Lex Electronica, vol. 17.2 (Automne/Fall 2012) Droits d’auteur et droits de rep
Lex Electronica, vol. 17.2 (Automne/Fall 2012) Droits d’auteur et droits de reproduction. Toutes demandes de reproduction doivent être acheminées à Copibec (reproduction papier) (514) 288-1664 – 1(800) 717-2022 1 L’ANIMALITÉ HUMAINE : DU CONSTAT SCIENTIFIQUE AUX CONSÉQUENCES ÉTHICO-JURIDIQUES Sabine BRELS1 Lex Electronica, vol. 17.2 (Automne/Fall 2012) Sommaire INTRODUCTION....................................................................................................................................... 2 I. LE CONSTAT SCIENTIFIQUE DE L’ANIMALITÉ HUMAINE................................................... 3 1.1. LA DIFFÉRENCE NON-SUPÉRIEURE DE L’ANIMAL HUMAIN.............................................................................. 3 1.2. LA SUBJECTIVITÉ SPÉCIFIQUE DE L’ANIMAL HUMAIN .................................................................................... 6 II. LES CONSÉQUENCES ÉTHICO-JURIDIQUES DE L’ANIMALITÉ HUMAINE ..................... 7 2.1. DES DROITS MORAUX AUX DROITS LÉGAUX POUR LES (AUTRES) ANIMAUX................................................... 7 2.2. DES ANIMAUX « OBJETS DE PROPRIÉTÉ » AUX ANIMAUX « SUJETS SENSIBLES PROTÉGÉS »....................... 16 CONCLUSION.......................................................................................................................................... 24 ANNEXE.................................................................................................................................................... 28 1 Étudiante au doctorat en droit, Faculté de droit, Université Laval, titulaire de la bourse d’études supérieures du Canada Vanier. Lex Electronica, vol. 17.2 (Automne/Fall 2012) Droits d’auteur et droits de reproduction. Toutes demandes de reproduction doivent être acheminées à Copibec (reproduction papier) (514) 288-1664 – 1(800) 717-2022 2 Introduction L’homme est un primate qui refuse de l’être. L’homme est un animal qui ne veut pas se reconnaître2. Parmi ses nombreuses particularités, il semblerait que l’espèce humaine ne cesse de douter de son animalité. Or, en refusant de croire ainsi en sa condition animale, l’être humain se sépare des autres espèces et ne voit plus le lien indissociable qui les unit. La science établit pourtant une continuité entre toutes les espèces animales, démontrant dès lors notre appartenance à celles-ci. Scientifiquement, les êtres humains appartiennent ainsi à cette même communauté d’êtres vivants, à savoir: les animaux. Mais alors que nous appartenons à la communauté animale, l’être humain semble constamment remettre en question cette appartenance et cette continuité pour mieux s’en distinguer et s’en séparer. En ce sens, il semblerait que la réduction à l’animalité soit dégradante aux yeux de celui qui a réussi à s’imposer en maître incontesté sur le reste de la création. Celui qui domine la nature et les autres espèces n’est sans doute pas un animal comme les autres! Ce super-prédateur a le monopole de l’exploitation des minéraux, des végétaux et des animaux, que ce soit sur la terre, dans le ciel ou sous l’océan. Sa puissance planétaire est sans limites et son pouvoir destructeur semble l’être tout autant. Puisqu’il s’est élevé au-dessus du vivant comme un sur-être tout- puissant, cet animal se pense tellement particulier qu’il s’est convaincu de ne pas en être un. Pourtant, comme dit plus haut, la preuve scientifique est là. Mais Darwin ayant placé l’être humain au sommet de l’évolution ce dernier s’autorise à penser qu’il n’est pas seulement un animal, ou alors qu’il n’en est plus un3. Ses aptitudes si particulières l’auraient ainsi séparé de sa condition première. Parmi celles-ci, on compte notamment le fait de discourir et de réfléchir à la moralité de ses actions. Cette faculté lui permettrait de reconnaître notamment que, du point de vue de l’éthique animale4, les autres espèces méritent de bénéficier de notre considération morale. 2 Dans cet article, l’"homme" est synonyme d’être humain et ne signifie pas le genre masculin. 3 En référence au livre d’ Etienne Bimbenet, L’animal que je ne suis plus, Gallimard, Folio, 2011. 4 L’"éthique animale" est une sous-discipline de la philosophie morale qui s’intéresse à la question du "statut moral des animaux" et de notre "responsabilité à leur égard". Voir Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Éthique animale, PUF, 2008, p.15. Lex Electronica, vol. 17.2 (Automne/Fall 2012) Droits d’auteur et droits de reproduction. Toutes demandes de reproduction doivent être acheminées à Copibec (reproduction papier) (514) 288-1664 – 1(800) 717-2022 3 L’homme appartient donc au règne animal. Mais quels sont les liens qui unissent notre espèce aux autres espèces ? Et pourquoi notre espèce cherche-t-elle tant à s’évincer de son animalité? Au-delà du constat scientifique de l’animalité humaine et de l’explication de son rejet, quelles sont les implications pratiques que l’on peut – ou que l'on doit – en déduire du point de vue éthique (ou moral) afin de les traduire en droit positif (dans les textes juridiques)? À travers un raisonnement pluridisciplinaire, nous tenterons d’approfondir ces questionnements à la lumière des connaissances scientifiques actuelles. Sur la base du constat scientifique de notre animalité (I), nous verrons quelles sont les conséquences éthiques et surtout les implications juridiques qu’il est possible d’en déduire (II). I. Le constat scientifique de l’animalité humaine L’être humain est un animal. Ce fait scientifique est incontestable. Il semblerait néanmoins que l’être humain soit un animal différent mais non supérieur aux autres espèces animales (1), et qu’il s’agisse d’un animal spécifique avec une subjectivité qui lui est propre (2). 1. 1. La différence non supérieure de l’animal humain Dans le langage courant, il y a d’un côté l’être humain et de l’autre les animaux, comme s’il s’agissait de deux catégories bien distinctes. Or, il serait scientifiquement plus juste de parler de l’espèce humaine et des autres espèces animales ou encore des "animaux humains" et des "animaux non humains" (à l'image des auteurs anglo-saxons5). Cette précision faciliterait ainsi la reconnaissance de notre animalité et de notre appartenance à la même communauté d’êtres vivants que sont les animaux. Nous faisons partie du règne animal et ne constituons pas une catégorie à part, contrairement à ce que le langage courant peut pourtant laisser croire. Le langage offre une certaine vision du monde et c’est pourquoi les mots ont leur importance en ce qu’ils conditionnent la pensée. En continuant à considérer les "animaux" comme une catégorie 5 En référence notamment aux pères des principaux courants de l’éthique animale moderne que sont Peter Singer (pour le courant "utilitariste") et Tom Regan (pour le courant des "droits des animaux"). Voir aussi comme auteur revendiquant des droits légaux pour les autres animaux: Steven M. Wise, “Entitling non-human animals to fundamental legal rights on the basis of practical autonomy”, dans Jacky Turner et Joyce D'Silva, (dir/.), Animals, ethics, and trade: the challenge of animal sentience, Earthscan, 2006, pp. 87-100). Lex Electronica, vol. 17.2 (Automne/Fall 2012) Droits d’auteur et droits de reproduction. Toutes demandes de reproduction doivent être acheminées à Copibec (reproduction papier) (514) 288-1664 – 1(800) 717-2022 4 différente, voire inférieure à la nôtre, nous faussons la réalité scientifique en flattant uniquement l’ego humain (trop humain pourrait-on dire6). La vérité cède ainsi la place à la vanité. À l’appui de l’assertion de la "supériorité" humaine, se sont enchaînés des critères aussi variés que l’intelligence, la culture, l’humour ou même l’art, lesquels se sont tous avérés partagés par d’autres espèces animales7. C’est pourquoi certains auteurs en sont arrivés à en conclure à: "l’introuvable propre de l’homme"8. Pourtant, notre espèce continue à rechercher ce critère qui permettrait d’asseoir sa supériorité sur une base scientifique, de manière à nous distinguer fondamentalement du reste du règne animal. Il s’agirait alors d’une "différence générique", qui distinguerait l’être humain comme un "genre" ou une catégorie particulière d’êtres vivants, au-delà de sa différence spécifique. Comme toutes les autres espèces animales, l’espèce humaine a son propre code génétique9. Par exemple, le génome humain permet d’identifier scientifiquement un être humain et de le qualifier d’"humain", tout comme le génome d’un chien permet de le qualifier de "chien" à la différence du loup et du renard ou de faire la différence entre un éléphant d’Afrique et d’Asie au- delà de leur apparence physique respective. De fait, chaque espèce possède son propre génome, tout comme chaque espèce possède sa propre intelligence (ou forme de cognition) et son propre langage (ou mode de communication). En ce sens, les autres espèces animales nous sont différentes, mais cela n’implique pas nécessairement leur infériorité. Il convient de se méfier du raisonnement qui assimile la différence à l’infériorité. L’histoire humaine livre des exemples probants de discriminations basées sur la différence de sexe ou de couleur de la peau et révèle le caractère dangereux, voire destructeur, qui découle de telles discriminations. En ce sens, l’"antispécisme" revendique l’égalité entre les espèces animales et s’oppose au "spécisme" qui consiste à favoriser systématiquement une espèce (comme notre espèce), certaines espèces en 6 Référence à l’ouvrage de Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, Mercure de France, 1906 (publié pour la première fois en mai 1878). 7 Parmi les ouvrages les plus récents à ce sujet, voir notamment: Georges Chapouthier, Kant et le chimpanzé : essai sur l’être humain, la morale et l’art, Belin pour la science, Collection Regards, 2009. 8 Pierre Guenancia, "L’introuvable propre de l’homme" dans Florence Burgat (dir.), L'animal dans nos sociétés, Paris, Documentation française, 2004, pp.15-18. 9 Voir Valérie Camos, Frank Cézilly, Pierre Guenancia, Homme et animal, la question des frontières, Quae, 2009, p.191. Lex Electronica, vol. 17.2 (Automne/Fall 2012) Droits d’auteur et droits de reproduction. Toutes demandes de reproduction doivent être acheminées à Copibec (reproduction papier) (514) 288-1664 – 1(800) 717-2022 5 particulier (ex.: chats et chiens) ou un groupe d’espèces (à l’image des animaux familiers) au détriment des autres10. L’infériorité de l’"autre", comme celle des autres espèces animales, est un jugement de valeur qui ne repose sur aucune base scientifique. D’ailleurs, plus les recherches scientifiques avancent, plus cette assertion tend à uploads/S4/ brels-l-x27-animalite-humaine.pdf
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- Publié le Fev 03, 2022
- Catégorie Law / Droit
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