devait laisser l'arbitre statuer sur sa propre compétence en vertu du principe. Cette face négative du principe a été réaffirmée dans un arrêt de la première Chambre civile du 26 juin 20014 : elle nous dit que le principe compétence- compétence « consacre la priorité de la compétence arbitrale pour statuer sur l'existence, la validité et l'étendue de la convention d'arbitrage ». Et c’est dans un arrêt du 28 novembre 20065, que la première Chambre civile a utilisé, pour la première fois, le terme « compétence-compétence ». Voilà pour l’historique du principe. Il en découle que si le juge étatique se prononce sur l’investiture du tribunal arbitral, il commet un excès de pouvoir. La deuxième Chambre civile l’a affirmé dans un arrêt du 27 juin 20026 ou encore, la première chambre civile, dans un arrêt plus récent du 12 février 20147. J’ajouterai enfin que ce principe compétence-compétence a été consacré par le pouvoir réglementaire. C’est le décret du 13 janvier 2011, à l’origine l’article 1448 du code de procédure civile. Cet article énonce, s’agissant de l’arbitrage interne : 3 Civ. 1ère, 5 janvier 1999, pourvoi n° 96-21430, Bull. I, n° 2. 4 Civ. 1ère, 26 juin 2001, pourvoi n° 99-17120, Bull. I, n° 183. 5 Civ. 1ère, 28 novembre 2006, pourvoi n° 04-10384, Bull. I, n° 513. 6 Civ. 2ème, 27 juin 2002, pourvoi n° 01-13935, Bull. II, n° 146. 7 Civ. 1ère, 12 février 2014, pourvoi n° 13-10346, Bull. I, n° 23. 4 « Lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore uploads/S4/ arbitrage 1 .pdf
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- Publié le Apv 07, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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