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VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 15/05/2020 14:55 | UNIVERSITE DE SAVOIE Atonie dans l'exercice du pouvoir de révision de la Constitution espagnole Issu de Revue du droit public - n°3 - page 689 Date de parution : 01/05/2015 Id : RDP2015-3-007 Réf : RDP 2015, p. 689 Auteur : Par Nilsa Rojas-Hutinel, Docteur en droit public MIL - Université Paris-Est Créteil SOMMAIRE I. — UNE RIGIDITÉ CONTEXTUELLE À CARACTÈRE PERMANENT A. — La permanence d’un contexte conflictuel B. — La permanence de la crise du consensus II. — UNE RIGIDITÉ TEXTUELLE À SURMONTER A. — Une modification substantielle de la Constitution improbable B. — Une complexité procédurale à contourner « Le pouvoir constituant d’aujourd’hui ne peut lier le pouvoir constituant de l’avenir »1. La Constitution espagnole de 1978 est le résultat d’un consensus sans précédent dans l’histoire constitutionnelle espagnole. Les textes constitutionnels antérieurs à celui de 1978 ont souvent été perçus comme l’expression de la position d’un seul parti politique entraînant leur rejet par les secteurs de la société opposés à l’idéologie des rédacteurs du texte suprême. En résultait une crise de légitimité de l’ensemble du système constitutionnel et des pouvoirs institués. C’est la raison pour laquelle l’élaboration de la Constitution de 1978 est citée en exemple par la grande majorité des Espagnols2. Afin de réconcilier les forces politiques après la fin du régime franquiste, et dans le but d’éviter l’adoption d’une Constitution de parti, a été recherchée la participation de l’ensemble des partis politiques à l’élaboration de la Constitution3. Cette diversité des positions idéologiques et des acteurs au moment de la rédaction a affecté le texte constitutionnel lui-même : la multiplicité des matières touchées par la Constitution, le niveau de précision de la régulation constitutionnelle ainsi que la présence d’une très grande variété de principes constitutionnels sont les conséquences de la recherche d’un consensus élargi4. L’atteinte d’un tel consensus reste encore aujourd’hui historique et la Constitution de 1978 apparaît alors comme une réussite, comme un texte de réconciliation à haute valeur symbolique. En trente-six ans, seules deux révisions ont d’ailleurs été réalisées et aucune ne portait sur le fonctionnement institutionnel. Pourtant, de nombreuses propositions de révision ont été faites, dont une assez récemment. Le député et secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a ainsi demandé qu’une sous-commission parlementaire soit créée5 pour ouvrir les débats sur l’opportunité d’une révision de fond. Mais, le Président du Gouvernement Mariano Rajoy Brey et le Parti populaire (PP), parti majoritaire au sein de la Chambre des députés, se sont opposés à l’idée même d’une révision6. Déjà en 1996 et en 2006, les propositions de révision faites respectivement par José María Aznar 7 et par José Luís Rodriguez Zapatero n’avaient pas abouti et ce, malgré un rapport positif du Conseil d’État8 en 2006. Tout se passe comme si le constituant originaire avait déifié la Constitution, toute tentative de mobilisation future du pouvoir constituant dérivé devenant alors une atteinte au caractère sacré qu’a revêtu le moment de rédaction constitutionnel espagnol. Suivant un mouvement inverse, l’Assemblée constituante française de 1791 déclarait que « la Nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution » et l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen intégrée à la Constitution du 24 juin 1793 affirmait qu’« une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Face à ce constat, il convient d’analyser les raisons d’une telle atonie dans l’exercice du pouvoir constituant dérivé. Le terme « atonie », emprunté au vocabulaire médical, décrit la diminution ou le manque de tonus d’un organe. Accolée à la notion de pouvoir constituant dérivé, l’atonie signale une faiblesse dans l’exercice du pouvoir de révision. Un début de réponse à ce manque de dynamisme peut être apporté si l’on comprend les circonstances déjà exposées dans lesquelles la Constitution a été rédigée. Mais, cela n’explique qu’en partie la difficulté d’initier une révision. En premier lieu, les domaines dans lesquels une révision pourrait être envisagée touchent à des questions profondément polémiques dans un contexte de conflit permanent entre des positions inconciliables. Ces divergences de point de vue empêchent alors l’émergence d’un consensus pourtant nécessaire à une révision de fond. L’absence de consensus entre les partis politiques est d’ailleurs devenue chronique. La rigidité dans l’exercice du pouvoir de révision est donc avant tout une rigidité contextuelle à caractère permanent (I). En second lieu, les procédures de révision prévues par la Constitution apparaissent comme de véritables obstacles à l’adoption d’une révision du texte constitutionnel. Leur complexité amène d’ailleurs à s’interroger sur les possibilités de les modifier ou de les contourner. La rigidité dans l’exercice du pouvoir de révision est alors une rigidité textuelle à surmonter (II). I. — UNE RIGIDITÉ CONTEXTUELLE À CARACTÈRE PERMANENT Chaque fois qu’il est envisagé de réviser la Constitution, des thèmes récurrents et polémiques font surface : ils touchent tant à la monarchie qu’à l’organisation territoriale et institutionnelle. Polémiques car faisant allusion à des tensions permanentes entre les pouvoirs constitués ou à des sujets de fond pour lesquels chaque représentant politique, voire chaque Espagnol, a une position. Ils sont l’illustration de la permanence d’un contexte conflictuel (A). Il est alors difficile et même improbable de voir initiée une procédure de révision dans ces domaines. Surtout, au cours des dernières années, il a pu être observé que les deux groupes parlementaires majoritaires s’opposent frontalement sur le terrain politique, que les situations de 1/6 consensus et, par extension, les hypothèses de révision sont de plus en plus rares9. L’on pourrait aller jusqu’à parler de permanence de la crise du consensus (B). A. — La permanence d’un contexte conflictuel Le fait que la Constitution espagnole n’ait fait l’objet que de deux révisions ne contribue pas à mettre un terme aux débats récurrents relatifs à la nécessité de revenir sur l’écriture de certains articles de la Constitution en vue d’une actualisation. Ainsi, la comparaison avec ses États voisins qui n’hésitent pas à exercer le pouvoir constituant dérivé singularise quelque peu l’État espagnol10. La récente abdication du Roi Juan Carlos Ier11, en faveur de son fils Felipe VI a notamment contribué à remettre au cœur des discussions la révision de la Constitution. Sont mises en cause les règles de succession royale. Effectivement, l’accession au trône de la fille aînée du nouveau Roi, Leonor de Borbón, pourrait se voir compromise par les termes actuels de l’article 57.1 de la Constitution : « La Couronne d’Espagne est héréditaire dans la succession de Sa Majesté Don Juan Carlos Ier de Bourbon, héritier légitime de la dynastie historique. La succession au trône suivra l’ordre régulier de primogéniture et de représentation, la lignée antérieure étant toujours préférée aux lignées postérieures ; au sein de la même lignée, le degré le plus proche au plus éloigné ; dans le même degré, le mâle à la femme, et dans le même sexe, l’aîné au cadet ». Ce principe résulte d’une tradition historique dont on retrouve les racines dans le corpus juridique nommé « Siete Partidas »12 d’Alphonse X. Dès lors, dans l’état actuel du droit, si le Roi et la Reine devaient un jour avoir un fils, c’est ce dernier qui serait, constitutionnellement, en position de succéder à son père. Ce principe également dénommé « loi salique » n’a souffert que peu d’offensives au cours de l’histoire espagnole. Elle a été suspendue pour un temps à la fin du règne de Fernando VII permettant à Isabel d’accéder au trône, mais a été rétablie depuis13. Lorsque fut ratifiée, le 16 septembre 1983, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’État espagnol a émis une réserve afin qu’elle n’empiète pas sur les règles constitutionnelles relatives à la Couronne : « La ratification de la Convention par l’Espagne n’aura pas d’effet sur les dispositions constitutionnelles régissant les règles de succession de la Couronne d’Espagne ». Cette règle est de plus en plus impopulaire dans une société du XXI e siècle qui demande un accroissement de l’égalité homme/femme. À ce titre, il faut relever que les 16 pays membres du Commonwealth se sont récemment mis d’accord pour abolir la règle de primogéniture masculine dans l’ordre de succession au trône. Parmi les monarchies constitutionnelles européennes, seules l’Espagne, Monaco et le Liechtenstein persistent à maintenir cette règle discriminatoire. Les autres monarchies parlementaires européennes ont réformé les règles de succession à la Couronne dans le sens de l’égalité des sexes14. Pourtant, bien que la pertinence d’une telle réforme est largement admise par le peuple espagnol, celle-ci est mise de côté, reportée sine die et ce, notamment, parce qu’ouvrir la brèche d’une révision constitutionnelle suppose de trancher des questions d’actualité telles que l’abolition de la Monarchie. L’annonce de l’abdication du Roi Juan Carlos Ier a d’ailleurs été marquée par des manifestations en faveur de l’instauration d’une République15. Le fait que les politiques ne se saisissent pas du pouvoir de révision attise les débats et contribue à faire durer un contexte dans lequel des positions s’opposent, sans qu’aucune ne l’emporte. D’une certaine manière, cela participe même à l’accroissement du nombre uploads/S4/ atonie-dans-lexercice-du-pouvoir-de-revision-de-la-constitution-espagnole-15-05-2020-14-55-56.pdf
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- Publié le Mai 07, 2021
- Catégorie Law / Droit
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