Bérubé c. Ville de Québec 2019 QCCA 1764 COUR D’APPEL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

Bérubé c. Ville de Québec 2019 QCCA 1764 COUR D’APPEL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE QUÉBEC N° : 200-10-003459-174 (200-36-002390-169) (C.M.Q.: 223027-90679514) DATE : 22 octobre 2019 FORMATION : LES HONORABLES MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. JEAN BOUCHARD, J.C.A. CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. ANDRÉ BÉRUBÉ APPELANT – accusé c. VILLE DE QUÉBEC INTIMÉE – poursuivante ARRÊT [1] L’appelant se pourvoit contre le jugement de la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Suzanne Gagné), qui, le 10 novembre 2017, rejette son appel du jugement prononcé le 18 mai 2016 par la Cour municipale de Québec (l’honorable Jacques Ouellet) le déclarant coupable d’avoir enfreint l’art. 19.2, al. 1 et 2 du Règlement sur la paix et le bon ordre de l’intimée et le condamnant à payer une amende de 150 $, plus les frais. [2] Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Gagnon, LA COUR : [3] ACCUEILLE l’appel; [4] INFIRME le jugement de la Cour supérieure du 10 novembre 2017 et, par conséquent, celui de la Cour municipale de Québec du 18 mai 2016; 2019 QCCA 1764 (CanLII) 200-10-003459-174 PAGE : 2 [5] CASSE la déclaration de culpabilité prononcée à l’endroit de l’appelant; [6] DÉCLARE contraires aux al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne des droits et libertés, invalides et inopérants, tels qu’ils sont actuellement rédigés, l’alinéa 1 ainsi que l’alinéa 2, paragr. 1 et 2, de l’art. 19.2 du Règlement sur la paix et le bon ordre, en conjonction avec la définition donnée à la « manifestation » par l’art. 1 dudit règlement et la sanction pénale résultant des art. 20 et 21; [7] ACQUITTE l’appelant de l’accusation portée contre lui; [8] LE TOUT, sans frais devant chacune des instances. MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. JEAN BOUCHARD, J.C.A. CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. Me Enrico Théberge DUMAS GAGNÉ THÉBERGE Pour l’appelant Me Steve Marquis GIASSON ET ASSOCIÉS Pour l’intimée Date d’audience : 4 avril 2019 2019 QCCA 1764 (CanLII) 200-10-003459-174 PAGE : 3 MOTIFS DE LA JUGE BICH [9] Déclaré coupable d’avoir enfreint un règlement municipal dont il dénonce l’invalidité au nom des libertés d’expression et de réunion pacifique que garantit l’art. 2 de la Charte canadienne des droits et libertés1, contestation que la Cour municipale de Québec a rejetée2, l’appelant s’est pourvu sans succès devant la Cour supérieure3. Il a par la suite obtenu la permission de soumettre l’affaire à notre cour4. L’intimée reconnaissant la violation de l’art. 2 (et donc l’existence de l’atteinte), le débat porte sur la question de savoir si la mesure réglementaire contestée est justifiée par l’art. 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. [10] Il faut à mon avis répondre à cette question par la négative, et ce, pour les raisons qu’exposent les pages suivantes, dont voici l’essentiel : quoique la mesure réglementaire contestée soit rationnellement liée à l’objectif poursuivi, lui-même « urgent et réel », elle ne répond pas aux exigences de l’atteinte minimale, notamment parce qu’elle pourvoit à la répression d’une manifestation pacifique par une sanction pénale de responsabilité stricte. Les effets préjudiciables de cette mesure l’emportent par ailleurs sur ses effets bénéfiques. I. CONTEXTE A. Dispositions réglementaires litigieuses [11] Voici d’abord les extraits pertinents du Règlement sur la paix et le bon ordre (« Règlement »)5, tel qu’en vigueur à l’époque des faits donnant lieu au litige : 1. Dans le présent règlement, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par : 1 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑ U.) (« Charte canadienne »). 2 Québec (Ville de) c. Bérubé, 2016 QCCM 122. 3 Bérubé c. Ville de Québec, 2017 QCCS 5163 (« jugement de la Cour supérieure »). 4 Voir : Bérubé c. Ville de Québec, 2018 QCCA 88, et Bérubé c. Ville de Québec, 2018 QCCA 988. 5 Règlement R.V.Q. 1091. Ce règlement a originalement adopté par le conseil municipal de la Ville de Québec en 2009, puis modifié en 2012 par le Règlement modifiant le Règlement sur la paix et le bon ordre relativement aux manifestations, assemblées, défilés et attroupements, Conseil municipal de la Ville de Québec, R.V.Q. 1959, entré en vigueur le 20 juin 2012 (« règlement modificateur »). Ce règlement modificateur ajoute au texte original les art. 19.1 à 19.5 ainsi qu’une définition du terme « manifestation », à l’art. 1. D’autres modifications ont également été apportées au règlement original, mais elles ne sont pas pertinentes à l’espèce et il n'en sera donc pas question ici. 2019 QCCA 1764 (CanLII) 200-10-003459-174 PAGE : 4 « manifestation » : un rassemblement, un attroupement ou un défilé de personnes sur le domaine public qui expriment une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou à une cause; « domaine public » : ensemble des biens administrés par la municipalité affectés à l’usage général et public; « endroit public » : un endroit accessible ou fréquenté par le public dont, notamment, un édifice commercial, un centre commercial, un édifice sportif, une bibliothèque, un lieu de culte, une institution scolaire, une cour d’école, un stationnement commercial, un parc, un jardin public; « rue » : une rue, une ruelle, un chemin, un trottoir, un passage, une promenade un autre endroit dédié à la circulation des piétons, des bicyclettes ou des véhicules routiers. 19.2 Il est interdit à une personne de tenir ou de participer à une manifestation illégale sur le domaine public. Une manifestation est illégale dès que l’une des situations suivantes prévaut : 1° la direction du Service de police de la Ville de Québec n’a pas été informée de l’heure et du lieu ou de l’itinéraire de la manifestation; 2° l’heure, le lieu ou l’itinéraire de la manifestation dont a été informé le Service de police n’est pas respecté; 3° des actes de violence ou de vandalisme sont commis. 20. Nul ne peut contrevenir ni permettre que l’on contrevienne à une disposition de ce règlement. 21. Sauf en ce qui concerne les articles 13 et 13.1, quiconque contrevient ou permet que l’on contrevienne à une disposition de ce règlement commet une infraction et est passible, pour une première infraction, d’une amende dont le montant est, dans le cas d’une personne physique, d’un minimum de 150 $ et d’un maximum de 1 000 $ et, dans le cas d’une personne morale, d’un minimum de 300 $ et d’un maximum de 2 000 $ En cas de récidive, le contrevenant est passible d’une amende dont le montant est, dans le cas d’une personne physique, d’un minimum de 300 $ et d’un maximum de 2 000 $ et, dans le cas d’une personne morale, d’un minimum de 600 $ et d’un maximum de 4 000 $. […] 2019 QCCA 1764 (CanLII) 200-10-003459-174 PAGE : 5 Dans tous les cas, les frais s’ajoutent à l’amende. Si l’infraction est continue, cette continuité constitue, jour par jour, une infraction séparée et l’amende édictée pour cette infraction peut être infligée pour chaque jour que dure l’infraction. [12] La définition du terme « manifestation », que l’on trouve à l’art. 1, ainsi que l’art. 19.2 furent introduits au Règlement en juin 2012, à la suite des rassemblements, attroupements et défilés du « printemps érable », qui auraient eu, semble-t-il, des effets perturbateurs. Selon la note explicative accompagnant le règlement modificateur6 : Ce règlement modifie le Règlement sur la paix et le bon ordre afin d’établir des règles applicables lors de manifestations, défilés ou attroupements. Ces règles visent à assurer la paix, le bon ordre et la sécurité des personnes et des biens lors de tels évènements. Elles tendent assurer un juste équilibre entre l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression, le maintien de l’ordre et de la paix sur le territoire de la Ville de Québec, la protection des personnes et des biens et l’accès au domaine public pour l’ensemble des citoyens.7 [13] C’est par le truchement de l’art. 19.2 (et par celui d’autres dispositions que l’appelant n’a pas contestées8), dont la sanction est assurée par les art. 20 et 21, que l’intimée entend atteindre cet objectif. Ainsi : - toute manifestation (au sens de l’art. 1) est – ou devient – illégale dès lors que le service de police de l’intimée n’en reçoit pas préavis (heure, lieu et itinéraire) ou que les termes du préavis ne sont pas respectés ou encore que des actes de violence ou de vandalisme y sont commis; - toute personne qui tient une manifestation illégale ou qui y participe est coupable d’une infraction et passible d’une amende; [14] Notons que, jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement modificateur de 2012, l’intimée n’exigeait pas le préavis qu’impose dorénavant l’art. 19.2. Antérieurement, si l’on s’en remet au témoignage de l’appelant, ainsi qu’au jugement de la Cour municipale, qui parle d’une « tradition »9 à cet effet, un tel préavis (incluant les renseignements relatifs à l’itinéraire) était, la plupart du temps, fourni volontairement au service de police de l’intimée. L’adoption uploads/S4/ berube-c-ville-de-quebec-2019-qcca-1764.pdf

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  • Publié le Apv 19, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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