Commentaire Décision n° 2012-276 QPC du 28 septembre 2012 Fondation Hans Hartun

Commentaire Décision n° 2012-276 QPC du 28 septembre 2012 Fondation Hans Hartung et Anna Eva Bergman (Transmission du droit de suite sur les œuvres d’art graphiques et plastiques) Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 juillet 2012 par la Cour de cassation (1ère chambre civile, arrêt n° 1011 du 11 juillet 2012) sur le fondement des dispositions de l’article 61-1 de la Constitution d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la fondation Hans Hartung et Anna Eva Bergman. Cette question porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l’article L. 123-7 du code de la propriété intellectuelle (CPI) relatives à la subsistance du droit de suite portant sur les œuvres d’art graphiques ou plastiques pendant les soixante-dix années suivant le décès de leur auteur. Dans sa décision n° 2012-276 QPC du 28 septembre 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L. 123-7 du CPI conforme à la Constitution. I. – Dispositions contestées A. – Le droit de suite Le droit de suite est un droit pour l’auteur d’une œuvre d’art originale de percevoir un pourcentage lors de toute revente de l’œuvre intervenant après sa première cession. Il s’agit d’un droit qui ne porte que sur les œuvres graphiques et plastiques originales, créées par l’artiste lui-même ou exécutées en quantité limitée sous sa responsabilité. Introduit dans le droit français par une loi du 20 mai 1920, le droit de suite s’appliquait alors uniquement aux œuvres faisant l’objet d’une vente publique. Après le décès de l’artiste, il bénéficiait à ses héritiers et ayants cause, lesquels pouvaient être des légataires. La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886reconnut ce droit de suite, lors de sa révision du 26 juin 1948, qui introduisit un article 14 ter consacré à ce droit, optionnel et soumis à réciprocité. 2 La loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique avait ensuite réformé ce droit en l’étendant aux ventes « faites par l’intermédiaire d’un commerçant » et en excluant expressément les légataires de son bénéfice. Par la suite, les dispositions relatives à ce droit de suite ont été codifiées dans le CPI1 , les dispositions relatives à sa transmission étant introduites à l’article L. 123-7 de ce code, faisant l’objet de la présente QPC. Dans le sens d’une harmonisation à l’échelle européenne, une directive du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 20012 a prévu une application du droit de suite aux ventes d’œuvres d’art graphiques ou plastiques au sein de l’Union européenne. Elle a défini les critères que devait respecter ce droit (seuils d’application, taux applicables…). La transposition des règles instaurées devait être faite avant le 1er janvier 2006 (et avec une période transitoire jusqu’au 1er janvier 2012 pour les États ne connaissant pas le droit de suite – Autriche, Irlande, Pays-Bas et Royaume-Uni, ensuite rejoints par Malte – pendant laquelle ils pouvaient ne l’appliquer qu’aux ventes d’œuvres d’artistes vivants). Le droit de suite est actuellement défini par l’article L. 122-8 du CPI comme « un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art. » Il concerne les œuvres des artistes ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État dont la législation admet la protection du droit de suite des auteurs des États membres de l’Union européenne3 . L’assiette du droit de suite est le prix de vente hors taxe de l’œuvre, auquel il est appliqué un barème à taux dégressif fixé par le pouvoir réglementaire4 1 Par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle. . Les œuvres dont le prix de vente est inférieur à 750 euros en sont exonérées, en application de l’article R. 122-5 du CPI. Le montant total du droit exigible lors de la vente d’une œuvre est plafonné à 12 500 euros, conformément aux exigences communautaires. Sont également exonérées les reventes intervenant dans les trois années suivant la vente de l’œuvre par l’auteur lorsque leur montant est au plus égal à 10 000 euros, comme le permettait la directive du 27 septembre 2001 précitée. 2 Directive n° 2001/84/CE du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale. 3 La société des Auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) établit une liste indicative qui compte 38 Etats hors Union européenne. 4 Cf. art. R. 122-6 du CPI. 3 Ce droit concerne aussi bien les arts appliqués (meubles, modèles de haute couture…) que les arts nobles (peinture, sculpture…), et aussi bien les œuvres uniques que les œuvres reproduites en un petit nombre d’exemplaires (lithographies, gravures, bronzes, photographies…)5, dès lors que la reproduction a été faite « par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité » (art. L. 122-8 du CPI)6 . Ce droit, qui est ainsi une forme de rémunération différée, permet de maintenir un certain équilibre entre les auteurs qui peuvent tirer profit d’une exploitation successive de leur œuvre (écrivains, compositeurs…) et ceux qui créent des œuvres dont la matérialité s’oppose à une exploitation successive. À l’inverse des autres droits d’exploitation (droit de reproduction, droit de représentation), le droit de suite est inaliénable. Comme pour les autres droits d’exploitation, la durée de protection de ce droit s’étend au-delà du décès de l’auteur. L’article L. 123-7, qui organise sa transmission, prévoit qu’elle a lieu au profit exclusif des héritiers et, pour l’usufruit, du conjoint, à l’exclusion de tous légataires et ayants cause. La durée de protection est identique à celle des autres droits d’exploitation, s’étendant à l’année civile en cours lors du décès et aux soixante-dix années suivantes7 . C’est ainsi que les recettes produites par le droit de suite « profitent » majoritairement aux héritiers des artistes, plutôt qu’aux artistes vivants. D’après un récent rapport de la Commission européenne8 B. – L’article L. 123-7 du CPI , les recettes perçues par les héritiers s’élèvent à l’échelle de l’Union européenne à 82 % de la valeur des droits de suite perçus lors des ventes. La transmission du droit de suite, après le décès de l’artiste, est organisée par les dispositions contestées. Elle se fait exclusivement au profit des héritiers de l’auteur, à l’exclusion de tout légataire ou ayant droit, et, pour l’usufruit, au 5 Le nombre limité d’exemplaires permettant de soumettre une œuvre reproduite à ce droit diffère selon les œuvres : douze exemplaires pour les sculptures, huit exemplaires pour les tapisseries, trente exemplaires pour les œuvres photographiques… (cf. art. R. 122-3 du CPI). 6 Cette précision introduite par le législateur à l’occasion de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a mis fin à la jurisprudence qui admettait l’application du droit de suite aux tirages intervenus après la mort de l’artiste (cf. Cass., 1ère civ., 18 mars 1986, n 84-13.749). 7 Ce délai était de cinquante années avant la loi n° 97-283 du 27 mars 1997 portant transposition dans le CPI des directives du Conseil des Communautés européennes n° 93/83 du 27 septembre 1993 et 93/98 du 29 octobre 1993. 8 Rapport sur la mise en œuvre et les effets de la directive « droit de suite » du 14 décembre 2011. 4 profit du conjoint. En conséquence, ce sont les héritiers de l’auteur, puis, lors de leur décès, les héritiers de ces héritiers, selon les règles de la dévolution légale, à qui ce droit est transmis. En l’absence d’héritier, ce droit de suite est recueilli par l’État. Ces dispositions, introduites par l’article 42 de la loi du 11 mars 1957 précitée, ont posé dès l’origine des questions d’interprétation auxquelles la jurisprudence a progressivement répondu. L’expression « au profit de ses héritiers » posait la question des personnes pouvant en bénéficier : s’agissait-il de la seule première génération d’héritiers ? Ne pouvait-il s’agir que de personnes ayant un lien de parenté avec l’artiste ? La Cour de cassation a jugé que le droit de suite est transmis dans l’ordre de la dévolution successorale, même en présence de dispositions testamentaires contraires9 . Néanmoins, la Cour de cassation a jugé que la loi du 11 mars 1957 ne conduisait pas à remettre en cause la validité des legs antérieurs à cette loi10 . Pour autant, le droit de suite qui avait été transmis par un legs sous le régime de la loi de 1920 ne peut être transmis par le bénéficiaire du legs à ses héritiers, mais doit suivre l’ordre des dévolutions légales de la succession de l’artiste. Ainsi, la conjointe de l’artiste Fernand Léger, qui avait été le légataire du droit de suite lors de son décès en 1955, ayant une descendante d’une union autre que celle avec l’artiste, cette descendante « ne venait pas à la succession comme héritier subséquent de Fernand Léger mais exclusivement comme héritier de uploads/S4/ avis-du-conseil-constitutionnel-droit-de-suite.pdf

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  • Publié le Fev 17, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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