AD2007DEF0253N1 Répertoire du Notariat Defrénois, 28 février 2007 n° 4, P. 253
AD2007DEF0253N1 Répertoire du Notariat Defrénois, 28 février 2007 n° 4, P. 253 - Tous droits réservés ASSURANCE 38538. VERS UNE NOUVELLE APPROCHE DE L'ASSURANCE-VIE ? (A propos de C.A. Bordeaux, 4 octobre 2005) par Jacques CHARLIN, Docteur en droit, Notaire honoraire, Professeur associé à l'Université Jean Moulin Lyon-3. Des évolutions législatives et jurisprudentielles importantes récentes mettent sur le devant de la scène juridique l'assurance-vie (1). Remarquons que le singulier qui est utilisé pour désigner cette matière est en réalité trompeur. Il en va de même en matière de trust : prétendre traiter du trust d'une façon générale est une hérésie, puisqu'il existe de nombreuses formes de cette institution de commun law. Il en va de même en matière d'assurance-vie et l'on doit faire un effort pour garder en permanence à l'esprit qu'il en existe plusieurs familles et que des règles particulières sont susceptibles de s'appliquer selon chaque type de contrat soumis à l'analyse. On ne retiendra, dans le cadre de la présente étude, que la distinction entre les contrats rachetables et ceux qui ne le sont pas, seuls les premiers intéressant les juges bordelais. Après deux autres cours d'appel (2), celle de Bordeaux vient de façon très nette réaffirmer la prééminence du souscripteur sur le bénéficiaire acceptant quant au rachat d'un contrat d'assurance-vie. Ce n'est que justice, tant il paraît immoral qu'une tierce personne, bénéficiaire de surcroît d'une libéralité à terme, puisse nuire à son bienfaiteur, à raison d'un instrument financier qui par ailleurs ne lui a rien coûté ! Mais laissons là la morale et revenons au droit. Les faits ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux sont classiques : une veuve âgée de 66 ans en 1993 souscrit un contrat d'assurance-vie dit « contrat retraite-épargne-santé » auprès d'une mutuelle d'assurance spécialisée dans le domaine de la santé dont le terme était fixé au 99e anniversaire de la souscriptrice assurée. Les bénéficiaires, fille et petits-fils de ladite dame, acceptent le contrat en 1999. La mutuelle avertit alors la veuve que, d'une part, elle ne pourra plus changer ses bénéficiaires et que, d'autre part, elle ne pourra plus effectuer de rachat sans l'accord de ces derniers. La veuve assigne alors la mutuelle devant le tribunal de grande instance de Bordeaux pour demander des dommages et intérêts pour défaut d'information et de conseil de la part de la compagnie d'assurance. Ce tribunal, dans un jugement du 8 octobre 2003, précise que « la stipulation faite par Mme D. au profit des consorts A. n'entrave pas sa faculté de rachat du contrat souscrit dit « retraite-épargne-santé » [...] ; déboute Mme D. de sa demande de dommages et intérêts ». La cour d'appel confirme la décision déférée en toutes ses dispositions. Son argumentaire est intéressant, qui fait fi des questions annexes qui trop souvent viennent polluer un raisonnement juridique sain. En effet, l'assureur apprécie peu le rachat du contrat d'assurance, lequel contrarie une gestion financière à long terme. On se rappellera, à cet 1 égard, la prise en compte par la Cour suprême, dans ses quatre célèbres arrêts de principe du 23 novembre 2004 (3), explicités dans un communiqué exceptionnel, de la position des assureurs. Ceux-ci auraient, en réalité, mis en avant la crainte d'un « krach » obligataire à raison de rachats massifs qu'aurait pu entraîner une décision dans un sens différent : la rigueur juridique aurait-elle déclenché un séisme économique ? On peut s'interroger. Au plan financier, il est exact qu'une demande de remboursement anticipé contrarie l'investissement de l'assureur sur la durée. Et l'on voit aujourd'hui, sur le marché de l'assurance-vie, fleurir des contrats dits « avec clause de fidélité », qui dissuadent le souscripteur de racheter son contrat, sauf lourde pénalisation économique (4), pendant un certain délai, huit ou dix ans le plus souvent. Mais à partir du moment où l'assureur a « vendu » à un consommateur (souscripteur) un contrat rachetable classique, il doit respecter son engagement initial et obtempérer à une demande de rachat du souscripteur. Du reste, le législateur, pour éviter les abus, a imposé aux assureurs des délais pour honorer leurs obligations et des sanctions en cas de non- respect de ces délais (par exemple, la loi no 85-608 du 11 juin 1985 modifiant notamment l'article L. 132-21, alinéa 4, du Code des assurances). Il reste que, sur le fond, lorsqu'il y aura un doute sur la « rachetabilité » d'un contrat, à raison d'un argument juridique, l'assureur ne sera pas forcément enclin à rembourser le souscripteur de sa créance sur la provision mathématique sans l'autorisation du tribunal. Plus grave, on peut se demander si tout a bien été fait, dans le cadre du contrat d'assurance lui-même, pour régler cette question du rachat. En effet une clause bien rédigée pourrait préventivement régler la question (cf. infra, notes 12 et 13). Après avoir examiné la solution ponctuelle qui résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux (I), nous nous interrogerons sur les conséquences que l'on pourrait tirer plus généralement de cette décision (II). I. LA DÉCISION DE LA COUR D'APPEL DE BORDEAUX Après avoir rappelé l'analyse du contrat d'assurance rachetable faite par la cour d'appel de Bordeaux (A), nous nous attacherons à en dégager les conséquences juridiques à l'occasion de l'acceptation du contrat par le bénéficiaire, sur la question du rachat (B). A. L'analyse du contrat par la cour d'appel de Bordeaux Après avoir rappelé les principales clauses du contrat, nous nous attacherons à étudier le mécanisme de rachat qui avait été prévu. 1. L'économie générale du contrat La cour d'appel, plus diserte que le tribunal de grande instance, analyse tout d'abord le contrat d'assurance-vie objet du litige après avoir rappelé l'un des articles les plus importants de notre Code civil, l'article 1134, qu'elle se plait à citer dans son intégralité : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ». Elle constate ensuite que le contrat garantit « le paiement d'un capital... selon un pourcentage laissé au choix du souscripteur si l'assuré est vivant au terme du contrat ; le paiement de l'épargne constituée aux bénéficiaires désignés par le souscripteur si l'assuré décède avant l'échéance du contrat ; le rachat du contrat ». 2 Qu'en outre, la clause bénéficiaire est ainsi libellée : « le souscripteur en cas de vie ; son conjoint, à défaut ses enfants, à défaut ses héritiers ». La cour d'appel indique même « qu'aucun document contractuel [...] ne mentionne qu'en cas d'acceptation du bénéficiaire, le souscripteur perd la faculté de modifier son contrat et ne peut effectuer un retrait qu'après avoir au préalable recueilli son accord écrit ». Elle récuse ainsi le raisonnement fondé sur l'article L. 132-9, alinéa 1er, du Code des assurances (5), et sur une jurisprudence antérieure (6) de la Cour suprême reprise par une partie de la doctrine, qui considérait que le fait de racheter le contrat aboutissait à révoquer tacitement la désignation du bénéficiaire. Il est vrai que les décisions de la Cour de cassation concernaient des hypothèses de saisie du contrat d'assurance - de la valeur de rachat - par un créancier ou un syndic dans le cadre d'une liquidation judiciaire, desquelles l'idée de protection du débiteur en mauvaise situation n'était sans doute pas absente. Dans cette affaire, comme dans les décisions d'autres cours d'appel déjà évoquées qui l'ont précédée en 2004 (cf. note 2), le juge du fond n'avait sous les yeux que le souscripteur et le bénéficiaire, le disposant à titre gratuit et le gratifié. L'analyse juridique s'est donc concentrée sur l'analyse de la volonté des parties, élément essentiel du contrat. L'intérêt d'un tel raisonnement réside notamment dans la sanction possible en cas de vice du consentement, savoir, la nullité du contrat qui aboutirait à la restitution a minima des primes versées et donc à la récupération de l'épargne investie, ce que souhaite le souscripteur. L'analyse a également porté sur la clause de rachat. 2. La clause particulière de rachat du contrat Le juge décompose les mécanismes du contrat d'assurance rachetable. Celui-ci permet au souscripteur, après qu'il a confié son épargne - les primes - à l'assureur, de la récupérer totalement ou partiellement, en cas de besoin, au moyen d'un rachat total ou partiel du contrat par l'assureur. Et c'est bien là, pour le souscripteur, l'élément principal du contrat, la désignation d'un bénéficiaire en cas de décès étant subsidiaire, ce que souligne la cour d'appel de Bordeaux qui vise, nous l'avons vu, en le retranscrivant intégralement pour insister, l'article 1134 du Code civil. Cet élément est si important que le législateur, dès 1930, a imposé à l'assureur une obligation de rachat total ou partiel du contrat à la demande du souscripteur (7). Aujourd'hui, après de nombreux amendements, le principe du droit au rachat figure dans plusieurs articles du Code des assurances : ainsi, l'article L. 132-23 de ce code, qui définit strictement les contrats non uploads/S4/ assurance-vie 1 .pdf
Documents similaires










-
32
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 28, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.1163MB